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Marlène rougit. « Je parle des gens pas jeunes. »

Genarr éclata de rire. « Je suis désolé, Marlène. Les vieux pensent toujours que les jeunes ne connaissent rien à l’amour et les jeunes croient que les vieux ont oublié ce que c’est ; et tout le monde a tort. Pourquoi veux-tu absolument rester ici ? Sûrement pas parce que tu m’aimes bien.

— Bien sûr que je vous aime bien, dit gravement Marlène. Beaucoup même. Mais je veux rester ici parce que j’aime Erythro. »

Genarr secoua lentement la tête. « Je suis obligé de reconnaître que je ne te comprends pas. » Il étudia le visage grave de la jeune fille, ces yeux noirs à demi cachés derrière ces cils magnifiques. « Laisse-moi cependant, déchiffrer le langage de ton corps, Marlène … si je le peux. Tu as l’intention d’agir à ta guise, à n’importe quel prix, et de rester sur Erythro ?

— Oui, répondit catégoriquement Marlène. Et j’espère que vous allez m’aider. »

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Eugenia Insigna flamboyait de colère contenue. Elle ne parla pas fort, mais avec véhémence. « Il ne peut pas faire ça, Siever.

— Bien sûr que si, Eugenia. C’est le Gouverneur.

— Mais il n’a pas le pouvoir absolu. J’ai des droits civiques, et l’un d’eux, c’est la liberté de mouvement.

— Si le Gouverneur veut déclarer l’état d’urgence sur Rotor, ou bien, en ce qui nous concerne, l’appliquer à une seule personne, les droits civiques sont suspendus. C’est l’essentiel de la Loi Habilitante de 2224.

— Mais cela va à l’encontre de toutes les lois !

— Eugenia, je t’en prie. Écoute-moi. Cède. Pourquoi est-ce que, pour le moment, Marlène et toi vous ne resteriez pas ici ? Vous êtes les bienvenues parmi nous.

— Qu’est-ce que tu racontes ? Cela équivaut à un emprisonnement sans accusation, sans jugement, sans sentence. Nous sommes contraintes de rester indéfiniment sur Erythro à cause d’un ukase …

— Je t’en prie, fais-le sans discuter. Ce sera mieux.

— Comment, mieux ? » Eugenia parlait avec un mépris infini.

« Parce que Marlène, ta fille, a très envie que tu le fasses. »

Insigna parut déconcertée. « Marlène ?

— La semaine dernière, elle est venue me demander de faire en sorte que le Gouverneur vous donne, à toutes les deux, l’ordre de rester ici, sur Erythro. »

Insigna se leva à moitié de son siège, soulevée par l’indignation. « Et tu l’as fait ? »

Genarr secoua vigoureusement la tête. « Non. Maintenant, écoute-moi bien. Tout ce que j’ai fait, c’est d’informer Pitt que ton travail était terminé et que je ne savais pas si son intention était de vous rappeler sur Rotor ou de vous garder ici. C’était une question parfaitement neutre, Eugenia. Je l’ai montrée à Marlène avant de l’envoyer et elle a paru satisfaite. Elle a dit, et je la cite : ‘‘Si vous lui donnez le choix, il nous gardera ici.’’ Et c’est ce qu’il a fait. »

Insigna se laissa retomber dans son fauteuil. « Siever, as-tu vraiment suivi les conseils d’une fille de quinze ans ?

— Dis-moi, pourquoi es-tu si désireuse de retourner sur Rotor ?

— Mon travail …

— Tu n’en auras plus si Pitt ne veut pas de toi. Même en supposant qu’il te permette de revenir, tu découvriras que quelqu’un a pris ta place. Ici, tu as l’équipement dont tu as besoin … celui dont tu t’es déjà servie. Après tout, tu es venue ici pour faire ce que tu ne pouvais pas faire sur Rotor.

— Peu importe mon travail ! cria Insigna avec une inconséquence totale. Tu ne comprends pas que je veux retourner là-bas pour la même raison qui le pousse à nous faire rester ici ? Il veut détruire Marlène. Si j’avais connu la Peste d’Erythro, nous ne serions jamais venues. Je ne veux pas prendre de risques avec l’esprit de Marlène.

— Marlène pense qu’elle ne court aucun danger.

— Marlène ! Marlène ! Tu en parles comme si c’était une déesse. Qu’en sait-elle ?

— Écoute-moi, Eugenia. Parlons-en posément. Elle n’a rien d’une mégalomane, n’est-ce pas ? »

Insigna tremblait. Son émotion n’avait pas diminué. « Je ne comprends pas ce que tu veux dire.

— A-t-elle tendance à émettre des revendications grandioses dépourvues de fondement ?

— Bien sûr que non. Tu sais bien qu’elle n’émet jamais de revendications qui ne soient …

— Qui ne soient justifiées, je sais. A-t-elle jamais prétendu qu’elle pouvait prévoir l’avenir ? A-t-elle jamais dit qu’elle était sûre qu’un événement en particulier allait se produire, en s’appuyant sur sa seule intuition ?

— Non, bien sûr que non. Elle ne dit jamais rien sans preuves à l’appui.

— Pourtant elle est sûre que la Peste ne peut pas l’atteindre. Elle prétend qu’elle a éprouvé cette confiance absolue, cette certitude qu’Erythro ne lui ferait jamais de mal, sur Rotor même, et que cela n’a fait que croitre avec son arrivée dans le Dôme. Et elle est déterminée — absolument déterminée — à rester ici. »

Les yeux d’Insigna s’ouvrirent tout grands et sa main vola jusqu’à sa bouche. Elle émit un son inarticulé, puis dit : « Dans ce cas … » Et elle resta à le regarder.

« Oui, dit Genarr soudain sur ses gardes.

— Tu ne comprends pas ? Mais ce sont les signes mêmes de la Peste ! Sa personnalité est en train de changer. Son esprit est déjà détérioré. »

Genarr resta immobile un moment. « Non, c’est impossible. Jamais on n’a rien détecté de ce genre chez les victimes de la Peste.

— Son esprit est différent. La maladie pourrait l’affecter différemment.

— Non, dit Genarr avec acharnement. J’ai une autre idée. Je crois que si Marlène dit qu’elle est sûre d’être immunisée, c’est qu’elle est immunisée, et nous trouverons là de quoi résoudre l’énigme de la Peste. »

Le visage d’Insigna blêmit. « Voilà donc pourquoi tu veux qu’elle reste sur Erythro ? Pour l’utiliser comme un instrument contre la Peste ?

— Non. Mais elle veut rester et sera peut-être un instrument contre la maladie, que nous le voulions ou non.

— Et tu crois sérieusement qu’il faut lui permettre de rester ici uniquement parce qu’elle le souhaite ? Tu oses me dire cela ? »

Genarr répondit à contrecœur : « Je suis tenté de le croire.

— C’est facile pour toi. Ce n’est pas ton enfant. Moi, c’est ma fille. C’est tout ce qui …

— Je sais. C’est tout ce qui te reste de … Crile. Ne me regarde pas comme ça. Je sais que tu ne t’es jamais remise de son départ. Je comprends ce que tu ressens. » Il dit cela doucement, gentiment, et parut sur le point de tendre la main pour caresser la tête penchée d’Insigna.

« Si Marlène veut vraiment explorer Erythro, je pense que rien ne l’empêchera de le faire. Et si elle est absolument convaincue que la Peste ne peut pas toucher son esprit, peut-être que cette attitude mentale l’en protégera. La confiance et l’équilibre de Marlène, c’est peut-être son mécanisme mental d’immunité. »

Insigna redressa la tête, les yeux brûlants de colère. « Tu dis des absurdités, et tu n’as pas le droit de t’abandonner à ce brusque engouement pour une enfant. C’est une étrangère pour toi. Tu ne l’aimes pas.

— Ce n’est pas une étrangère pour moi et je l’aime beaucoup. Plus important encore, je l’admire. L’amour ne peut pas donner la force de courir un tel risque ; l’admiration le peut. Penses-y. »

Et ils restèrent là, à se regarder.

Chapitre 20