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— Comment ça ?

— Eh bien, ce n’était pas le genre de personne qu’on a envie de chatouiller, vous voyez ? Il était pas loin des quatre-vingts ans mais — je ne sais pas pourquoi — je me suis dit que si jamais des cambrioleurs entraient chez lui, ce serait eux qui devraient s’inquiéter…

Servaz lut la perplexité sur son visage. Il se rendit compte qu’il était en nage sous sa veste et son manteau. Était-ce les suites du coma ?

— Et il vous a donné des explications concernant Gustav ?

Elle hocha la tête.

— Oui. Il m’a dit que son fils était souvent et longtemps absent. À cause de son travail. Et que cela perturbait le gamin, qui le réclamait en permanence. Mais il m’a aussi dit que le père serait bientôt là, et qu’il avait beaucoup de vacances, ce qui lui permettait de passer du temps avec son fils.

— Il vous a dit quel métier exerçait le père de Gustav ?

Son débit était précipité, les mots se bousculaient.

— Oui, j’allais y venir. Il travaillait sur une plate-forme pétrolière. En mer du Nord, je crois.

Servaz et Kirsten échangèrent un nouveau regard, qui n’échappa pas à la directrice.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle.

— Cela corrobore certains éléments que nous avons.

— Et, naturellement, vous ne pouvez pas m’en dire plus, s’agaça-t-elle.

— C’est exact.

Le visage de la directrice s’empourpra.

— Ses grands-parents, vous n’auriez pas leur adresse autre part ?

— Non.

— Et la grand-mère, vous ne l’avez jamais vue ?

— Non. Jamais. Juste lui.

Il hocha la tête.

— Il va falloir que vous veniez à Toulouse, au SRPJ, pour établir un portrait-robot et répondre à d’autres questions. Vous demanderez le capitaine Roxane Varin, de la Brigade des mineurs.

— Quand ça ?

— Le plus tôt possible. Prenez une journée. La mère, vous lui avez parlé de la mère ?

— Bien sûr.

— Et qu’est-ce qu’il vous a dit ?

Le regard de la directrice s’assombrit.

— Rien. C’est un de ces moments dont je vous ai parlé, ceux où on sentait qu’il ne fallait pas aller plus loin.

— Et vous n’avez pas insisté ? demanda-t-il, étonné.

Le ton de Servaz la fit se redresser sur son siège.

— Euh, non…

Il la vit rougir.

— Gustave, dit-elle, il lui est arrivé quelque chose ? On a retrouvé son… ?

— Non, non. La presse en aurait parlé. Il a disparu, c’est tout… Merci de votre collaboration.

Ils se levèrent, lui serrèrent la main.

— Commandant, dit-elle, j’ai encore une question.

Ils étaient déjà au seuil de la pièce, il se retourna.

— Qu’est-ce qui vous lie à cet enfant ?

Il la regarda, interdit. Saisi d’une soudaine et effroyable intuition.

Ils retournèrent à la voiture en remontant l’allée aux platanes de dessin animé. Bizarrement, le bonhomme de neige avait été décapité — ou bien c’était le vent qui avait culbuté sa grosse tête, laquelle gisait à présent sur le sol — et, encore plus bizarrement, cela lui fit penser aux images de propagande de l’État islamique, qui avaient réussi à infecter l’imaginaire occidental avec la complicité passive ou active des médias. En d’autres temps, pas si lointains, ces images n’auraient jamais vu le jour, et seraient encore moins parvenues jusqu’au public. Était-ce une bénédiction ou une malédiction que chacun y eût accès ?

— Il a donc vécu ici, constata Kirsten après que Servaz lui eut traduit ce qui s’était dit dans le bureau de la directrice.

Sa voix était tendue.

— Servaz, Mahler… Il a tout mis en scène… Il savait qu’un jour vous retrouveriez sa trace ici. Comment est-ce possible ?

Il mit le contact sans répondre. Fit une marche arrière prudente sur la chaussée humide et même verglacée par endroits. Il allait passer la marche avant quand il se tourna vers elle :

— Comment, dit-il. Comment t’est venue cette idée d’associer son prénom et mon nom ?

16.

Retour

Il conduisait en silence en longeant l’autoroute A61 — la « Pyrénéenne » — et il ne cessait de repenser à la réponse de Kirsten. « Une intuition. » Elle était comme un poison lent — ricine ou amatoxines — qui diffusait et finissait par contaminer toutes ses pensées. Une intuition semblable à celle qu’il venait d’avoir quand la directrice d’école lui avait demandé ce qui le liait à Gustav ?

Marsac… Claire Diemar, la prof de civilisation antique retrouvée morte noyée dans sa baignoire, une lampe allumée dans la bouche. Les poupées flottant par dizaines dans sa piscine. Et Marianne qui l’avait appelé au secours parce que c’était son fils, Hugo, qu’on avait retrouvé prostré devant la maison de la morte. Servaz avait carrément perdu les pédales au cours de cette enquête. Il avait renoué avec un passé qui l’avait déjà démoli une première fois et il avait couché avec la mère du principal suspect, il avait balancé par-dessus les moulins tous ses principes. Et il l’avait payé cash… Oh oui. Il lui avait fallu des mois pour s’en remettre. S’en était-il d’ailleurs jamais remis ?

Et si… si Marianne était tombée enceinte avant d’être kidnappée par le Suisse ? Une vague de terreur le traversa à cette idée — il se sentit nauséeux. Il ouvrit la bouche comme s’il avait besoin d’air. Non : ça ne pouvait pas, ça ne devait pas être arrivé. C’était hors de question. Il ne pouvait pas se le permettre, le psy l’avait dit : il était trop fragile, trop vulnérable.

Il laissa son regard dériver sur les poids lourds qu’il doublait. Une chose était sûre : Hirtmann avait semé les indices à leur intention comme autant de petits cailloux. Il avait donc séjourné ici, le grand-père l’avait dit à la directrice : il venait régulièrement voir son fils quand il était en congé — et les ouvriers des plates-formes en ont beaucoup. Il était donc probable qu’il ait changé de tête pour passer inaperçu dans Saint-Martin. À moins qu’il se contentât de quelques artifices. Et Marianne, se dit-il, où était-elle ? Était-elle seulement encore en vie ? Il l’avait cru quand il avait découvert que le cœur dans la boîte isotherme n’était pas le sien — mais aujourd’hui il commençait à en douter. Pourquoi le Suisse l’aurait-il gardée en vie si longtemps ? Ce n’était pas dans ses habitudes. Et c’était matériellement très compliqué. En même temps, ne lui aurait-il pas fait savoir qu’elle était morte, d’une manière ou d’une autre ? Il n’aurait certainement pas passé sous silence un événement si fondamental pour son « ami » policier.

Les doigts crispés sur le volant, il avait l’impression que son crâne allait exploser.

— Eh, oh ! dit Kirsten à côté de lui. Doucement !

Il regarda le compteur de vitesse. Nom de Dieu ! Cent quatre-vingts kilomètres/heure ! Il leva le pied de la pédale et le rugissement du moteur s’apaisa.

— Tu es sûr que ça va ? demanda-t-elle.