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Napoléon, le samedi 13 février 1813, fait publier le Concordat dans la presse. Et, en France et en Italie, toutes les églises saluent l'événement en célébrant des Te Deum.

Voilà ce qui compte ! Que l'on me traite après cela d'Antéchrist, de roi païen !

Il reçoit avec ironie l'envoyé de Metternich, l'Autrichien Bubna, l'interpelle, méprisant, au sujet de l'armistice que Schwarzenberg a signé à Zeyes avec les Russes.

- Vous voulez tirer votre corps auxiliaire du jeu, vous avez changé de système !

Mais il faudra que Vienne ait alors la franchise d'une rupture, que François Ier ose affronter sa fille, qui sera peut-être régente, et un empereur qui est au mieux avec le pape.

Qu'on sache bien cela, à Vienne, dit-il, et il le répétera devant le Corps législatif : « Je désire la paix mais je ne ferai qu'une paix honorable. »

Il se sent à nouveau maître du jeu.

- Dieu m'a donné la force et la joie d'entreprendre de grandes choses, dit-il. Je ne dois pas les laisser imparfaites.

Il feuillette Le Moniteur qui publie le texte du Concordat.

- Le clergé est une puissance qui n'est jamais stationnaire, ajoute-t-il. Ennemi s'il n'est pas ami, ses services ne sont pas gratuits. Il faut que le clergé s'occupe de nous réconcilier avec le Ciel, qu'il console nos femmes et nous, quand nous vieillirons, et qu'il nous abandonne la puissance de ce monde : roi dans le temple, sujet à la porte.

10.

Il est assis dans son cabinet de travail aux Tuileries. Il n'a pas tourné la tête lorsque Molé est entré. Il continue de regarder ce ciel partagé qui hésite entre l'hiver et le printemps, bleu vif parfois, puis bas et sombre, avec des giboulées rageuses.

C'est ce qu'il ressent en lui, ce balancement entre une énergie enthousiaste, cette volonté plus forte qu'il ne l'a jamais eue, et brusquement cet accès de lassitude.

Il a présidé de grandes parades et des revues durant le mois de février 1813, dans la cour des Tuileries, au Carrousel. Il a vu défiler ces régiments provisoires composés de conscrits à peine incorporés. Il est passé dans les rangs de la Jeune Garde. Il a confiance en ces hommes mais, malgré leurs uniformes et leurs fusils neufs, sont-ils déjà des soldats ? Ils sont bien tendres pour affronter le feu.

Mais ce n'est pas cela qui, tout à coup, brise son élan, le fait s'interrompre de dicter alors qu'au milieu de la nuit il est là, dans ce cabinet de travail, avec un secrétaire. Il prépare la campagne à venir, il organise les plantations de betteraves qui vont permettre de se passer du sucre des colonies, ou bien il précise qu'il ne veut plus, en campagne, voir autant de cuisiniers autour de lui : « Moins de vaisselle, aucun grand nécessaire, et cela autant pour donner l'exemple que pour diminuer les embarras. »

Mais tout à coup la voix lui manque.

Tout cela, il l'a déjà vécu. Il l'a déjà dit. Il l'a déjà vu. Il a le sentiment qu'il répète, qu'il retrouve les traces de ses pas. Mais qu'il n'a plus la légèreté, la hargne et l'avidité d'autrefois. L'énergie lui reste, mais comme une habitude.

Il a chassé deux jours de suite au bois de Boulogne. Il a participé à un bal masqué chez Hortense, et c'est lui qui avait ordonné qu'il soit organisé. Et il n'a éprouvé aucune joie. Vivre, vaincre devient un recommencement. Il est une machine. Il tourne parce qu'il a tourné. Il fait des plans de campagne pour bousculer les troupes qui lui seront opposées, russes, prussiennes aussi, sans doute. Les itinéraires qu'il trace sur les cartes d'Allemagne surgissent de son esprit presque sans effort.

Il connaît ces collines, ces fleuves et ces villes. Il a déjà parcouru maintes fois ces chemins. Il a défait toutes les armées possibles. Pourra-t-il faire mieux qu'à Austerlitz, qu'à Iéna, qu'à Wagram ?

Il invite Molé à s'asseoir. Il apprécie cet homme ambitieux, descendant d'une des plus illustres familles de parlementaires de la monarchie. Molé est un flatteur. Napoléon le sait. Au Sénat, le 4 mars 1813, en présentant le budget, il a parlé des merveilles qui étonneraient un prince du temps des Médicis et qui ont été réalisées en « douze années de guerre et un seul homme ».

Moi !

Napoléon n'est pas dupe des flagorneurs. Il écarte les dépêches qui sont placées sur sa table.

Pas une qui n'annonce une mauvaise nouvelle. Les Russes sont entrés dans Varsovie. La Prusse s'exalte, se lève contre moi, signe un traité avec Alexandre Ier, déclare la guerre le 17 mars 1813. Bernadotte s'allie avec les Anglais contre moi, contre son pays ! Eugène, à qui j'ai confié l'armée, évacue Berlin, Hambourg et Dresde.

Il a écrit à Eugène. « Je ne vois pas ce qui vous obligeait à quitter Berlin... Il faut enfin commencer à faire la guerre. Nos opérations militaires sont l'objet des risées de nos alliés à Vienne et de nos ennemis à Londres, et à Saint-Pétersbourg parce que constamment l'armée s'en va huit jours avant que l'infanterie ennemie soit arrivée, à l'approche des troupes légères et sur de simples bruits. »

Mon armée ! Je peux redresser cette situation.

Il se lève, passe dans le cabinet des cartes, suivi par Molé.

- Mon intention est de prendre vigoureusement l'offensive du mois de mai, reprendre Dresde, dégager les places de l'Oder et, selon les circonstances, débloquer Dantzig et rejeter l'ennemi derrière la Vistule.

Il peut aussi attirer l'ennemi dans la haute vallée de la Saale, le tourner, le couper de l'Elbe.

Il voit ces mouvements de troupes. Il a dans les yeux les paysages de ces régions. Il a fait tout cela. Et il lui faut recommencer. Il le peut. Il le doit. C'est un rocher qu'il pousse au sommet de la pente. Il est Sisyphe.

Il retourne dans le cabinet de travail, reprend place à sa table. Molé sait-il que le pape, ce brave homme, murmure-t-il d'un ton sarcastique, a décidé de se rétracter, de retirer sa signature du Concordat signé il y a deux mois ?

Le pape a écrit que son infaillibilité ne l'a pas préservé d'une erreur que sa conscience lui reproche. Et naturellement, cette lettre pontificale va être répandue dans Paris par ces cardinaux noirs qui me sont hostiles, qui vont trouver tous les complices nécessaires chez les dévotes du faubourg Saint-Germain !

Mais demain, 25 mars, le Concordat sera malgré tout décrété. Et le 30 mars sera organisé le Conseil de régence, avec à sa tête l'Impératrice, que Cambacérès conseillera.

- Qu'en pensez-vous, Molé ?

- Votre Majesté a voulu préserver la France d'une surprise, d'un coup de main comme celui de Malet..., commence Molé.

Il hésite, reprend :

- Pendant qu'elle serait à la tête de ses armées. Le public s'attendait depuis longtemps à voir paraître cette loi importante.

Napoléon se lève.

- Tout cela est bien peu de chose, dit-il. Croyez que je ne me fais pas d'illusions. Si j'écris un testament, certainement, après moi, il sera cassé. Un sénatus-consulte serait-il plus respecté ?

Molé se récrie.

- En apprenant votre mort, murmure-t-il, les partis stupéfaits auront besoin de se recueillir, tout dépendra de la promptitude et de l'énergie avec lesquelles le gouvernement de la régence saura profiter de ce premier moment d'hésitation.

Tel est le moment de ma vie. On y parle de ma mort et de ma succession. Non plus pour assurer mon pouvoir, comme jadis, mais pour examiner réellement ce qui adviendra quand j'aurai disparu.

Napoléon a un geste de lassitude.

- Bah, dit-il, il faut que le roi de Rome ait vingt ans et soit un homme distingué, tout le reste n'est rien.