Выбрать главу

Elle tira la chaîne de sécurité et marcha jusqu’au lit, posa la valise dessus et l’ouvrit.

En sortit chemisiers, jupes, pantalons. Deux pulls, une trousse de toilette, une autre de maquillage et son pyjama : un imprimé à fleurs pour le pantalon de pilou, un tee-shirt pour le haut. Elle les étala sur le lit. Puis la lingerie en dentelle qu’elle avait achetée chez Steen & Strøm. Des dessous signés Agent Provocateur et Victoria’s Secret. Elle savait que personne ne verrait la petite culotte pourvue d’un délicat petit nœud en satin juste en bas du dos, mais elle s’en foutait : ce qui l’émoustillait, c’était de dissimuler ces atours provocants sous l’austérité de son apparence extérieure — comme un trésor réservé à celui qui aurait l’audace d’aller voir au-delà. En rangeant ses affaires dans le placard, elle se demanda si un tel intrépide se ferait connaître au cours de son séjour en France.

Elle avait noté le regard de Vincent Espérandieu. Et l’avait tout de suite catalogué. Bisexuel. Kirsten avait un sixième sens pour ça. Elle disposa sa crème de jour, son parfum, son shampoing (elle ne faisait pas confiance aux shampoings d’hôtels) et sa brosse à dents sur la tablette de la salle de bains. Hocha la tête en se regardant dans le miroir. Ce qu’elle vit était un beau visage qui trahissait toutefois un excès de contrôle et une tendance psychorigide. Bref, une femme dans la quarantaine sérieuse et un peu coincée. Parfait. Ce qu’elle vit était ce qu’elle voulait qu’on voie…

Deux hommes ensemble : ça pourrait se révéler une expérience intéressante, se dit-elle en se démaquillant. À Oslo, c’était inenvisageable. D’une manière ou d’une autre, ce serait revenu aux oreilles de ses collègues et cela aurait fait le tour du service en moins de deux. Mais ici… loin de chez elle.

Elle sortit aussi le « joujou ». Elle l’avait trouvé chez Kondomeriet, sur Karl Johans gate, en face des arcades du bazar, dans le fond de la boutique, au milieu d’une nuée de très jeunes femmes qui gloussaient et se poussaient du coude, de femmes de son âge et des couples. La femme d’un des couples avait passé lentement la main autour d’un sextoy impressionnant, comme pour le masturber. À l’aéroport d’Oslo-Gardermoen, elle avait surveillé la réaction du type qui avait scanné son bagage de cabine, assis devant son écran. Elle l’avait surpris qui tournait la tête et la regardait lorsqu’elle avait récupéré le bagage sur le tapis roulant à la sortie du tunnel du scan.

Elle ressentit soudain une envie pressante. En filant dans la salle de bains, elle pensa à Servaz. Nettement moins facile à cerner celui-là. Hétérosexuel, sans l’ombre d’un doute. Mais il y avait quelque chose chez lui qui résistait à l’analyse. Une fragilité ; et aussi une force. Et puis, il y avait cette Samira, à la fois si laide et si sexy. Elle aussi, elle avait du mal à la cerner.

Elle fit descendre sa culotte et son collant sur ses chevilles.

S’assit et saisit son téléphone portable.

Puis elle composa le numéro qu’elle n’aurait pas dû connaître.

Le garçon observait comment le clair de lune illuminait la couche de neige fraîche. La première de la saison. Et comment un animal avait laissé de profondes traces, qui contournaient le bâtiment de la grange et s’éloignaient vers les bois.

La neige scintillait, elle ressemblait à de la poudre d’or. Les montagnes de l’autre côté de la vallée dressaient une frontière quasi infranchissable que le garçon percevait confusément comme un rempart, la garantie que sa sécurité et l’univers douillet de son enfance seraient à jamais préservés. Le garçon ne regardait pas les infos télévisées mais « grand-père » si et, de temps en temps, le garçon apercevait des images sur l’écran. Aussi imaginait-il, malgré son jeune âge, des guerres et des batailles au-delà de ces montagnes paisibles et protectrices. Il n’avait que cinq ans, tout cela était assez confus, mais, comme un jeune animal, il était capable de sentir le danger.

Et le garçon savait que le danger pouvait venir de l’extérieur de la vallée, des inconnus qui vivaient là-bas au loin : au-delà des montagnes. Grand-père le lui avait dit : ne jamais parler à des inconnus, ne jamais laisser des étrangers, ni même les touristes qui fréquentaient les stations de ski lui parler. D’ailleurs, en dehors de l’école, le garçon ne voyait presque personne hormis son médecin et ses grands-parents. Il avait peu d’amis et ceux qui venaient à la maison avaient été triés sur le volet par grand-père.

À une centaine de mètres, les télécabines immobilisées pour la nuit attendaient le lendemain, suspendues à leurs câbles ; une lune pâle comme un lampion en papier les éclairait. Chaque fois que le garçon les regardait, il imaginait quelqu’un piégé à l’intérieur, et menacé par le froid, qui hurlait et tapait contre la vitre embuée en lui faisant de grands signes. Le garçon était le seul à l’entendre. Il le regardait, lui souriait pour bien lui faire comprendre qu’il l’avait vu, puis tournait les talons et le laissait là, seul dans la nuit glaciale, en pensant au cadavre presque congelé qu’on trouverait le lendemain. Et à cette image que l’homme emporterait avant de mourir : celle d’un petit garçon qui lui avait fait un signe et qui était rentré dans la maison. Longtemps, jusqu’à son dernier souffle sans doute, l’homme espérerait que le petit garçon revienne avec des renforts.

Le garçon rentra dans la ferme et la chaleur l’accueillit et l’enveloppa aussitôt. Il secoua d’abord la neige de ses chaussures sur le paillasson, abandonnant de petites croûtes blanches dans son sillage, puis il se déchaussa, ôta son bonnet, sa doudoune et son écharpe humide de salive et de neige fondue — qu’il accrocha à l’une des patères du mur. Depuis le couloir, il entendait le feu crépiter dans la cheminée et, quand il s’avança, les vagues de chaleur caressèrent son visage tout rouge.

— Qu’est-ce que tu faisais encore dehors à cette heure, Gustave ? dit son grand-père assis dans son fauteuil.

— Je regardais les traces d’un loup, répondit-il en s’approchant de grand-père et en laissant celui-ci l’attraper dans ses grandes mains pour l’asseoir sur ses genoux.

Grand-père ne sentait pas très bon : il ne se lavait pas assez et ne changeait pas assez souvent de vêtements, mais Gustav s’en moquait. Il aimait bien caresser sa barbe et aussi quand grand-père lui lisait une histoire.

— Il n’y a pas de loups ici, dit grand-père.

— Si, il y en a. Ils sont dans la forêt. Ils sortent la nuit.

— Tu les as vus ?

— Non. Seulement les traces.

— Tu n’as pas peur qu’ils te mangent ?

— Ils sont pas méchants. Et ils m’aiment bien.

— Comment tu le sais ?

— Ils gardent la maison…

— Oh, je vois. Tu veux que je te fasse la lecture ?

— J’ai mal au ventre, dit le garçon.

Grand-père ne dit rien pendant une seconde.

— Beaucoup ?

— Un peu. Quand papa viendra ? demanda-t-il soudain.

— Je ne sais pas, fiston.

— Je veux mon papa.

— Bientôt tu le verras.

— Bientôt, c’est quand ?

— Tu sais bien que papa ne fait pas ce qu’il veut.

— Et maman ?

— Maman, c’est pareil.

Le petit garçon eut soudain envie de pleurer.

— Ils ne viennent jamais.

— Ce n’est pas vrai. Bientôt, papa viendra. Ou nous irons les voir tous les deux.

— Tous les deux ? dit l’enfant, plein d’espoir.