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Desgranges n’avait pas élevé la voix. Mais la menace était là, même pas voilée.

— Cependant, ne vous méprenez pas, il ne sera pas dit que je couvre de tels agissements s’ils existent, ni que je fais obstruction à la manifestation de la vérité. Poursuivez vos investigations dans les limites que je viens de définir. Si vous m’apportez du concret, du réel, du tangible, Servaz ou pas, la justice passera, je vous le garantis.

— Je voudrais une commission rogatoire pour une analyse balistique, poursuivit Rimbaud sans se démonter.

— Une analyse balistique ? Vous savez combien il y a de flics et de gendarmes dans ce département ? Vous voulez faire analyser toutes leurs armes ?

— Seulement celle du commandant Servaz.

— Commissaire, je vous ai dit…

— Il était à Saint-Martin-de-Comminges, cette nuit-là ! le coupa Rimbaud. La nuit où Jensen s’est fait descendre à quelques kilomètres de la ville. C’est écrit dans ce rapport qu’il a rédigé ! Je viens d’en avoir connaissance.

Le flic de l’IGPN sortit une liasse de feuillets de sa chemise et la tendit au juge.

— Il est écrit ici que Jensen l’a appelé en pleine nuit ! Il a dit à Servaz qu’il l’avait vu plus tôt à Saint-Martin. Il a aussi fait une allusion à ce fameux soir où il a été électrocuté sur ce wagon, et il lui a reproché d’avoir foutu sa vie en l’air. Ensuite, il a demandé à lui parler et, comme Servaz refusait, il a fait une allusion à sa fille.

— La fille de qui ?

— De Servaz.

Desgranges parut intéressé, tout à coup.

— Quel genre d’allusion ?

Rimbaud consulta sa propre copie du rapport.

— Pas grand-chose. Servaz lui a dit qu’il avait autre chose à faire. Et l’autre aurait dit : « Ta fille, je sais. » Apparemment, ça a suffi pour mettre Servaz en pétard et il a foncé dare-dare vers Saint-Martin en pleine nuit. Si c’est le cas, son téléphone a forcément borné le relais à l’entrée de la ville. Ensuite… c’est là que ça devient juteux…

Le flic jeta un coup d’œil au juge. Celui-ci le regardait avec froideur. Il ne semblait pas troublé le moins du monde. Mais Rimbaud savait que ce qui venait ensuite allait lui faire perdre de sa superbe.

— Servaz affirme que quelqu’un se trouvait planqué dans les jardins des thermes de Saint-Martin et que, quand il a voulu s’approcher de cette personne, elle a pris la fuite. Il a couru après mais elle a disparu dans la forêt derrière les thermes. Servaz n’a pas osé s’aventurer plus loin, selon ses dires. Ben voyons. Il est retourné à sa voiture, il a trouvé un mot sur son pare-brise.

— Qui disait quoi ?

— « Tu as eu peur ? » C’est ce qu’il affirme.

— Ce mot, il l’a gardé ?

— Son rapport ne le dit pas.

Le magistrat le considérait toujours avec scepticisme.

— Donc, il aurait été en contact avec Jensen la nuit où celui-ci a été tué, c’est bien ça ?

— Par une arme de flic, insista Rimbaud.

— Ou par une arme volée à un flic. Vous vous êtes renseigné pour savoir si quelqu’un a déclaré la perte de son arme ?

— C’est en train.

— Je ne comprends pas. Jensen a été tué à 3 heures du matin en pleine montagne, Servaz affirme s’être rendu à Saint-Martin vers minuit. Et entre les deux, il s’est passé quoi, à votre avis ?

— Il a peut-être menti. Le bornage de son téléphone nous le dira. Ou bien, il y a une autre hypothèse : il n’est pas idiot, il sait bien que son téléphone le trahira. Et que quelqu’un peut l’avoir vu à Saint-Martin. Alors il revient à Toulouse, il laisse son téléphone et il retourne sur les lieux…

— Vous avez vérifié l’emploi du temps de Jensen aux alentours de minuit ?

— On est en train de vérifier.

C’était un mensonge. Rimbaud savait déjà. Selon tous les témoins, Jensen ne pouvait s’être trouvé à Saint-Martin vers minuit : à ce moment-là, il était dans le refuge avec les autres. Sauf s’il avait profité de leur sommeil pour ressortir. Mais il y avait une autre hypothèse : Servaz n’avait jamais vu Jensen ni aucune silhouette en ville, il avait tout inventé. Et il avait su d’une manière ou d’une autre où se trouvait sa victime. Il avait fait l’aller-retour pour que son téléphone borne bien les relais dans les deux sens. Avant de revenir sur les lieux sans téléphone… Un peu tordu comme alibi, mais précisément imparable parce qu’il faudrait être stupide, quand on est flic, pour se rendre une première fois, avec son téléphone, sur les lieux d’un crime qu’on va commettre.

Il reprit le portrait-robot. D’accord, on ne voyait pas grand-chose, mais ça pouvait très bien être Servaz.

Ou pas…

L’arme.

L’arme parlerait. Si tant est que Servaz n’annonce pas qu’il l’avait perdue. Il pensa également aux traces dans la neige.

— Je ne sais pas, dit Desgranges en croisant ses mains sous son menton et en frottant ses deux pouces contre sa lèvre inférieure, j’ai la fâcheuse impression que vous ne suivez qu’une seule piste.

— Mais enfin, tout l’accuse ! protesta Rimbaud en levant les yeux au plafond. Il était là-bas la nuit du meurtre ! Et il a un mobile !

— Ne me parlez pas comme à un idiot ! le tança le juge. Quel mobile ? Faire justice soi-même ? Buter quelqu’un parce qu’il a parlé de votre fille et que c’est un ancien violeur ? Se venger parce qu’il vous a tiré dessus ? Je connais Servaz, pas vous. Ce n’est pas son genre.

— J’ai déjà interrogé certains de ses collègues : tous disent qu’il a changé depuis son coma.

— Soit, j’accède à votre requête. Mais je ne veux en aucun cas qu’il soit jeté en pâture à la presse. Une fuite est vite arrivée. Demandez une analyse balistique pour tout le SRPJ, noyez le poisson.

Le flic de l’IGPN hocha brièvement la tête, un large sourire sur les lèvres.

— Je veux aussi l’entendre, ainsi que sa hiérarchie et les membres de son groupe d’enquête, dit-il.

— Auditions en qualité de témoins, trancha le juge.

Il se leva, signifiant que la réunion était terminée. Ils échangèrent une poignée de main sans chaleur.

— Commissaire, lança Desgranges alors que Rimbaud avait déjà la main sur la porte.

— Ouais ?

— Je me souviens que le démantèlement de la BAC sous votre autorité a fait la une des journaux. Cette fois, je ne veux rien de tel, c’est compris ? Rien dans la presse, vous entendez ? Du moins pour le moment.

28.

Le chalet

La route suivait en sinuant le flanc diapré et glacé de la montagne, traçant un sillon profond dans tout ce blanc immaculé. Ils avaient laissé les bois derrière eux et, à présent, la pente était lisse, nue et couverte de neige. Servaz se tendit. S’ils continuaient comme ça, note de couleur dans ce désert blanc, ils allaient se faire repérer.

Il n’y avait personne d’autre sur la petite route en dehors d’eux et de la Volvo. Ils la virent virer dans un village perché à flanc de montagne qui ne comptait qu’un hôtel, une scierie désaffectée à l’entrée, une trentaine de maisons et quelques commerces. Quand Servaz franchit le virage en épingle à cheveux à la sortie du village, devant l’hôtel, il ralentit brusquement : à moins de trois cents mètres, après une ample courbe, la voiture s’était immobilisée devant un grand chalet alpin surplombant toute la vallée. La route n’allait pas plus loin.