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Le Vioque murmure en caressant son beau crâne mordoré et lisse comme les meubles fruitiers du salon :

— Ça consiste à déterrer la carcasse de Von Chichmann qui gît dans mon jardin depuis l’Occupation, mon bon Bérurier.

Son regard gêné glisse jusqu’à moi.

— Nous n’avions guère le choix, s’excuse-t-il. Il fallait parer au plus pressé, qui était d’escamoter les cadavres. Ross les a enterrés dans les plates-bandes, car à l’époque nous cultivions la pomme de terre de préférence aux rosiers. Je sais… J’aurais dû, ensuite, signaler leur présence et leur assurer une sépulture… heu… plus convenable. Mais voyez-vous, mon petit, à la Libération j’ai tout de suite été appelé à de hautes fonctions et j’ai pensé que, pour mon standing, il valait mieux ne pas jeter sur lui une petite note macabre, toujours déplaisante. En tout cas, bien m’en a pris de ne pas exhumer ces messieurs, puisque aujourd’hui le squelette de Von Chichmann va, grâce à sa broche au péroné me laver de cet effroyable soupçon.

Moi, vous savez, j’ai toujours pensé que le Vieux était un cas !

CONCLUSION

M’man est « en courses ». Elle va aux cominches de plus en plus loin, Félicie, car elle déteste les immenses supermarchés qui nous cernent. Elle leur préfère les petites boutiques tenues par des gens d’une espèce périmée, vêtus de blouses grises et coiffés de bérets. Des gens qui savent encore faire tenir un crayon sur leur oreille et qui déplacent de gros chats endormis avec précaution pour vous couper une tranche de gruyère.

Dans la maison, je hume les prémices d’une blanquette. Rien ne cuit encore, mais « c’est dans l’air ».

Je gamberge, les pieds sur la table de notre salle à manger. Une petite récapitulation. Quand on se déplace comme nous, à travers le monde, on rencontre des gens, on se crée des obligations, on contracte certaines dettes. Ainsi, va falloir que mon gouvernement offre un coucou de remplacement au porte-avions soudanais. Et puis j’enverrai un cadeau au capitaine si gentil que j’ai honte d’avoir durement déçu. Faudra aussi que j’essaie d’adresser un foulard Hermès à ma chère camarade PI 3-1416, histoire de nous rappeler à son bon souvenir, à elle qui fait tant pour le rapprochement des hommes !!! Quoi encore !

On sonne. J’écarte mes pieds pour regarder dehors. Je vois radiner Béru, joyeux comme un poinçon. Il remonte notre allée en sifflotant. Il tient un paquet étroit et long sous son bras, un paquet réalisé avec du papier-cadeau et du ruban doré à ressort.

— Entre ! hurlé-je pour m’éviter la peine de remuer.

Car je suis en période de flémingite. Ça me chope, parfois. Rarement. Dans ces cas-là je ne fous rien de la journée, me contentant de traînasser de mon lit à la table affublé des plus vieilles fringues de ma garde-robe.

Ce sont des journées merveilleuses pour ma Vieille. Les plus belles…

Le Mastar s’annonce. Il sent le vin et l’eau de Cologne réclame.

— Salut ! je lui lance en pressant l’énorme mamelle à cinq branches qu’il fait bien molle pour exprimer plus de tendresse abandonnée. Tu m’apportes un cadeau ?

Il brandit son paquet.

— Ça ? Oh, non, c’est pas pour toi. En sortant de là je vas au mariage d’une petite cousine à Berthe et j’lu amène un cadeau, faut être correc.

— Quoi, comme cadeau ?

Son visage prend une expression maquignonne.

— Tu me connais ? La débrouille sur toute la ligne ! Hier, après que nous usâmes déterré le nazi à Pépère, j’y ai demandé de conserver la broche en souvenir. Ma gravosse l’a fourbie au Miror et c’est ça qu’on offre à Marie-Rose en guise de manche à gigot.

Il ne me laisse pas le temps d’aller au bout de ma rifouille. Sortant une feuille de papier à lettre passablement graisseuse et froissée de sa poche il me la tend.

— J’sus passé pour te demander de me corriger les fautes qu’auraient pu éventuellement se glisser dans c’te tartine, Mec. Comme cette babille file en très z’haut lieu, j’peux pas me permettre d’y laisser vadrouiller des bévues, tu comprends ?

La curiosité plus aiguisée qu’un rasoir de merlan italien, je déplie la lettre.

Le plus simple, me semble-t-il, est de vous la livrer in extenso.

La voici dans toute son intégralité.

Mesieur et bien chair Pape,

Je m’escuse de fer perde d’vot’tan à SA cinqtetée mè gel l’hauneur de luit porté à la conaisanse l’effet suvant. O cour d’un voilliage en I-rac j’é rencontrais un n’encien cousin amoi dont au sujé duqule sa galope de mer l’avé randue musulmant. N’aillant pa d’curton saoul la min j’emé permit de lui adminimistré le bataime (entre rautre chose). Je présise a vot’émable Cinq-tetée que ce taurdu été an dengeré de mor. Nez en moin pour la baune règue je voudré que vou omologassié ce bataime. J’espaire que vos pris serons dent mé cordes car j’sus qu’I moldeste foncsionère. Veiller agrégé ma Cinq-tétée et chair Pape mes salutations au cul ménique.

A-B. Bérurier
P.S. : Si on trété sept afère une p’tite bénêt-dicssion en sus pléman me feré plésir. Pas que j’soie du geanre cubéni mé sa ne menge pa d’pin corne di ma Berthe.

— Alors ? interroge l’anxieux. Y’a pas trop d’dérapages incontrôlés ?

Je lui rends sa lettre.

— Impec, gars. Faut surtout pas y changer une virgule.

Il me regarde dans le blanc des yeux et bougonne.

— Pourquoi j’changerais une virgule à ma bafouille, du moment que j’en ai pas foutu une seule !

FIN