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« Sie wissen nicht ? vous ne savez pas ?… le gitan ?… le vieux joue de la harpe, pas que du violon ! ach !… ach ! »

Ça la reprend.

Elle va nous montrer dehors !… qu'on regarde !… le parc ! la roulotte !…

« Alle Kabbala !… tous cabale, wunderbar !… vous n'avez pas vu ? ils n'ont pas vu !… merveilleux !… »

Que nous sommes idiots, à plaindre !… ach ! ach !… tous !… moi j'ai rien vu… La Vigue un peu… Kracht lui, oui !… quoi ?… les signes, les dessins… c'est tout ?… cabalistiques, peinturlurés, rose… vert… et alors ?… je veux tout savoir… de l'autre côté de la roulotte… Kracht m'explique… j'avais pas remarqué… j'aurais dû… un peu de mémoire… un certain âge vous avez pour gagner votre vie essayé tout… oh, là ! là ! très très miteusement, il est vrai, mais tout de même… aux temps où j'étais employé, livreur, secrétaire chez Paul Laffitte, je cavalais grand galop… alors, bien plus économique, agile, que le métro n° 1, entre Gance, Mardrus, Mme Fraya, Bénénictus, et l'imprimerie de la rue du Temple… et Vaschid, des « lignes à la main », et Van Dongen, Villa Saïd… les esprits vont sans doute très vite, mais je les crains pas… surtout à la poulopade à travers Boulevards, les Champs-Élysées et les Ternes… chercher les épreuves, jamais les perdre, rassembler tout, plus, rédiger un commentaire, de style si prenant sorcelant que le lecteur dorme plus, vive plus, d'avoir le prochain « numéro »… je peux dire que la façon Schéhérazade, suspense et magie, je l'ai possédée, bien à la plume… il y a un demi-siècle… plus les livraisons, épreuves, et graveurs, et mise en pages… entièrement à pied, au sport, sprint en sprint… sans frais d'omnibus ni de métro… pourtant là, la roulotte j'avoue, j'avais rien vu… fatigue ?… l'âge ? j'avais pas vu les bariolures ésotériques… mais j'avais bien vu Isis von Leiden… et sa fille et les servantes… j'en parle pas… on me demande rien… j'ai qu'à réfléchir et c'est tout… un moment il devient si dangereux d'avoir l'air de se demander si…

Toujours, on a mis la Kretzer en méchant état… elle nous roule des yeux !… elle est prête aussi à bondir, comme Isis… je connais l'hystérie, vous pensez… mais vous observez peu en France de ces formes, je dirais, guerrières… ce sont plutôt, chez nos femmes et nos jeunes gens, des petites secousses, pâleurs, larmes, grands cris… Isis von Leiden attrapant le fusil du cul-de-jatte, au vol, d'un bond, nous avait montré cette forme d'hystérie agressive, sans pâleur, sans cris, la forme d'assaut, si j'ose dire… je voyais la Kretzer assez prête à en faire autant, nous menaçant d'un Mauser quelconque… en lui répondant ja ! ja ! ja ! à tout… ja ! ja !… elle pouvait se calmer… mais non !… la voici debout contre la table, les deux tuniques de ses fils, pressées contre son cœur… qu'est-ce qu'elle voulait ? pas des ja ! ja !… des ach ! ach ! alors ?… qu'on rugisse ?… non ! elle va nous dire tout ce qu'elle pense ! elle monte sur sa chaise et elle s'adresse à la table…

« Oui !… oui !… noch ! encore ! vous ne savez pas ? vous ne savez rien !… la comtesse von Tcheppe est là !… oui !… elle sera ici demain ! »

Qu'est-ce que ça faisait ?… je comprenais pas ?… qui c'était d'abord cette Tcheppe ? Kracht savait, lui… il laisse la Kretzer gueuler… de quoi ?… pourquoi ?… des trucs à eux, elle aimait pas cette Tulff-Tcheppe… Kracht me renseigne, il peut parler, les cris de la Kretzer couvrent tout… j'ai ouï bien des cris, des cris d'orateurs, des cris de prisonniers, des cris de cancéreux, des cris de ministres, des cris de généraux, des cris d'accouchements, bien d'autres encore, mais là je dois dire la Kretzer n'était pas à interrompre… une comédie mais dangereuse, je crois pas qu'elle ait eu le cœur solide… qu'elle hurle, aucune importance, mais qu'elle défaille, ça irait mal… je lui fais répéter ce qu'il me disait… cette dame Tulff est à Moorsburg, elle passe une semaine chez le Landrat… comtesse Tulff von Tcheppe… il savait tout, lui… quelle parenté ?… mère d'Isis von Leiden… mère adoptive… elle arrive de Königsberg… elle s'ennuie fort à Königsberg… détail important : elle parle français et très bien !… et elle adore les Français !… elle sera bien contente de nous voir ! tant mieux !… tant mieux !… elle tombe pile !… elle est un peu exubérante, Kracht me prévient… certainement elle nous invitera, tous les quatre… et le chat ?… le chat aussi !… elle possède un domaine immense, là-bas… dix fois grand comme celui des von Leiden !… et alors un de ces châteaux !… et des forêts ! et des lacs ! nous verrons !… au vrai, tout ça me paraissait loin… mais enfin si cette comtesse Tulff-Tcheppe voulait nous recevoir et était aimable… tout vous tente un moment donné… qu'est-ce que nous avions à perdre ?… Kracht insiste que je comprenne bien : Isis était que fille adoptive !… je voyais pas beaucoup l'importance… youyouye ! et que ça m'était égal !… l'importance, c'est que les Tulff-Tcheppe étaient comtes de l'Ordre Teutonique… vas-y pour l'Ordre Teutonique !… et que les titres de l'Ordre Teutonique ne pouvaient se transmettre que de mâle à mâle… et pas aux enfants adoptifs… voilà pourquoi la belle Isis s'en ressentait pas pour Königsberg… mais cette Kretzer-là, toujours gueulante, trépidante, était pas adoptive de rien, hystérique, c'est tout !… jalouse je crois, jalouse de tout ! de Kracht qui la regardait pas… et de son mari, et de Le Vigan… Kracht d'après ce que je voyais en pinçait plutôt pour Isis… pas qu'il eût osé, mais tout de même… il savait tout sur les von Leiden, qu'ils étaient de petite noblesse, comtes du Brandebourg, tandis que les Tulff-Tcheppe étaient presque princes… Isis était une férue de titres, elle avait épousé le cul-de-jatte pour être comtesse ! malgré tout !… mais encore là un autre hic !… ce titre était transmissible, loi du Brandebourg, par volonté du dernier comte, à qui il voulait !… Kracht en savait un bout !… de quoi rire dans l'état des choses, du ciel tout noir, de la terre qui tremblait et les murs, la table, la soupe, et l'énorme portrait de l'Adolf… cette cocasserie brouillamini, ligne directe, pas ! la Kretzer debout sur sa chaise, en pleins gueulements, s'occupe tout de même de nous deux, Kracht, moi, si nous parlions d'elle ?… elle nous attaque…

« Vous ne savez rien ! vous ne savez rien ! »

Les comptables protestent…

« Si ! si !… ils savent !

— Ah, vous savez ? alors où est le garde champêtre ? »

Tout le monde se tait.

« Et le pasteur ? vous savez aussi ? »

Personne sait non plus…

« Idiots !… têtes de chèvres ! ils sont disparus !… disparus ! et vous disparaîtrez aussi ! tous ! tous !… vous m'entendez ? »

Bien sûr qu'on l'entend !… Kracht fait signe qu'on la laisse crier… qu'on ne réponde rien, qu'elle est folle… bien sûr, qu'on la laisse… qu'elle est folle ! mais ça la calme pas du tout… en grande transe ! ça l'excite qu'on la regarde pas !… trémousse !… trémousse ! presse ses deux tuniques sur sa bouche… les embrasse !… embrasse !… elle pleure dans le sang… les caillots… elle s'en barbouille toute la figure…

« Vous entendez pas les bombes ? boum ! boum ! heil ! heil ! »

Elle descend de sa chaise, elle imite…

« Boum ! baoum ! heil ! heil ! »