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— Le plus dur, c’est pour Noël et au Nouvel An, ajouta la femme, quand on est loin de la famille.

Sa voix monocorde, sans timbre. Pleine d’une sourde hostilité.

Kirsten passa en revue les tiroirs sous les couchettes, ceux du bureau et les étagères. Des sous-vêtements féminins, des tee-shirts, des jeans, un peu de paperasse, un roman policier en édition de poche corné, des jeux vidéo… Rien. Il n’y avait rien ici. Une vibration légère — machine, soufflerie, moteur — traversait la cloison. La femme parlait toujours dans son dos, mais Kirsten ne l’écoutait plus. Elle nota que l’une des couchettes était faite au carré, l’autre en désordre. Il faisait chaud. Très chaud. La sueur coulait sous la sangle de son soutien-gorge. Elle commençait à avoir la migraine.

Kasper acheva de fouiller les placards. Il lui fit signe qu’il n’y avait rien. Ils ressortirent dans la longue coursive.

— Montre-nous les cabines des hommes qui étaient à terre le soir du meurtre, dit-elle.

Le regard de la femme blonde la traversa. Elle cligna des paupières. Tout son langage corporel disait l’hostilité. Elle tourna les talons et les précéda le long du couloir moquetté de bleu, une moquette épaisse où les pas s’enfonçaient, désigna plusieurs portes. Kirsten lui fit signe de les ouvrir. Elle regarda Kasper disparaître dans une cabine et entra dans l’autre. La femme ne bougea pas. Kirsten vit qu’elle la surveillait depuis le couloir, par la porte ouverte. Elle — pas Kasper. Elle se mit en devoir de fouiller la cabine. Moins de cinq minutes plus tard, elle dut se rendre à l’évidence : RAS ici aussi.

Et toujours cette vibration, cette pulsation qui montait des entrailles de la plate-forme, elle avait l’impression qu’elle lui entrait directement dans le crâne. Elle avait chaud et la tête lui tournait légèrement. Et le regard aigu de la femme blonde planté dans son dos — qui ne la quittait pas.

Passa à la porte suivante.

Étudia d’abord la cabine. Identique aux précédentes. Ouvrit l’un des tiroirs sous la couchette. Elle les vit aussitôt. Au milieu des autres vêtements. Des sous-vêtements féminins. Souillés. Elle se retourna.

— Cette cabine est occupée par des femmes ?

La blonde eut un geste de dénégation.

Kirsten reprit sa fouille.

Des vêtements d’homme. Des fringues de marque. Boss, Calvin Klein, Ralph Lauren, Paul Smith… Elle ouvrit un nouveau tiroir. Fronça les sourcils. De nouveau des sous-vêtements féminins. Il y avait du sang sur l’un d’entre eux… Qu’est-ce que c’était que ça ? Elle sentit son pouls s’accélérer.

Elle se retourna vers la porte. La blonde sèche l’observait. Peut-être avait-elle senti quelque chose. Peut-être le propre langage corporel de Kirsten lui avait-il envoyé un signal que quelque chose était en train de se passer.

Elle se pencha, fouilla dans les sous-vêtements. Tous de même taille ou presque…

Kirsten se retourna. Elle avait cru entendre un léger bruit derrière elle. La femme avait bougé. Elle se tenait à présent l’épaule appuyée contre le chambranle. Très près. Sans cesser de la fixer. Kirsten frissonna. Sa respiration s’accéléra. Elle toisa la femme.

— À qui appartient cette cabine ?

— Je ne sais pas.

— Mais il y a moyen de le savoir ?

— Bien sûr.

— Alors, allons-y. Montre-nous.

Kasper les avait rejointes en entendant la voix de Kirsten. Elle lui montra le tiroir ouvert, la culotte maculée de sang à l’intérieur, puis le regarda. Il hocha la tête. Il avait compris.

— Quelque chose ne va pas, lui dit-elle. C’est trop facile. Ça ressemble à un jeu de piste.

— Si c’est le cas, dit Kasper, c’est à toi qu’il est destiné.

Elle le considéra. Pas si bête.

— Suivez-moi, dit la femme.

— Ils s’appellent Laszlo Szabo et Philippe Neveu.

Ils se trouvaient dans un petit bureau sans fenêtre, plein de paperasse.

Neveu, un nom français…

— Lequel des deux était à terre la nuit dernière ?

— Neveu.

— Où est-il en ce moment ?

La femme consulta le grand planning mural avec de petits bristols colorés glissés dans les fentes.

— En ce moment, il est à un des postes de soudage. Sur le drill floor.

— Il est français ?

La femme blonde fouilla dans un tiroir du classeur métallique au-dessous, en sortit un dossier, le leur tendit. Kirsten vit la photo d’un homme au visage mince. Des cheveux bruns coupés court. Elle lui donna dans les quarante-cinq ans.

— C’est ce qu’il prétend, oui, dit la femme. Qu’est-ce qui se passe exactement ?

Kirsten regarda le sachet contenant la culotte ensanglantée, puis leva les yeux vers Kasper. Quand leurs regards se croisèrent, elle ressentit une décharge d’adrénaline. Il avait sur le visage la même expression qu’elle-même devait afficher — celle de deux chiens sur la piste du gibier.

— Qu’est-ce qu’on fait ? lui dit-elle doucement.

— Difficile de demander des renforts ici, répondit-il.

Elle se tourna vers la femme.

— Il y a des armes à bord ? Qui est en charge de la sécurité ? Vous avez bien dû prévoir quelque chose en cas de tentative de piraterie ou d’attaque terroriste.

Kirsten savait que les compagnies offshore se montraient extrêmement discrètes sur ce chapitre, personne n’avait envie de communiquer sur des sujets si délicats, de reconnaître la vulnérabilité de ces objectifs hautement stratégiques pour des terroristes bien préparés. Kirsten avait participé à deux reprises à l’exercice annuel Gemini qui impliquait la police, les forces spéciales, les gardes-côtes et plusieurs compagnies pétrolières et gazières. Elle avait aussi assisté à des séminaires. Tous les spécialistes étaient unanimes : la Norvège était moins bien préparée que ses voisins pour faire face à une attaque terroriste. Jusqu’à une date récente, son pays avait été une nation naïve, considérant que le terrorisme ne la concernait pas et l’épargnerait toujours. Mais cette naïveté avait volé en éclats le 22 juillet 2011 avec Anders Breivik et le massacre d’Utøya. Néanmoins, encore aujourd’hui, alors qu’en Écosse la police protégeait les installations pétrolières en installant des gens armés à bord, la Norvège n’avait toujours pas pris la mesure du danger, même si Statoil, par exemple, avait renforcé sa sécurité depuis 2013 et l’attaque de la raffinerie d’In Amenas dans le Sud algérien. Que se passerait-il si des hommes bien entraînés armés de fusils d’assaut posaient leur hélico sur une plate-forme et la prenaient en otage ? S’ils la truffaient d’explosifs ? Il y avait plus de quatre cents installations offshore en mer du Nord : est-ce que leur espace aérien était surveillé en permanence ? Kirsten en doutait. Et les ouvriers revenant du continent : étaient-ils fouillés ? Qu’est-ce qui les empêchait de rapporter une arme à bord ?

Elle vit la femme appuyer sur un bouton et se pencher sur un micro.

— Mikkel, tu peux venir tout de suite, s’il te plaît ?

Trois minutes plus tard, un malabar qui bougeait comme un cow-boy fit son entrée dans le petit bureau.

— Mikkel, dit la femme, ces messieurs-dames sont de la police. Ils veulent savoir si tu es armé.

Mikkel les considéra en fronçant les sourcils et en roulant ses épaules bodybuildées.

— Oui, pourquoi ?