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— Tiens, dit le blond en s’approchant de notre délicieuse et trémousseuse camarade PI 3-1416, tu es encore ici, toi !

— Comment ! s’étonne le chef du personnel, vous la connaissez ?

— Parbleu, c’est Mahatma Pômpzobb, l’espionne irakienne. Ça fait vingt fois qu’on la pince en territoire israélien. Au début on essayait de l’échanger contre des prisonniers ou du matériel, mais là-bas ils se font tirer l’oreille. Je crois en fait qu’ils aimeraient bien s’en débarrasser. La dernière fois on l’a échangée contre un jerrican d’essence et un cageot de dattes. Cette fois-ci, je parie qu’ils ne donneront même pas un pourboire au gars qui la reconduira à la frontière.

— Chiens puants ! lance Mahatma, je vous vomis !

— O.K. ! admet flegmatiquement le type brun en sortant un sandwich de sa poche et en l’attaquant avec un appétit béruréen.

M’est avis que s’il continue de s’empâter, cézigue, il deviendra vite un agent double.

Les déclarations du blond à propos de PI 3-1416 m’ont beaucoup surpris. Je la tenais pour une fière amazone indomptable, cette poulette ! Se peut-il que…

Comme désireux de satisfaire ma curiosité, le chef du personnel demande :

— Pourquoi continue-t-on de l’employer si elle est inefficace ?

L’interpellé s’éponge le front et déclare en s’asseyant sur le bout de la table :

— Pff, sans doute a-t-elle des bontés pour un gros bonnet de son pays. Ce qui la rend inefficace, c’est ça !

Et il gifle notre petite camarade. Pas fort ! Une petite beigne bien appliquée, format jouvencelle. Illico la mère Mahatma fond en larmes.

— Hiiiii ! C’est pas ma faute, chougne-t-elle. C’est le général Akel Gânash qui a voulu que je les accompagne. Ce sont des espions français chargés de mission en Israël ! Moi j’ai rien fait !

Flegmatique, le type blond murmure :

— Son point faible, comprenez-vous ? C’est psychique : elle ne supporte pas les gifles. La première fois nous lui avions fait subir un… un questionnaire très compliqué, électrique et tout. Elle n’a pas dit un mot. C’est par hasard que nous avons découvert que ça…

Il la torgnole à nouveau.

— Hiiiii ! redouble la donzelle, je vous jure que j’y suis pour rien. Lui (elle me désigne) c’est un commissaire français. Et ça (elle montre Béru) c’est son adjoint ! Je veux plus les voir, ils font rien qu’à me faire faire des vilaines choses !

— Marrant, hein ? demande le blond. Un cas ! Bon, virez-moi cette conne que je ne saurais souffrir davantage. Le plus simple est de la raccompagner jusqu’à la frontière syrienne. Vous direz au convoyeur qu’ils se fassent rembourser les frais d’essence par les Syriens, plus la taxe de séjour de la rombière. Maintenant, laissez-nous. Vous placerez simplement vos hommes autour du bâtiment. Ordre de tirer si l’un de ces deux amis tente de fuir.

Tout le monde se retire en silence.

Nous restons à quatre dans la pièce. Nouveau retournement fulgurant of the situation. Tout va si vite ! Tout est si brusque. Ça culbute, ça se modifie. On croit que le rouge vient de sortir : erreur, c’est le noir ! Couennerie de vie, va !

Le ventilateur fixé contre la cloison du fond ronronne dans un doux frissonnement. Il balaie la pièce selon une trajectoire de 45 degrés et, par instants, son souffle frais me caresse la frime. J’ai qu’à fermer les yeux, aussitôt je me crois en montagne, par beau temps, au débouché d’un vallon où gazouille un ruisseau.

— Asseyez-vous donc ! m’invite le blond dans un français très correct. Il ajoute en ricanant : « Vous ne paierez pas plus cher. »

Il est sympa, ce gars. J’aime assez sa nonchalance tranquille, l’humour un peu froid qu’on lit dans ses yeux clairs et qui passe dans les sonorités de sa voix. Et puis il est très beau garçon et je trouve que, sans nourrir le moindre instinct homophile, on est plus à son aise avec des gens harmonieux.

— Sitôt alerté, j’ai examiné le dossier d’Horry Zonthal avant de venir, déclare mon interlocuteur. Je pense que la situation est très simple et que nous la dénouerons en un rien de temps.

Il sort un peigne de sa poche intérieure, se recoiffe presque machinalement et déclare :

— Je suppose que vous appartenez aux services de contre-espionnage français ?

Il n’attend pas de réponse. Pour lui, c’est une évidence qu’il énonce.

— Vous aviez repéré nos deux agents et vous les avez filés. Cela vous a permis d’apprendre qu’ils ont débusqué un ex-nazi établi en France sous une fausse identité et jouissant là-bas d’une honorabilité… éclatante. Exact ?

Moi, vous me connaissez ? Dans les cas délicats, je fais appel à mon instinct. Je le laisse répondre. Ce qu’il décide est bien.

— Exact, conviens-je. L’homme en question n’est autre que Von Chichmann !

J’ai pris le parti de la franchise. Avec mon vis-à-vis il est préférable de jouer franco. C’est le meilleur moyen de me faire affranchir. Ainsi, ne viens-je pas d’apprendre un détail important ? Von Chichmann jouit en France de la considération de ses voisins ! Intéressant.

— Que vous cherchiez à protéger ce traître, compte tenu de sa position chez vous, s’explique parfaitement, admet le beau blond. Mais comme nous n’avons pas les mêmes raisons que vous de le ménager, il sera exécuté demain. La décision a été prise par la Commission Suprême sitôt connu l’incident de l’avion détourné. Nous ne pouvions plus prendre le risque d’atermoyer. Une solide équipe est déjà à pied d’œuvre à Saint-Nom au moment ou nous bavardons et demain soir le monde comportera une belle ordure de moins.

Il sort des cigarettes de sa poche et m’en propose une. J’accepte. Il me l’allume avant d’incandescenter le bout de la sienne. On se livre à un léger duel de fumaga, après quoi il murmure.

— Nous allons vous retenir prisonnier jusqu’à ce que tout soit O.K. en France. Après quoi nous vous échangerons secrètement contre un Mirage ou une babiole de ce genre.

— Et moi ? demande abruptement Béru, mal content de compter pour du beurre depuis le début de l’entretien.

L’autre le toise à travers sa fumée.

— Oh vous, nous vous troquerons contre une photographie dédicacée de M. Marcel Dassault.

Un silence. Cette fois, c’est son pote qui intervient.

— Il y a tout de même un détail, dit-il…

— Oh, oui, fait le blond. Une petite chose nous intrigue : pourquoi avez-vous filé nos hommes jusque dans l’avion qui devait les ramener ici ?

Je hoche la tête.

— Mes chefs voulaient connaître votre décision à propos de Von Chichmann.

— Je comprends ça, pouffe le blond. Eh bien, en attendant que nous recevions des ordres des nôtres, à votre sujet, nous allons vous mettre en lieu sûr. Car, soit dit entre nous, cette perspective d’échange n’est qu’une vue de mon esprit, mon cher homologue. Il se peut très bien que nos supérieurs, agacés par vos petites combines, souhaitent que vous ayez un accident. On est très énervé, en haut lieu, depuis un certain temps.

Il quitte son siège pour s’approcher de la fenêtre ouverte. Un long moment il contemple l’agitation du kibboutz en sifflant une curieuse mélopée. Quand il se retourne, son visage exprime la détermination.

— Ici il n’y a pas de prison, déclare-t-il. Mais j’ai trouvé mieux.

Il se penche par la croisée et lance des ordres en yiddish. Aussitôt des gus radinent avec des rouleaux de fil de fer.

— Levez-vous, je vous prie ! enjoint le blond.

Force nous est d’obéir. Voilà qu’on nous ligote de bas en haut à l’aide du fil. Très serré, je vous prie de le croire.

— La geôle idéale, déclare l’agent du Shin Beth en désignant une immense grue dressée au fond de l’esplanade où l’on construit des silos (à billes). On va vous placer dans les mâchoires fermées de la grue. Ensuite on les remontera à une vingtaine de mètres au-dessus du chantier dont les fondations de béton sont hérissées de fers. Si les grands patrons décident de négocier vos personnes, nous vous récupérerons demain, dans le cas où ils opteraient pour la solution radicale, le grutier n’aura qu’à actionner l’ouverture des mâchoires ! Mais, franchement, cette deuxième hypothèse me paraît improbable car nous sommes des gens réalistes.