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— Tu es sûr qu’il est en état de subir l’opération ? demanda le chirurgien en refermant la porte derrière lui.

— C’est son foie que tu veux, il me semble, répondit le Suisse sans se retourner. Et c’est encore plus facile avec un donneur mort, non ?

Il ne vit pas Dreissinger opiner lentement du chef. La réponse n’était pas entièrement à son goût.

— En admettant que ce type survive, que se passera-t-il si, une fois rentré chez lui, il me dénonce, tu y as pensé ? Tu ne m’avais pas dit que c’était un flic !

Il vit son grand ami hausser les épaules.

— C’est ton problème. Tu auras sa vie entre tes mains au bloc. À toi de voir quelle solution te paraît la meilleure : la vie — ou la mort…

Dreissinger le gratifia d’un grognement bougon.

— S’il meurt, je devrais déclarer son décès et on me demandera des comptes : qu’est-ce que ce type faisait là ? Il y aura une enquête. Tôt ou tard, la vérité éclatera. Je ne peux pas le permettre…

— Dans ce cas, laisse-le vivre.

— Et puis, je n’ai jamais tué personne, ajouta l’Autrichien d’une voix blanche. Je suis médecin, merde… Je ne suis pas… comme toi…

— Tu as tué ta fille.

— Non !

— Si. Je n’ai été que ton instrument, c’est toi qui as pris la décision. C’est toi qui l’as tuée.

Le chirurgien se tut. Hirtmann s’était retourné. Comme toujours, le directeur de clinique ressentit un courant froid le long de la colonne vertébrale lorsque le regard électrique se posa sur lui. Une décharge de Taser lui aurait fait à peine plus d’effet. Il tendit le téléphone du flic au Suisse, qui le prit.

— En revanche, mon cher Lothar, tu te doutes bien que s’il arrivait quelque chose à Gustav, je ne donnerais pas cher de ta peau.

Lothar Dreissinger eut l’impression qu’un nid de couleuvres venait de se réveiller dans son estomac. Il fit toutefois front.

— C’est une opération suffisamment délicate comme ça, Julian. Je ne crois pas que ce genre de menace m’aide beaucoup.

Hirtmann ricana.

— Tu as peur, mon ami ?

— Évidemment que j’ai peur. Je te serai éternellement reconnaissant pour ce que tu as fait à Jasmine. Mais le jour où tu seras mort, je dormirai mieux.

Un rire aussi sonore qu’un rugissement emplit le petit espace.

Ce matin-là, le policier nommé Reger ressortit de la Pension Göschlberger le sourire aux lèvres. Son collègue français allait apprécier. C’était son cinquième hôtel et il avait déjà fait mouche. Il ne pensait cependant pas qu’il y eût un tel caractère d’urgence qu’il ne pût s’arrêter chez Maislinger pour savourer un cappuccino et une pâtisserie. En mordant dans sa part de gâteau plein de crème, il songea qu’il avait pris quelques kilos ces derniers temps et qu’il allait devoir se remettre au sport fissa s’il voulait pouvoir continuer à courir après les voleurs. Quels voleurs ? se dit-il aussitôt. Il y avait certes quelques cambriolages à Halstatt, et aussi des pickpockets, surtout l’été, avec l’afflux des touristes, et parfois — plus rarement — des bagarres. Mais pas une seule fois, en vingt-deux ans de carrière, il n’avait eu à courir après qui que ce soit.

Son petit plaisir avalé, il se mit en marche vers la clinique Dreissinger. Le patron de l’hôtel avait non seulement reconnu l’homme de la photo, mais aussi celui avec qui il était reparti ce matin : Strauch. Un type du coin. Il travaillait comme infirmier à la clinique. Reger le connaissait depuis l’enfance. Il grimpa la ruelle en pente le sourire aux lèvres : c’était une matinée autrement excitante que ses journées habituelles.

Servaz regarda le deuxième lit à côté du sien — le sien se trouvait près de la porte, l’autre près de la fenêtre — en entrant dans la chambre. Un lit pour enfant… Visiblement occupé, car drap et couverture étaient ouverts comme un portefeuille et ils gardaient la forme d’un corps mais, pour l’heure, il était vide.

Il jeta un coup d’œil rapide aux branches qui s’agitaient doucement au-delà de la fenêtre, griffant le ciel gris, aux rangées de voitures sur le petit parking puis — dès que la personne qui l’accompagnait fut ressortie — se plia en deux et retira le petit téléphone à carte prépayée de sa chaussette. Il avait supposé qu’on lui enlèverait peut-être son téléphone ; le Suisse ne pouvait lui accorder qu’une confiance limitée — et temporaire. Il balaya la chambre du regard, avisa une seconde porte, la poussa : une salle d’eau minuscule avec un W.-C. Souleva le couvercle de la chasse d’eau, le laissa retomber. Retourna dans la chambre.

La rampe lumineuse au-dessus de son lit.

Il s’approcha de la tête du lit médicalisé, tendit le bras. Passa la main au-dessus et derrière le coffrage en plastique qui supportait tout un tas de prises électriques. Il y avait un espace creux contre le mur. Il vérifia que le son de l’appareil était toujours coupé et qu’il avait du réseau, le déposa, recula d’un pas, s’assura qu’il était invisible et commença à se déshabiller comme on lui avait demandé de le faire pour enfiler la tenue qui l’attendait sur le lit.

Reger salua la femme à l’accueil en souriant. Elle s’appelait Marieke. Il la connaissait bien : il faisait partie du même club de bridge. Marieke était divorcée et élevait seule ses deux enfants.

— Comment vont les garçons, Marieke ? dit-il. Matthias veut toujours être policier ?

L’aîné avait douze ans et rêvait de porter un jour l’uniforme de la police — ou sans doute n’importe quel uniforme pour peu qu’il y eût des bottes, un ceinturon, une arme et l’autorité qui est censée aller avec.

— Il a la grippe, répondit-elle. Il est au lit.

— Ah.

Marieke était une jolie blonde un peu ronde et Reger avait eu une brève liaison avec elle après son divorce. Il fit glisser la photo que lui avait envoyée la police française sur le comptoir.

— Dis-moi, est-ce que vous avez un patient qui ressemble à ça ?

Marieke prit un air embarrassé.

— Oui, pourquoi ?

— Il est arrivé quand ?

— Ce matin.

Cela corroborait les dires de l’hôtelier. Reger se sentit de plus en plus excité.

— Et tu as le numéro de sa chambre ?

Elle consulta son ordinateur et le lui donna.

— Sous quel nom il est inscrit ?

— Dupont.

Son excitation augmenta encore. Un nom français.

— Appelle-moi le Dr Dreissinger, s’il te plaît, dit-il en sortant son téléphone portable, lequel sonna avant qu’il ait eu le temps de faire quoi que ce soit. Allô ? répondit-il, contrarié.

Il écouta pendant quelques secondes.

— Un accident ?… Où ça ?… Sur Hallstättersee Landestrasse ?… Où exactement ?… C’est grave ?… J’arrive tout de suite…

Il referma son téléphone et regarda Marieke, l’air désemparé.

— Dis au docteur que je repasserai, il faut que j’y aille.

— C’est grave ? demanda-t-elle à son tour.

— Plutôt oui : un poids lourd et deux voitures impliqués. Il y a un mort.

— Des gens d’ici ?

— Je ne sais pas, Marieke.

Dans l’objectif des jumelles, les fenêtres de la clinique apparaissaient nettement. C’étaient des fenêtres larges et hautes qui couraient sur toute la largeur des chambres, si bien que, là où les stores n’étaient pas baissés, apparaissait aussi l’intérieur des chambres, éclairé au néon bien qu’on fût en plein jour. Quand elles n’étaient pas éclairées, cela devait signifier qu’elles étaient vacantes, supposa-t-il.