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« Pour quand le fourgon ?

— Pas tout de suite, il vient de Berlin… »

L'impression de Berlin comme tout tonne, flambe, jette des étincelles aux nuages, je le vois pas venir leur fourgon !

« Restez donc assis ! votre femme n'a qu'à venir !… y aura toujours à manger !… c'est l'ordre ! »

Hjalmar y va fort ! il reçoit… il enlève sa menotte au pasteur, qu'il puisse boire manger à son aise et il passe la chaîne autour de sa propre cheville… comme ça personne pourra s'enfuir… service ! le pasteur profite qu'on est autour pour nous faire entendre la parole…

« Dieu voit tout ! »

Tranquille sur son tabouret, il demande encore un autre jus… il s'adresse à nous…

« Sie verstehen ?… vous me comprenez ?

— Ja !… ja !…  »

Qu'il continue !… en allemand… ou en français… à son idée !

« Les hommes ne sont rien !… les chaînes non plus !… Dieu pense à nous !… le jour se lève !… prions !… »

Il faisait pas jour n'importe comment, trop de nuages !… Hjalmar garde champêtre tenait pas du tout à prier… il chuchotait à la bonniche… c'était pour en plus du café le petit « remontant », je crois du genièvre… pourvu je pensais à la Kretzer, qu'elle soit montée voir Lili… pour le ragot c'était certain… mais aussi avec du café, du pain, et du beurre… ils avaient de tout ces Kretzer… quand ils voulaient… nous en tout cas, qu'on veuille ou non, les von Leiden !

Je vous parle toujours du pasteur mais je vous raconte pas son costume, il était pas en redingote, mais en longue blouse grise, et sur sa tête un bada immense, gris aussi, et une voilette nouée sous le menton… l'apiculteur en pleine récolte… d'ailleurs il m'explique… il ne veut pas qu'on s'en aille avant ! il faut qu'on sache… sa garde des ruches, la chasse aux essaims l'avaient mené dans les ailes d'avions… il trouvait toutes ses abeilles là, dans les carlingues… ça faisait plus de deux ans qu'un avion avait décollé… le dernier avion, le dernier pilote, avait fait un trou dans le terrain… l'appareil y était encore et le pilote, enfoui profond… on comptait encore douze avions, immobilisés au sol, bien tranquilles… alors forcément, les essaims se trouvaient attirés !… surtout par l'intérieur des ailes…

« Je leur dirai à Berlin !… ils ne le savent pas, ils ne viennent jamais !… le ciel appartient à Dieu ! Dieu a créé les abeilles ! que sa volonté soit faite !

— Sicher ! certainement ! »

Nous étions d'avis !… Hjalmar casque à pointe approuvait… j'aurais bien parlé du miel…

Quelqu'un venait du fond là-bas… un botté… Kracht, notre Sturmapotheke !… qu'est-ce qu'il venait foutre ?… Hjalmar me le dit, il vient observer… il doit rendre compte de nous, de tout à son Standartführer, Berlin… bon !… le voici !… il a traversé la cour… vite… il pose pas de question au pasteur, mais il nous fait signe : tous debout ! rassemblement !

« Komm ! komm ! »

Qu'on le suive !… où il veut aller ?… Hjalmar enchaîné au pasteur, peut pas bouger… vite ! vite !… la clé ! il se lève !… on lui ôte sa menotte ! voilà… on va aller tous ensemble à la queue leu leu… enfin Kracht parle, nous allons au camp d'aviation, pour l'enquête… il peut pas nous laisser ici ?… bien !… nous voici sur le sentier… d'abord à travers les luzernes et puis par un bois… on va… on va… c'est loin, je trouve… depuis Berlin je trouve que tout est loin… je boquillonne dur… je les suis à distance… ah, ça y est !… une très grande clairière… nous y sommes !… Hjalmar a emporté son bugle, et son tambour… tout ça dans son dos, bringuebalant… il boite aussi, même plus que moi… il doit être aussi, blessé de guerre… nous devons être dans les mêmes carats… ses instruments font un vacarme !… il a repris le pasteur à la chaîne, par le bout, par la menotte… je comprends pas bien ce que veut Kracht, le pourquoi il nous a amenés ?… moi qu'avais à faire au manoir et à la ferme et chez l'épicière… qu'est-ce qu'on venait perdre le temps ici ?… sitôt qu'ils peuvent c'est bien simple tous les gens vous font perdre des heures, des mois… vous leur servez comme de fronton à faire rebondir leurs conneries… et bla ! et bla ! et reblabla !… une heure de cette complaisance vous aurez quinze jours à vous remettre… bla ! bla !… prenez un pur-sang, mettez-le à la charrue, il en aura pour un mois, deux mois, à reprendre sa foulée… peut-être jamais… aussi vous peut-être, d'avoir voulu être aimable, prêter une oreille…

Kracht, pourtant pas le lascar causant, ni chaleureux, devait avoir une bonne raison pour nous amener là, sur ce terrain militaire… nous surtout, Français très spéciaux… où nous n'avions vraiment que foutre !… je vois émerger quelque chose de terre… d'une tranchée… une casquette… une tête… et puis le buste… c'est un aviateur… sergent aviateur… le petit liseré jaune au calot… heil ! heil !… nous tous fixe ! heil ! heil !… il sort tout à fait de son trou… il a plus qu'un bras… si je comprends, il garde le camp, et les avions… quels avions ?… où ?… loin !… il nous montre au bout de la clairière… avec sa jumelle, je vois… il a une jumelle… six avions au sol, en effet… c'est lui le sergent qui avait arrêté le pasteur… sous une carlingue… flagrant délit… ça allait plus… il l'avait déjà pris trois fois !… il s'occupait plus de lui maintenant !… repassé à Hjalmar !… ce sergent aviateur je comprenais ne commandait que par intérim… le Commandant en titre était parti à Berlin… ou Potsdam, chercher des ordres… le sergent essayait de le joindre… toutes les lignes étaient sectionnées… avec ce qui tombait y avait pas à être surpris… une sorte de journal officiel arrivait quand même à Zornhof, à l'aube, le « Communiqué de la Wehrmacht » plus deux trois sérieuses « mises au point »… « Nous reculons sur tous les fronts mais très bientôt notre arme secrète aura anéanti Londres, New York, Moscou. »

Personne faisait plus attention à ces « mises au point »… ni les grivetons, ni les ménagères, ni les prisonniers… le papier seul intéressait, ce papier si rare nous arrivait par cyclistes… déjà quatre avaient disparu, aucune trace !…

A propos, le fourgon cellulaire avait pas non plus beaucoup de chances d'arriver jamais… le pasteur se faisait une raison, Hjalmar de même… en attendant là-haut, aux nuages, c'étaient des sillages de mousse les uns dans les autres, amusants… longs… très longs… et puis brusque ! coupés ! « abstraits » nous dirions… et broum ! cratère sur cratère !… que nous là sur ce terrain à cent kilomètres nous ressentions les rafales de mines… pas du rêve !… j'avais bien fait d'acheter mes cannes… ce magasin maintenant devait être en poudre… qu'était déjà à clairevoie !… question de leur gazette, à propos, où ils l'imprimaient ?… je demande à Kracht…

« Dans un bunker, dix mètres sous terre, au sud de Potsdam !… »

Vraiment, on peut dire des têtus !… mais toujours la question que je me pose : pourquoi il nous avait amenés ?… du moment qu'ils vous invitent à faire un petit tour c'est qu'ils ont une intention… comme l'Harras pour Felixruhe ? qu'est-ce qu'on avait été y foutre ?… je me demande encore… nous étions donc là à admirer le ciel, les mélis-mélos mousse et nuages… brusque il me fait :

« Docteur voulez-vous ? venir avec moi jusqu'aux avions ? vous les voyez ? au bout du terrain… je voudrais vous demander votre avis, pour mon rapport…

— Certainement !… certainement !… »

Mais quel but ?… ce si soudain familier S.S. ? promenade dans les bois ?… m'éloigner des autres ?… le terrain est couvert de cendres… mais tout de même très mou… lui avec ses bottes enfonce encore plus que moi… il a plus de mal à avancer…