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Il se gara au pied de la terrasse déserte de l’hôtel, avec ses parasols en berne et son mur de soutènement en pierre qui épousait la forme du virage. Ils tournèrent leurs regards vers les deux silhouettes qui descendaient de la voiture, là-bas, leurs haleines légères comme des plumes devant leurs bouches. Le chalet était grand, luxueux, recouvert de bois brut, pourvu de plusieurs terrasses et balcons, tel qu’on en voyait à Megève, à Gstaad ou à Courchevel. Il paraissait à même d’abriter de nombreuses personnes mais le garage était ouvert et Servaz n’aperçut qu’une seule autre voiture à l’intérieur.

Un couple ? Était-ce vraiment là que Gustav habitait ? Avec cet homme ? Qui d’autre ?

Servaz les vit entrer. Ouvrit la portière.

— Tu n’as pas envie d’un café ? dit-il.

L’instant d’après, Kirsten et lui s’asseyaient à la terrasse de l’hôtel, tels deux touristes en reconnaissance, lui devant un double expresso, elle devant un Coca Zero (elle avait jeté les glaçons de son verre comme s’ils se trouvaient dans un de ces pays où l’eau n’est pas potable et où on risque d’attraper un tas de cochonneries). Il faisait un froid de canard, mais le soleil brillait sur la neige étincelante et les réchauffait un peu. Caché derrière ses lunettes de soleil, Servaz scrutait la maison, à l’affût du moindre mouvement.

Tout à coup, il fit un signe à Kirsten, qui se retourna. Une grande femme blonde était apparue à l’un des balcons. En pull écru et pantalon marron. Ils étaient un peu loin pour lui donner un âge précis, mais Servaz aurait tablé sur la quarantaine. Elle était mince, élancée même, les cheveux ramenés en une queue-de-cheval.

Lorsque l’hôtelier réapparut bien qu’il n’y eût aucun autre client sur la terrasse, Servaz lui fit un signe.

— Ce grand chalet, là, vous savez s’il est à louer ?

— Non. Il n’est pas à louer. Il appartient à un professeur de l’université de Toulouse.

— Et ils vivent à deux là-dedans ? demanda Servaz en singeant admiration et envie.

L’hôtelier lui sourit.

— À trois. Ils ont un enfant. Adopté. Je sais, y en a qui ont les moyens…

Servaz hésita à poser plus de questions. Il ne tenait pas à attirer l’attention pour le moment.

— Et vous, vous avez des chambres ?

— Bien sûr.

— What ? demanda Kirsten quand l’hôtelier se fut éloigné.

Il traduisit.

Une heure plus tard, l’homme au bouc ressortait du chalet en compagnie de Gustav pour le ramener à l’école. Visiblement, le prof ne travaillait pas à Toulouse ce jour-là. Une heure qu’ils étaient assis sur cette terrasse. Il était temps de bouger, s’ils ne voulaient pas attirer l’attention.

— On prend une chambre, on va se balader et on revient ce soir, dit-il en anglais.

— Une chambre ou bien deux ? souleva-t-elle.

Il la regarda. De toute évidence, elle n’avait pas l’intention de donner suite à ce qui s’était passé cette nuit. Elle était belle dans la lumière, avec son pull à col roulé qui moulait sa poitrine et ses lunettes de soleil qui lui mangeaient le visage. Il ressentit tout à coup un léger pincement à l’estomac. Il ne savait pas exactement ce qui s’était passé entre eux, encore moins ce qui allait se passer maintenant. Il avait du mal à la cerner. Était-ce le contrecoup de la montée d’adrénaline et de la peur ? Kirsten avait-elle simplement eu besoin d’une présence dans son lit à ce moment-là ? Elle venait de faire une allusion très claire au fait qu’elle voulait en rester là.

Il décida de laisser le sujet de côté pour le moment.

— Toutes les armes du SRPJ ? répéta Stehlin d’un ton incrédule.

— C’est ça.

— Et le juge Desgranges a autorisé ça ?

— Oui.

Le directeur du SRPJ porta son café à ses lèvres pour se donner le temps de la réflexion.

— Qui va se charger de l’analyse balistique ? demanda-t-il.

— ça vous pose un problème ? répondit Rimbaud.

— Non. Mais je m’interroge. Vous allez faire ça comment ? Vous allez mettre toutes ces armes en même temps dans un camion blindé ? Direction Bordeaux ? Elles vont prendre l’autoroute ? Sérieusement ?

Rimbaud bougea dans son fauteuil, se penchant en direction de l’imposant bureau de son vis-à-vis.

— On ne va pas désarmer tous vos hommes en même temps, et les armes ne sortiront pas de vos locaux : l’analyse sera effectuée ici même, dans votre laboratoire — sous notre contrôle.

— Pourquoi le SRPJ ? Pourquoi pas la gendarmerie, ou la Sécurité publique ? Qu’est-ce qui vous fait croire que le coupable se trouve ici ? Je ne crois pas qu’un de mes hommes puisse être mêlé à ça, dit Stehlin, non sans une pensée fulgurante pour Servaz.

— Aux échecs, les fous sont les plus près des rois, répondit Rimbaud, sibyllin.

Ils avaient passé l’après-midi à se balader à L’Hospitalet et à Saint-Martin, à échafauder différentes hypothèses, à boire tellement de café que Servaz commençait à avoir la nausée. Dès que le jour se mit à décliner, ils se rabattirent sur l’hôtel, prétextèrent qu’ils étaient fatigués et s’enfermèrent dans la chambre. Elle possédait deux lits, un grand et un plus étroit, ce qui leur parut à tous deux un signe. Servaz n’avait pas voulu attirer l’attention en demandant deux chambres. Il s’apprêtait à dormir dans le fauteuil s’il y en avait un mais voilà qui mettait fin à la question.

Son problème était cependant qu’ils n’avaient pas prévu de se retrouver dans une même chambre d’hôtel après la nuit de la veille et qu’y être contraints par les événements rendait la situation encore plus embarrassante. Il sentait bien que Kirsten éprouvait la même gêne que lui. Chaque mouvement qu’elle faisait dans cet espace réduit semblait presque aussi contrôlé que celui d’un astronaute à bord de la Station spatiale internationale. Et il n’y avait qu’une seule fenêtre — ce qui les obligeait à se frôler et à être si proches qu’il pouvait presque sentir la chaleur qui émanait de son corps tout comme le parfum qui montait de son cou et de ses poignets.

Au cours de leur promenade, Servaz avait obtenu confirmation de l’immat’ et plus d’informations sur le couple : Roland et Aurore Labarthe, quarante-huit et quarante-deux ans. Officiellement sans enfants. Selon Espérandieu, il enseignait la psychologie interculturelle et la psychopathologie à l’université Jean-Jaurès de Toulouse, elle était sans profession officielle. Il fallait qu’ils se renseignent sur l’adoption de Gustav — fictive ou réelle. Dans quelles conditions avait-elle eu lieu ? Où étaient les papiers ? Que savaient le maire et l’institution scolaire de sa situation ? Était-il possible, en 2016, d’avoir un enfant chez soi qui ne soit pas le sien ? Probablement. Pour un certain temps du moins. Le chaos planétaire et les complexités de l’administration abandonnaient des pans entiers de la société à l’arbitraire et à l’absence de contrôles.

À l’extérieur, la nuit tombait rapidement sur la montagne de glace, les ténèbres s’épaississaient dans les creux comme sur les sommets et les lumières s’étaient allumées là-bas, dans plusieurs pièces du grand chalet. Cependant, Labarthe et Gustav n’étaient pas encore reparus. De temps en temps, ils apercevaient la silhouette altière, élancée, de la maîtresse de maison qui passait d’une pièce à l’autre, parfois avec un téléphone collé à l’oreille ou pianotant des messages sur son appareil. Servaz songea qu’il devrait demander au juge une mise sur écoute. Puis, tout soudain, ils virent passer la Volvo sous la fenêtre, roulant prudemment et silencieusement sur les ornières blanches de la chaussée enneigée ; ils ne l’avaient pas entendue arriver. Ses feux de stop évoquant deux yeux rouges et incandescents s’éloignèrent vers le chalet et la blonde apparut sur le perron, dans la lueur des phares, tout sourire. Elle accueillit Gustav en le prenant dans ses bras et le poussa à l’intérieur, puis embrassa son mari. Servaz trouva que leur langage corporel avait quelque chose de factice et de forcé. Il avait récupéré ses jumelles dans la boîte à gants et il les passa à Kirsten.