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Le trouble mental, les hésitations physiques, la crainte instinctive des pieds qui ne savent pas où ils vont, n’aurait-elle pas senti tout cela si elle n’était point un peu experte en ces excursions d’amour, et si la pratique de ces choses n’avait usé déjà sa native pudeur ?

Enfiévré de cette fièvre irritante, intolérable, que les peines de l’âme éveillent dans la chaleur du lit, Mariolle s’agitait, entraîné comme un homme qui glisse sur une pente par l’enchaînement de ses suppositions. Parfois il essayait d’en arrêter la marche et d’en briser la suite ; il cherchait, il trouvait, il savourait des réflexions justes et rassurantes ; mais un germe de peur était en lui dont il ne pouvait entraver l’accroît.

Pourtant qu’avait-il à lui reprocher ? Rien autre chose que de n’être pas toute pareille à lui, de ne pas comprendre la vie comme lui, et de n’avoir pas dans le cœur un instrument de sensibilité tout à fait d’accord avec le sien.

Dès son réveil le lendemain, le désir de la revoir, de fortifier près d’elle sa confiance en elle grandit en lui comme une faim, et il attendit le moment convenable pour lui faire sa première visite officielle.

En le voyant entrer dans le salon des intimes, où, seule, elle écrivait quelques lettres, elle vint à lui les deux mains tendues :

— Ah ! Bonjour, cher ami, dit-elle, avec un air de joie si vive et si sincère que tout ce qu’il avait pensé d’odieux, dont l’ombre flottait encore en son esprit, s’évapora sous cet accueil.

Il s’assit près d’elle, et il lui parla tout de suite de la façon dont il l’aimait, car ce n’était plus la même chose qu’avant. Il lui fit comprendre avec tendresse qu’il y a sur la terre deux races d’amoureux : ceux qui désirent comme des fous et dont l’ardeur s’affaiblit au lendemain du triomphe, et ceux que la possession asservit et capture, en qui l’amour sensuel, se mêlant aux immatériels et inexprimables appels que le cœur de l’homme jette parfois vers une femme, fait éclore la grande servitude de l’amour complet et torturant.

Torturant, certes, et toujours, quelque heureux qu’il soit, car rien ne rassasie, même aux heures les plus intimes, le besoin d’Elle que nous portons en nous.

Mme de Burne l’écoutait charmée, reconnaissante, et s’exaltant à l’entendre, s’exaltant comme au théâtre lorsqu’un acteur joue puissamment son rôle, et que ce rôle nous émeut par l’éveil d’un écho, l’écho troublant d’une passion sincère ; mais ce n’était pas en elle que criait cette passion. Pourtant elle se sentait si contente d’avoir fait naître ce sentiment-là, si contente que ce fût dans un homme capable de l’exprimer ainsi, dans un homme qui lui plaisait décidément beaucoup, à qui elle s’attachait vraiment, dont elle avait de plus en plus besoin, non pour son corps, non pour sa chair, mais pour son mystérieux être féminin si avide de tendresse, d’hommages, d’asservissement, si contente, qu’elle avait envie de l’embrasser, de lui donner sa bouche, de se donner toute, pour qu’il continuât à l’adorer ainsi.

Elle lui répondit sans feinte et sans pruderie, avec l’adresse profonde dont certaines femmes sont douées, en lui montrant qu’il avait fait aussi, en son cœur à elle, de grands progrès. Et, dans le salon, où par hasard, ce jour-là, personne ne vint jusqu’au crépuscule, ils demeurèrent en tête-à-tête à se parler de la même chose, en se caressant avec des mots qui n’avaient pas le même sens pour leurs âmes.

On avait apporté les lampes quand Mme de Bratiane parut. Mariolle se retira, et, comme Mme de Burne l’accompagnait dans le premier salon, il lui demanda :

— Quand vous verrai-je là-bas ?

— Voulez-vous vendredi ?

— Mais oui. Quelle heure ?

— La même. Trois heures.

— À vendredi. Adieu. Je vous adore.

Pendant les deux jours d’attente qui le séparaient de ce rendez-vous, il découvrit, il sentit l’impression du vide qu’il n’avait jamais éprouvée ainsi. Une femme lui manquait, et rien qu’elle n’existait plus. Et, comme cette femme n’était pas loin, était trouvable, que de simples conventions sociales l’empêchaient de la rejoindre à tout instant, même de vivre près d’elle, il s’exaspérait dans sa solitude, dans l’interminable écoulement des moments qui passent parfois si lentement, de cette impossibilité absolue d’une chose si facile.

Il arriva au rendez-vous le vendredi, trois heures trop tôt ; mais attendre là où elle viendrait lui plaisait, soulageait son énervement, après avoir tant souffert déjà de l’attendre mentalement en des lieux où elle ne viendrait point.

Il s’installa près de la porte longtemps avant qu’eussent tinté les trois coups tant désirés, et, lorsqu’il les eut entendus, il commença à frémir d’impatience. Le quart sonna. Il regarda dans la ruelle, prudemment, en glissant sa tête entre le battant et le portant. Elle était déserte d’un bout à l’autre. Les minutes devenaient pour lui d’une lenteur torturante. Il tirait sans répit sa montre, et, lorsque l’aiguille eut atteint la demie, il avait dans l’âme l’impression d’être debout à cette place depuis un temps incalculable. Il perçut soudain un brut léger sur les pavés, et les petits coups frappés par le doigt ganté sur le bois, lui faisant oublier son angoisse, l’émurent de reconnaissance pour elle.

Un peu essoufflée, elle demanda :

— Je suis bien en retard ?

— Non, pas trop.

— Figurez-vous que j’ai failli ne pas pouvoir venir. Ma maison était pleine, et je ne savais comment m’y prendre pour mettre tout ce monde à la porte. Dites-moi, êtes-vous sous votre nom ici ?

— Non. Pourquoi cette question ?

— Afin de pouvoir vous envoyer une dépêche si j’avais un empêchement invincible.

— Je m’appelle M. Nicolle.

— Très bien. Je ne l’oublierai pas. Dieu ! Qu’il fait bon dans ce jardin !

Les fleurs, entretenues, renouvelées, multipliées par le jardinier qui voyait son client payer très cher sans résistance, bariolaient le gazon de cinq grandes taches parfumées.

S’arrêtant devant un banc, contre une corbeille d’héliotropes :

— Asseyons-nous un peu ici, dit-elle, je vais vous raconter une histoire très drôle.

Et elle raconta un potin tout chaud dont elle était encore émue. On disait que Mme Massival, l’ancienne maîtresse épousée par l’artiste, exaspérée de jalousie, avait pénétré chez Mme de Bratiane au milieu d’une soirée, pendant que la marquise chantait, accompagnée par le compositeur, et avait fait une scène épouvantable : d’où fureur de l’Italienne, surprise et joie des invités.

Massival, affolé, essaya d’emmener, d’entraîner sa femme qui le frappait au visage, lui arrachait la barbe et les cheveux, le mordait et déchirait ses vêtements. Cramponnée à lui, elle l’immobilisait, tandis que Lamarthe et deux domestiques survenus au bruit s’efforçaient de l’arracher aux griffes et aux dents de cette furie.