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Ces mots l'exaltent. Il sort à plusieurs reprises sur la terrasse. C'est comme s'il avait besoin de les hurler aux troupes rassemblées. Elles seront bientôt là, il en est sûr.

« Soldats, arrachez les couleurs que la nation a proscrites et qui pendant vingt-cinq ans servirent de ralliement à tous les ennemis de la France ! Arborez cette cocarde tricolore : vous la portiez dans nos grandes journées. Reprenez vos aigles que vous aviez à Ulm, à Austerlitz, à Iéna, à Eylau, à Friedland, à Tudela, à Eckmühl, à Essling, à Wagram, à Smolensk, à la Moskova, à Lützen, à Würschen, à Montmirail... Pensez-vous que cette poignée de Français aujourd'hui si arrogants puissent en soutenir la vue ? Ils retourneront d'où ils viennent ; et là, s'ils le veulent, ils régneront comme ils prétendent avoir régné pendant dix-neuf ans. »

Le secret n'est plus possible.

Il s'approche de sa mère. Il lui caresse les cheveux. Il la sent inquiète. Durant tout le dîner, elle l'a observé, s'étonnant parfois de son silence. Tout à coup, il dit :

- Je vous préviens que je pars la nuit prochaine.

- Pour aller où ?

- À Paris, mais avant tout je vous demande conseil.

Il la regarde. Il a confiance dans cette femme qui n'a jamais tenté de le retenir et au contraire lui a appris à s'élancer.

Il l'entend qui soupire.

- Ce qui doit être sera, murmure-t-elle. Que Dieu vous aide. Je me reprocherais de vous dire rien d'autre. Mais s'il est écrit que vous devez mourir, le ciel, qui n'a pas voulu que ce soit dans un repos indigne de vous, ne voudra pas, j'espère, que ce soit par le poison mais l'épée à la main.

Il se retire. Il lit l'Histoire de Charles Quint, puis le sommeil le prend pour quelques heures, et c'est déjà l'aube du dimanche 26 février 1815. La journée s'annonce radieuse. Y aura-t-il du vent ce soir, un souffle qui doit pousser vers le nord la petite flottille.

Il regarde vers Portoferraio. L'embarquement à bord des navires continue. La foule est dense sur les quais. Il entend des cris, des pas. Des Elbois sont rassemblés sur l'esplanade derrière les Mulini. Il s'avance. On le presse, on s'agenouille, on l'embrasse. Mais l'heure n'est pas encore venue d'expliquer. Il rentre. Il faut brûler les papiers. Puis il descend sur le port inspecter les navires, dont un bâtiment marseillais que l'on retient de force depuis cinq jours et où commencent à embarquer les chasseurs polonais, cependant qu'on jette par-dessus bord la cargaison pour leur ménager de la place.

Dans la soirée, il reçoit une délégation des Elbois. Il est impatient. Ce temps est fini. Il est déjà ailleurs, la mer traversée, sur les routes qui conduisent à Paris.

- Messieurs, je vous quitte. La France m'appelle. Les Bourbons l'ont ruinée. Plusieurs des nations d'Europe m'y verront revenir avec plaisir.

Il dîne avec sa mère et la princesse Pauline qui pleure, le visage défait. Il se détourne, puis, quand Pauline veut lui remettre un collier, il l'entraîne dans le jardin, ému. C'est toujours à lui de consoler.

Sur les quais, dans la nuit tombée, il traverse la foule en calèche. Toutes les maisons sont illuminées. On crie : « Viva l'Imperatore, Evviva Napoleone ! »

Il se lève. Il regarde cette mer de visages qui recouvre les quais du port.

- Elbois, je rends hommage à votre conduite. Tandis qu'il était à l'ordre du jour de m'abreuver d'amertume, vous m'avez entouré de votre amour et de votre dévouement... Votre souvenir me sera toujours cher. Adieu, Elbois ! Je vous aime. Vous êtes les braves de la Toscane.

Il saute dans une barque.

Il regarde la masse sombre de l'Inconstant, qui se dresse à l'entrée du port. Une clameur s'élève, roule sur la surface de la mer, et lui répond le chant des soldats embarqués :

Allons enfants de la Patrie

Le jour de gloire est arrivé.

- Ah, la France, la France, murmure-t-il.

Vers minuit, ce dimanche 26 février 1815, le vent du sud se lève enfin.

À dix heures, le lundi 27, une voile apparaît à l'horizon, c'est la Partridge. Elle semble même se rapprocher. Il faut couper les amarres des canots que l'on remorque pour aller plus vite. Napoléon donne l'ordre de se rendre aux postes de combat. Puis, dans sa lunette, il voit la Partridge s'éloigner. Le destin.

Il fait quelques pas sur la dunette.

- Campbell sera bien déconcerté lorsque le commandant de cette corvette lui annoncera que j'ai quitté l'île d'Elbe, dit-il.

Il s'assied sur le pont. Au milieu de l'après-midi, de la vigie, un marin crie qu'il aperçoit les voiles de deux navires.

Ce sont les frégates françaises de surveillance, mais elles disparaissent bientôt à l'horizon. Puis, au crépuscule, un brick français, le Zéphyr, s'approche de l'Inconstant. Les grenadiers se sont couchés sur le pont. Le capitaine du navire demande au porte-voix des nouvelles de l'Empereur.

Et le Zéphyr s'éloigne à son tour.

C'est la nuit obscure sans une lueur lunaire, comme il l'avait prévu. Une brise régulière souffle.

Le mardi 28 février 1815, vers midi, la côte française apparaît.

Napoléon est à la proue. Il se tourne vers les officiers rassemblés derrière lui, tendus eux aussi vers cette ligne bleue sombre qui apparaît.

- J'arriverai à Paris sans tirer un coup de fusil, dit-il.

Septième partie

Français, ma volonté est celle du peuple

1er mars 1815 - 12 juin 1815

26.

Il saute sur le sable de la plage, ce mercredi 1er mars 1815. Il est quatorze heures. Le soleil illumine la mer prisonnière de l'anse du golfe Juan. Toute la flottille est à l'ancre à quelques encablures et les premiers grenadiers ont déjà débarqué. Il les voit, avançant en ligne vers les oliviers, au-delà des roseaux qui ceinturent la plage. Les chaloupes ont commencé leur va-et-vient entre la côte et les navires. Il faudra plusieurs heures, estime-t-il, pour débarquer les douze cents hommes, les chevaux, les quatre canons, les caisses de cartouches. Il ne peut attendre ici. Il faut avancer au plus vite, vers l'intérieur des terres, s'assurer des premières villes, Cannes, Antibes, Grasse.

Le destin, une nouvelle fois, m'a ouvert la route. En avant.

Il va jusqu'à une oliveraie, à quelques centaines de mètres de la plage. Il place lui-même les sentinelles, puis ordonne qu'on monte la tente dans la prairie voisine. Il fait froid. Le soleil commence déjà à décliner. Les journées sont encore courtes. Il appelle le général Cambronne, qui commandera l'avant-garde. Tout dépendra de lui.

- Je vous confie l'avant-garde de ma plus belle campagne, lui dit-il. Vous ne tirerez pas un seul coup de fusil. Songez que je veux reprendre ma couronne sans verser une goutte de sang.

Il faut donc que les troupes se rallient. On choisira la route du Dauphiné pour éviter les royalistes d'Avignon et de la Provence. C'est à l'avant-garde d'ouvrir la route, sans violence. Il faut que chaque soldat qui s'avancera vers nous avec l'ordre de nous combattre entende ces mots.

Il prend la proclamation destinée à l'armée. Il la lit à haute voix.

« Soldats, venez vous ranger sous les drapeaux de votre chef. La victoire marchera au pas de charge. L'aigle avec les couleurs nationales volera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame. Alors, vous pourrez montrer avec honneur vos cicatrices. Alors, vous pourrez vous vanter de ce que vous aurez fait, vous serez les libérateurs de la patrie ! »