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— Et tu penses que c’est le Soleil qui empêche les gens de venir à l’observatoire ?

— Peut-être pas consciemment, mais sa vue les met mal à l’aise. On a tendance à penser que le Soleil est loin, très loin, inaccessible, dans un univers totalement différent. Cependant, il brille dans le ciel, il s’impose à notre attention ; en le voyant, nous nous sentons coupables de l’avoir abandonné.

— Mais alors, pourquoi les adolescents et les enfants ne viennent-ils pas à la salle d’observation ? Ils ne savent que peu de chose sur le Soleil et le système solaire.

— Nous, les adultes, nous leur offrons un exemple négatif. Quand nous aurons disparu, quand il n’y aura plus personne pour qui le mot Soleil reste un nom propre, je pense que le ciel appartiendra de nouveau à Rotor et qu’il y aura beaucoup de monde ici … si cet endroit existe toujours.

— Tu crois qu’il pourrait ne plus exister ?

— On ne peut pas prévoir l’avenir, Eugenia.

— Nous sommes en pleine prospérité et en pleine croissance.

— Oui, mais ce Soleil brillant, cet intrus, m’inquiète.

— Notre vieux Soleil. Que peut-il faire ? Il ne peut pas nous atteindre.

— Bien sûr que si. » Genarr regardait fixement l’étoile qui brillait dans le secteur ouest du ciel. « Ceux que nous avons laissés derrière nous sur Terre et dans les colonies vont forcément finir par découvrir Némésis. Peut-être est-ce déjà fait. Et peut-être ont-ils découvert l’hyper-assistance. Notre disparition a dû les stimuler fortement.

— Mais nous sommes partis depuis quatorze ans ! Pourquoi ne sont-ils pas déjà arrivés ?

— Ils ne savent pas si nous avons réussi. Ils pensent peut-être que nos débris sont éparpillés entre le Soleil et Némésis.

— Nous avons eu le courage d’essayer.

— Oui, c’est vrai. Crois-tu que nous l’aurions fait sans Pitt ? C’est lui qui nous a entraînés, et je doute qu’il y ait un autre Pitt dans les colonies ou sur Terre. Tu sais que je ne l’aime pas. Je désapprouve ses méthodes, sa morale, ou plutôt son mépris pour toute morale, son hypocrisie, sa capacité à envoyer de sang-froid une jeune fille comme Marlène à ce qu’il espère être sa destruction, et cependant, si nous nous en tenons aux résultats, il sera peut-être considéré par l’histoire comme un grand homme.

— Comme un grand leader. C’est toi, le grand homme, Siever. C’est clair. »

Il y eut de nouveau un silence, jusqu’à ce que Genarr reprenne d’une voix douce : « Je prévois tout de même qu’ils se lanceront à notre poursuite. C’est ce que je crains le plus et ce sentiment s’accroît lorsque l’intrus brille au-dessus de ma tête. Cela fait quatorze ans que nous avons quitté le système solaire. Qu’est-ce qu’ils ont fait pendant ce temps-là ? Tu ne te l’es jamais demandé, Eugenia ?

— Jamais, répondit-elle, à demi endormie. Ce que je crains est plus imminent. »

Chapitre 22

L’astéroïde

48

Le 22 août 2235 ! Cette date avait un sens pour Crile Fisher, car c’était l’anniversaire de Tessa Wendel. Pour être précis, c’était son cinquante-troisième anniversaire. Elle ne fit aucune allusion à cette journée, ni à sa signification, peut-être parce qu’elle avait été si fière de son apparence juvénile sur Adelia, ou parce qu’elle n’oubliait pas assez qu’elle avait cinq ans de plus que Fisher.

Mais Crile se moquait de cette différence d’âge toute relative.

Même s’il n’avait pas été attiré par l’intelligence et l’énergie sexuelle de Tessa, c’était elle qui détenait la clef de Rotor et il le savait.

De fines rides entouraient maintenant ses yeux et la chair de ses bras manquait nettement de fermeté, mais elle avait réussi à faire oublier son anniversaire et c’était pour elle un triomphe ; elle entra d’un pas allègre dans l’appartement, plus luxueux d’année en année, et, avec un sourire de satisfaction, se jeta dans son fauteuil à champ de contention.

« Cela s’est passé aussi bien dans l’espace interstellaire. Une perfection absolue.

— J’aurais bien voulu y être.

— Moi aussi, Crile, mais on n’a fait venir que ceux qui avaient vraiment besoin de savoir ; et puis je t’ai déjà impliqué là-dedans plus que j’aurais dû. »

L’objectif avait été Hypermnestra, un astéroïde tout à fait quelconque, mais qui à ce moment-là n’était ni trop près des autres astéroïdes ni, ce qui était plus important, trop près de Jupiter. Aucune colonie ne le revendiquait, personne ne s’y était jamais posé. Et, pour couronner le tout, les deux premières syllabes de son nom semblaient le prédestiner à devenir le but d’un vol supraluminique à travers l’hyperespace.

« Je suppose que le vaisseau y est arrivé sain et sauf.

— A dix mille kilomètres de l’astéroïde. On aurait pu l’amener plus près, mais on ne voulait pas risquer une intensification de son champ gravitationnel, même très faible. Et le vaisseau est revenu, bien sûr, au point prédéterminé. Il a, ensuite, été ramené par deux vaisseaux ordinaires.

— Je suppose que les colonies faisaient le guet.

— Bien sûr, mais on peut voir un vaisseau disparaître sans savoir où il va ; ni s’il voyage à une vitesse infraluminique ou supraluminique ; ni, surtout, comment il est propulsé. Ce qu’ils ont vu ne signifie rien.

— Il n’y avait personne aux abords d’Hypermnestra ?

— Il était impossible de connaître sa destination, sauf en cas de fuite, et apparemment cela ne s’est pas produit. Dans l’ensemble, les résultats sont très satisfaisants, Crile.

— C’est un pas de géant.

— C’est le premier vaisseau capable d’emporter un être humain à une vitesse supraluminique, mais, comme tu le sais, son équipage se composait en tout et pour tout d’un robot.

— Il a bien fonctionné ?

— Tout à fait, mais ce n’est pas très révélateur, sauf que cela prouve que nous pouvons transférer une masse relativement grande et la récupérer intacte … au moins à l’échelle macroscopique. Il faudra plusieurs semaines d’inspection pour s’assurer qu’aucun dommage n’a été commis à l’échelle microscopique. Ensuite, il nous restera à construire des vaisseaux plus grands, à vérifier que les équipements de survie fonctionnent, à multiplier les dispositifs de sécurité. Un robot peut supporter des agressions auxquels des êtres humains ne survivraient pas.

— Et vous êtes dans les temps ?

— Jusqu’ici, oui. Encore un an, un an et demi et — si aucun accident imprévu, aucun désastre, ne survient — nous devrions surprendre les Rotoriens, en supposant qu’ils existent encore. »

Fisher fit la grimace et Wendel dit, avec un air de chien battu : « Excuse-moi. Je me promets toujours de ne plus dire ce genre de choses et cela m’échappe tout de même de temps à autre.

— Ça ne fait rien. Ma participation au premier voyage vers Rotor est toujours au programme ?

— On ne peut pas se protéger contre les brusques changements de priorités.

— Mais jusqu’à maintenant ?

— Tanayama avait laissé un mot disant qu’on t’avait promis une place ; je ne me serais pas attendu à cela de sa part. Koropatsky m’en a signalé l’existence aujourd’hui, après notre succès, quand j’ai estimé que c’était le moment d’en parler.

— Bien ! Tanayama me l’avait promis une fois, oralement. Je suis content qu’il ait enregistré cela par écrit.

— J’aimerais bien que tu me dises pourquoi il te l’a promis. Tanayama n’était pas homme à donner quelque chose pour rien.