Выбрать главу

— Tu crois ? »

On sort à tâtons de sa cellule… la lumière était interdite… et puis on avait pas de bougie… on appelle Iago, il vient vers nous, il nous renifle… je lui touche la tête, il veut bien… je le caresse, il nous laisse passer… La Vigue ramasse les deux gamelles… on repassera aux bibelforscher… Iago nous comprend… il me fait souvenir d'un petit air…

On ne passe pas ainsi chez le monde !

Pas que c'était le chien empiffreur ! non !… mais son daron qu'était infect se faire tirer par lui des heures, que ce pauvre bétail en pouvait plus, sans briffer !… question gamelles, j'en faisais mon affaire ! simplement par cigarettes !… j'allais pas me gêner !… l'armoire d'Harras était là !… puisque je tapais dedans pour Kracht, les autres alors ?… vogue la galère !… les cuisinières de la ferme ?… elles voulaient bien fumer aussi !… et nos sacripants des étables ?… un peu !… et l'épicière !… et le garde champêtre ?… tous !… toutes ! Kretzer et Madame !… ce que j'allais rendre de gens heureux !… délicatement, c'est entendu, mais enfin Harras verrait s'il revenait, sacré farceur, vadrouille à la chasse au typhus ! il serait pas long à comprendre… les trains de bombes là-haut un peu s'il les avait pris sur la pêche, il aurait agi tout pareil !… arsouille !… il irait le chercher son Grünwald et ses demoiselles telefunken et ses jus de fruits ! en flammes tout ça ! flammes !… tout l'horizon ! vertes… oranges… jaunes… et là-haut aux nuages les houles de suie… vers nous… sur nous… furieuses houles… certainement Harras savait… pardi !… plus rien pouvait exister de son Obergesundt ! avec des pincettes il retrouverait pas une fräulein ! ni un Finlandais, ni un garde-corps, tout ça était parti là-haut… il aurait de quoi rire !… ooah ! nous là il s'agissait de trouver notre porte, remonter chez nous… absolument à tâtons… ils avaient que ça comme « passive », défense absolue de toute chandelle !… même une allumette !… pourtant ils en avaient chez eux, dans les chambres, je voyais des lueurs sous les portes… ils se faisaient aussi des frichtis… ça sentait le ragoût… ils devaient se faire des crèmes aussi, une odeur de caramel… bien sûr, ils mangeaient pas à table !… partout, tous les pays en guerre, c'est le vice général, qu'on ne voie pas ce qu'on briffe, ni ce qu'on boit… la rafle des rations de mômes, surtout du lait, pour le café de papa… je voyais à Bezons, je donnais du lait « supplémentaire » pour les « moins de quatre ans », jamais ils en voyaient une goutte… les mères se défendaient d'autres façons, aux tickets… piquaient les baths, envoyaient les gniards jouer dehors, en bas, et bien toutes seules, kil sur table, frogomme, brignolet, personne pour les voir, et pas d'odeur, bâfraient ! petites ogres !… partout, tous les pays en guerre il vous faut être drôlement sioux, une patience de chat, pour voir les gens se régaler… jamais nous ne les voyions se nourrir… une magie ! y avait que Iago et nous de maigres… ça devait suffire pour le hameau… parfaits exemples d'austérité… parfaits hypocrites tous ces spectateurs, manoir, ferme, chaumières… les tartuferies sont comme les langues, elles ont chacune leurs façons, leurs tours… la tartuferie boche rigole pas avec les fortes démonstrations, défilés de masses, aboiements de chefs, fols enthousiasmes, über alles ! mais dans les familles, mahlzeit la crève, bien faire voir qu'on se nourrit juste d'un semblant de soupe, tout en gueulant bien fort ! plus fort !… heil !… heil !… le portrait d'Hitler, haut du mur, idole, minces moustaches, minces lèvres, rit pas du tout… c'est seulement après le mahlzeit… qu'ils montaient chacun chez soi, se mijoter le petit quelque chose… la preuve j'en voyais pas un maigre… un fait certain, notre protectrice Marie-Thérèse était pas privée, elle ne vivait pas que de friandises !… j'espère que Lili avait pu lui demander des « restes » pour La Vigue, moi… où que j'aie vu, tous ces rassemblements de dames, tourneuses de tables, liseuses de mains, diseuses d'avenir, ou folles sensuelles, où que ce soit, Londres, Neuilly, New York, Dakar, sont n° 1 folles gourmandes… de ces grignotages de derrière, oui, mais encore bien plus de sandwichs, montagnes de petits fours… plus tellement de portos, gin, scotch, que ces dames sortent des tables tournantes en état de gonflements et rots… très indécentes… par les deux bouts.

Sûr Lili était pas ivre, je la connaissais… et qu'elle avait pensé à nous… nous montons… nous trouvons notre porte… Lili est là… toute seule… elle nous attendait…

« Alors ?… alors ?… qu'est-ce qu'elle a dit ?

— Qui ?

— La romanichelle…

— Elle a fait parler la table…

— Alors ?

— Qu'elle vous voyait toi et La Vigue dans une grande maison très sombre… très grande…

— C'est tout ?

— Une maison avec des barreaux…

— Pourquoi elle nous a fait sortir ?

— Elle voulait pas parler devant vous…

— Tu crois que c'est une femme ?

— Je suis pas sûre… on la reverra demain… ils ont leur roulotte dans le parc… elle doit revenir chercher les chaises, elles sont toutes à réparer chez Marie-Thérèse et chez le vieux… et aussi à la ferme, en face… »

On pouvait compter sur Lili… elle avait bien pensé à nous… un petit panier entier de sandwichs !… et pas « ersatz » comme à Berlin, des vrais au beurre ! plus des tartines de foie gras… la preuve qu'ils avaient ce qu'ils voulaient !… comment ?… je voyais pas encore… mais je me doutais… d'un condé l'autre… déjà le faux miel, les cigarettes, la marmite du Tanzhalle, et les boules chez l'épicière, on commençait à se défendre… en tapant dans l'armoire d'Harras, carrément, on manquerait de rien… le tout, dans les circonstances difficiles, même très, s'accrocher à des passionnés, donnant, donnant, qu'ils comptent sur vous… « pour soulever la Terre donnez-moi un levier ! » criait Archimède… apportez au fumeur privé, de quoi bourrer sa pipe, il vous livrera les Halles… le fumeur privé est capable de tout, vous trouve tout, vole tout…

Dans l'armoire d'Harras y avait au moins trois ans de tabac… dix ans de « Navy Cut » et « Craven »… six mois de « Lucky »… je nous voyais devenir tous, gras… ils pouvaient attendre les perfides, cul-de-jatte, Kracht, Isis, et autres !… c'était leur plan de nous fatiguer, qu'on en puisse plus… et la diplomatie alors ? vous trouvez un petit compromis, vous pouvez attendre… nous le stock d'Harras… les hommes se fatiguent de tout, même des plus agressifs cocktails… tandis que le perlo, pardon !… est presque plus demandé que la vie !… à l'exécution capitale, à choisir, rhum ?… tabac ?… la cigarette gagne… je voyais, par notre petit moyen, qu'on arriverait parfaitement à se passer de nos tickets… seulement sûr ils deviendraient infects du moment où ils verraient bien qu'on les enquiquine… on pouvait même assez prévoir qu'ils deviendraient sauvages… pour nous donc c'était pas trop tôt d'aviser le moyen de foutre le camp… avant qu'ils nous jouent je ne sais quoi ? certainement j'avais une idée… deux… trois… quatre… je suis pas malin mais je me doute… je suis pas optimiste… je pesais le pour… le contre… depuis des mois… sans mettre personne au courant… ni Lili… ni La Vigue… on verrait ! là dans l'instant même je me demandais ce qu'elles avaient pu se dire… d'abord dans notre réduit de tour, et puis là-haut chez l'héritière ? pas qu'interrogé les tables !… elles avaient goûté, et très bien, la preuve les feuilletés à la fraise, confit d'oie, sardines, pain blanc, tout ce que Lili avait prélevé pour nous… il y en avait, il paraît, dix fois autant !…