Выбрать главу

— Neveu ! hurla-t-elle. Ne fais pas de conneries ! Tu ne peux aller nulle part !

Seul le vent lui répondit. Elle tourna la tête juste à temps pour le voir se détacher des ténèbres et s’élancer vers le fond.

— Hé ! Hé ! Reviens ici, putain !

Elle courut dans sa direction, mais il avait de nouveau disparu et elle prit conscience qu’elle était seule. Seule avec lui. Ni Kasper ni le vigile ne l’avaient suivie. Elle s’avança encore. Une cohorte d’ombres et de reflets autour d’elle. Les voiles de la nuit s’ouvraient et se refermaient. Elle avançait les jambes légèrement pliées, l’arme tenue à deux mains.

Elle ne voyait rien tant il faisait noir. Merde, elle était dingue de continuer ! À quoi bon ? Elle savait bien qu’elle faisait ça pour la galerie. Ou pour le fun ?

Son pied rencontra une forme molle et elle baissa les yeux vers la masse obscure d’une bâche en tas sur le sol. Elle l’enjamba prudemment, sans cesser de regarder autour d’elle. Elle venait de poser son pied d’appui de l’autre côté lorsqu’elle sentit des doigts se refermer sur sa cheville. Avant qu’elle eût compris ce qui se passait, sa jambe fut violemment tirée en arrière et elle bascula.

En langage pugilistique, on appelait ça « aller au tapis ».

Son dos et son coude heurtèrent le sol métallique et son arme alla glisser plus loin en tintant. La bâche fut repoussée, révélant une silhouette qui se redressa avec une vivacité surprenante et se rua sur elle. Elle aperçut un visage grimaçant. Elle s’apprêtait à lui balancer un coup de pied quand le ciel nocturne explosa. Des dizaines de lampes s’allumèrent en même temps, illuminant la silhouette penchée sur elle, et la voix de Kasper s’éleva :

— RECULE ! RECULE ! MAINS SUR LA TÊTE ! NEVEU ! FAIS PAS LE CON !

Kirsten tourna la tête en direction de Kasper. Puis elle reporta son attention sur le Français.

L’homme la regardait d’un air inquiet. Il levait les mains sans la quitter des yeux.

3.

Téléobjectif

Kirsten et Kasper étaient assis face au Français depuis plus de trois heures. Elle avait choisi le local le plus neutre possible, une pièce sans déco ni fenêtres, de façon que l’attention de son interlocuteur ne soit distraite par rien — mais au contraire concentrée sur elle et ses questions.

Elle avait usé de la flatterie, soulignant le caractère unique de sa mise en scène dans l’église et l’interrogeant sur son métier de soudeur — puis elle avait opéré un virage à cent quatre-vingts degrés et commencé à se moquer de ses faiblesses, raillant la facilité avec laquelle il s’était laissé prendre et le nombre d’indices qu’il avait laissés derrière lui.

Pendant tout ce temps, le type n’avait cessé de clamer son innocence.

— Ces sous-vêtements appartiennent à ma petite amie, répéta-t-il en gémissant. Ça me permet de me souvenir d’elle et de me… enfin, vous voyez…

Elle le regarda. Son regard suppliant, humide, morveux, lui donna envie de le gifler.

— Et le sang ? dit Kasper.

— C’est du sang menstruel, merde ! Avec toute votre science, vous devez bien avoir un moyen de vérifier ça !

Elle l’imagina en train de renifler les dessous, le soir, dans sa couchette, et elle frissonna.

— OK. Alors pourquoi tu t’es enfui ?

— Je vous l’ai dit.

— OK. Répète-moi ça.

— Ça fait dix fois que je le répète !

Elle haussa les épaules.

— Eh ben, ça fera onze.

Il resta silencieux si longtemps qu’elle eut envie de le secouer un peu.

— Je rapporte un peu de shit en douce, et j’en file aux copains à bord.

— Tu deales ?

— Non, c’est cadeau.

— Arrête de me prendre pour une conne.

— Ouais. Enfin, un peu : je rends service. La vie à bord, c’est pas toujours facile. Mais chuis pas un assassin, merde ! J’ai jamais fait de mal à personne !

De nouveau les sanglots, les yeux rougis. Ils ressortirent de la pièce.

— Et si on se gourait ? dit-elle.

— Tu plaisantes ?

— Non.

Elle suivit la coursive et grimpa des marches en direction du poste de commandement. Elle commençait à avoir ses repères dans ce labyrinthe. Christensen la regarda entrer.

— Alors ?

— Il nous faut visiter les autres cabines des ouvriers qui ne sont pas encore rentrés.

— Pour quoi faire ?

Kirsten s’abstint de répondre.

— Très bien, dit-il à contrecœur, sentant que cette femme était inflexible en toutes circonstances et qu’il perdrait son temps à vouloir la raisonner. Je vais vous montrer.

Ce fut dans la quatrième qu’elle trouva.

Au milieu des vêtements : une enveloppe en papier kraft. Format A4. Elle la tira à elle et l’ouvrit. Des tirages papier de photographies. Le premier cliché était un portrait d’enfant blond. Dans les quatre-cinq ans. Elle retourna la photo. Gustav. C’était écrit. On voyait un lac derrière lui, un village et des montagnes enneigées. Elle examina les autres clichés.

Ils avaient été pris au téléobjectif…

Un homme. Toujours le même. La quarantaine. Cheveux bruns.

Kirsten les fit défiler. Il y en avait bien une vingtaine. La cible en train de garer sa voiture, la cible en train d’en descendre, de la verrouiller. Marchant dans la rue, au milieu d’une foule. Assise derrière la vitre d’un café. Kirsten repéra une plaque avec un nom de rue.

Ces photos avaient été prises en France.

Sur l’une des dernières, l’homme entrait dans un grand bâtiment en brique, hormis le hall d’entrée qui était précédé d’une grande porte semi-circulaire en métal. Un drapeau bleu-blanc-rouge flottait au-dessus. Drapeau français, là encore. Et, en dessous, les mots « HÔTEL DE POLICE ». Elle ne parlait pas français, mais elle n’en avait pas besoin pour comprendre le dernier mot.

Police : politiet.

Sur les gros plans, il avait un visage agréable, mais il paraissait fatigué, préoccupé. Kirsten voyait les poches sous ses yeux, le pli amer de sa bouche. Parfois son visage était net, parfois sa silhouette tout entière était un peu floue — ou bien une carrosserie de voiture, des feuillages, des passants s’interposaient entre l’objectif et lui. La cible vivait dans l’ignorance la plus parfaite de l’ombre qui la suivait partout, qui mettait chacun de ses pas dans les siens.

Elle retourna le cliché de l’enfant encore une fois.

GUSTAV

La même écriture que celle sur le papier trouvé dans la poche d’Inger Paulsen, à l’église.

Le papier qui portait son nom.

MARTIN

4.

Foudroyé

À Toulouse aussi il pleuvait — mais il n’y avait pas de neige. En ce début d’octobre, la température frisait les quinze degrés.

— La Maison au bout de la rue, dit le lieutenant Vincent Espérandieu.