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Je vous disais donc, à table, au cérémonial mahlzeit toutes les secrétaires et Kracht, reprenaient de la soupe, comme nous… nous absolument sans grimaces, eux un petit peu… Kracht pour encore plus de zèle, se met à rétrécir sa moustache, plus mince que celle du Führer… trois poils… toute la table en faisait la remarque, pas hautement, mais pire, chuchotant…

Et pas qu'avaler la soupe tiède, il fallait aussi converser… bien faire preuve et tous les jours d'excellent moral… commenter les dernières nouvelles… Frau Kretzer était notre gazette… d'où elle savait ?… elle a jamais dit… juste la plus récente nouvelle : leur Revizor, l'Inspecteur-juré pour le Brandebourg, était parti de Berlin il y avait plus de trois semaines, il devait s'être perdu… et on pouvait rien faire sans lui, tous les comptes de la Dienstelle devaient attendre… aucun signe !… il devait venir par Moorsburg… peut-être retenu quelque part ?… mais où ?… par qui ?…

Vite un autre sujet !… quand Frau Kretzer pleurait plus elle plaisantait, folichonnait d'une façon assez gênante, je veux dire pour les hommes… là à propos d'une roulotte, dans notre parc… si ces messieurs y avaient été ? ce qu'ils en pensaient ?… des jeunes gitanes, jolies ! de ces regards ! des braises ! ce qu'ils en pensaient eux, les comptables ?… et l'S.S. Kracht ? pas celle qu'était venue là-haut, dans notre tour, cette virago mal embouchée qui nous avait fait sortir, moi, La Vigue… non ! d'autres ! fillettes ravissantes… précoces !… ondulantes !… lascives ! véritablement orientales ! et de ces seins !

« Vous avez résisté, Kracht ? »

Il avait pas été les voir…

« Mais si !… mais si !… »

Toutes les demoiselles riaient bien, elles l'avaient vu !… il se défendait…

« Nein ! nein !

— Ja !… ja !… ja !… »

Pas prouvé ! la garce Kretzer pensait qu'à ça… bisque ! bisque !…

Ils se traitent de tout !… ils vont se jeter les assiettes !

J'interviens… Kretzer est dangereuse !

« On va y aller nous tous les trois ! »

Je veux dire La Vigue, moi, Lili.

« On vous dira si elles sont belles ! »

On aurait le cœur net !… d'abord et d'un, je voulais savoir si celle qu'était venue chez nous, l'insolente, était un homme ou une femme… je la ferai sortir de sa roulotte… qu'elle nous reparle de la « maison noire »… et de notre avenir !… ils devaient pas avoir de Lucky tout romanichels qu'ils étaient !… le tabac, surtout blond, mieux que la gniole, mieux que le beurre, j'ai dit mieux que l'or, vous fait savoir ce que vous voulez… vous fait parler les pires hostiles… du moment que vous avez le paquet, là ! offert… pas des mots !… et des allumettes… si vous vous mettez tentateurs vous devez savoir où vous allez… nous d'abord Bébert dans son sac, je voulais pas le laisser aux Kretzer… ni aux petites lutines polonaises… ni aux comptables… l'idée qu'ils lui feraient un sort !… ils aimaient aucun animal, aucun chien ni chat à la ferme… sauf Iago en bas, lui l'utile pour haler le vieux, et montrer ses côtes, qu'au manoir c'était la famine.

Nous nous levons de table… salut à tous ! heil ! heil ! ils nous répondent…

A la roulotte !… elle est pas loin cent mètres à gauche… zut !… les « objecteurs de conscience » bâtissent encore une autre isba !… infatigable clique !… ah, la roulotte, là je vois, à côté !… très biscornue, réparée, et de toutes les couleurs… bariolée jaune… violet… rose… comme camouflée… c'est peut-être voulu ?… de près ce que c'est ?… on s'approche… à un carreau une petite fenêtre, un vieux nous regarde… il ouvre…

« Que voulez-vous ? »

Il parle français… il doit savoir qui nous sommes… un vieux tout blanc, tout frisé… pas aimable… il parle allemand, mais drôle, pas l'accent tzigane… il chuinte… allemand… français…

« Fas follen chie ?… fous êtes franchais ?

— Oui !… oui !… c'est nous !

— Ponjour !… »

Tout de suite des Lucky !… et du « jaune » !… j'avais prévu…

« Ah allumettes ! franchaiges aussi ? »

… Accent du Massif Central…

Je lui passe la boîte… qu'il les garde… il appelle dans la roulotte.

« Zénoné !… Laïka ! Sinül !… »

Ces demoiselles viennent nous voir… et bien d'autres… toutes aux fenêtres… elles devaient être en train de travailler… au fond… d'habitude les romanis travaillent à l'air, eux pas !… je vois, elles réparent des chaises… d'après les voix, des femmes, des hommes, ils doivent être assez nombreux… ils parlent hongrois ?… tchèque ?… ah, je vois les têtes… surtout des femmes… jeunes, je crois… ah mais pas belles… la Kretzer les a pas regardées ! moi ce que je vois, en effet l'air oriental, mais toutes bien fripées, à bout… les cheveux en paquet… gros paquets d'huile… pas irrésistibles du tout !… elles sont moins bien que les bonniches russes, pourtant très surmenées pareil… les Russes se défendent toujours par leur peau même les plus bineuses, piocheuses, tous les temps, dehors, glace, rafales, soleil… oh, pas du tout ces gitanes !… vous diriez badigeonnées à l'huile et soufre… pas que les femmes, les hommes aussi, cuivrés en plus… le vieux portait des boucles d'oreilles… les femmes n'avaient pas de bijoux… il me semble qu'ils ne parlaient pas tous la même langue… en tout cas ils étaient tassés !… je voyais pas notre « diseuse d'avenir »… ils réparaient tous des paniers, des chaises ?… je questionne… ils parlent pas allemand, seulement le vieux… sprechen nicht !… ils savent que ça avec les gestes… nein ! nein ! l'allemand doit leur être défendu… ils descendent jamais de leur roulotte ? et leurs besoins ?… et la tambouille ? je voyais pas de marmites… ils dorment les uns sur les autres ?… ils sont plus mal ? mieux logés que nous ? ils y voient pas beaucoup plus clair, sûr… contre l'isba, et sous de ces hauteurs d'arbres, de voûtes… d'abord l'entrée de cette roulotte ?… de l'autre côté ?… pas si sûr que ça les chaises, les paniers… ils doivent fabriquer autre chose ? ça ne nous regarde pas, ils nous vireront et c'est tout !… nous sommes venus nous renseigner… quand ils parleront de leurs persiennes, ils entrouvriront peut-être ?… je la regarde encore cette roulotte… comme elle est longue… au moins trente fenêtres… un monument !… et biscornue… en trois… quatre morceaux… quantité de roues… à pneus ballons… et tout ce bazar à moteurs ! deux ! un énorme gazogène arrière… Roger qui voulait des comics !… là dessiné, il aurait ! quatre petites cheminées en plus… sans doute leurs cuisines ? et j'avais pas encore tout vu… de l'autre côté encore plein d'hublots… et d'énormes crochets… une vingtaine… une des jeunes gitanes apparaît… voir ce qu'on veut ?… oh, très aimable !… grand sourire… il lui manque des dents… elle nous montre un tambourin… elle tape dessus… pam !… pam !… sûrement elle danse !… ja ! ja !… nous irons la voir !… refaisons le tour !… vraiment l'hétéroclite bastringue réparé de partout… bouts de zinc, fils de fer, ficelles… et peinturluré rose, jaune, vert… plus des dessins… des signes… arabesques… je vais demander au vieux… s'il est toujours là… oui ! oui ! à la même fenêtre… il m'entend pas, il m'écoute pas… il joue du violon… et pas mal… tzigane, mais pas mal… ils doivent répéter… on les verra à cette séance… « Force par la Joie »… ça aura lieu au Tanzhalle… on devient copains par la fenêtre… les autres, les jeunes sont renfrognés… sauf la danseuse au tambourin… le vieux regarde, plus près, la main de Lili, il lui palpe les doigts… « cholie bague ! cholie bague ! roubis ! roubis !… moi aussi roubis ! »… il nous l'avait pas montrée, il l'avait retournée à son doigt… vers la paume… un roubis ! et une émeraude… l'autre doigt, il nous montre, un saphir… et au petit doigt un « tiamant pleu » !… il nous fait tout voir !… « combien votre roubis cholie dame ? fous foulez pas vendre ? » et plus bas, chuchotant « ils fous foleront tout ! » je vois que ce vieux fait pas que du violon, joaillier il est, aussi…