Elle s’approcha et posa une main sur le petit front. Il était brûlant.
Entendit la porte d’entrée, en bas.
Puis les pas de Roland dans l’escalier.
Elle aida Gustav à se déshabiller, vérifia la température de la douche du dos de la main, le poussa doucement à l’intérieur.
— Ça va te faire du bien, trésor.
Gustav acquiesça en silence, se glissa sous le jet. Il sursauta.
— C’est chaud ! dit-il.
— Ça va te faire du bien, répéta-t-elle en réglant la température.
Labarthe entra dans la chambre. Il vit le monceau de draps souillés sur le sol, s’approcha de la salle d’eau.
— Le flic, dit-il d’emblée, il était à la pharmacie !
Elle se retourna et lui lança un regard aussi effilé que la lame d’un rasoir. Sans cesser de savonner le dos de Gustav, elle montra de sa main libre le sac que tenait Labarthe.
— Passe-moi ça.
— Tu as entendu ce que je t’ai dit ? lança-t-il en lui tendant le Primperan.
— Gustav, regarde-moi, dit doucement Aurore, ignorant son mari.
Elle déboucha la bouteille en plastique, éleva le goulot vers les lèvres du garçon. Qui grimaça.
— C’est pas bon.
— Je sais, amour. Mais ça va te guérir.
— Doucement ! s’exclama Labarthe en la regardant faire. Tu lui en donnes trop !
La femme blonde écarta la bouteille des lèvres de Gustav en foudroyant son mari du regard.
— J’ai sali le lit, dit le garçon d’un ton coupable.
Elle baisa son front, caressa ses cheveux blonds humides.
— Ça ne fait rien, on va le changer tout de suite.
Elle se tourna vers son mari.
— Tu peux m’aider, s’il te plaît ? Et mettre la chambre en ordre ?
Le ton était cinglant. Il acquiesça en serrant les dents. Ressortit. Aurore sécha Gustav, le frictionna puis lui tendit un pyjama propre.
— Ça va mieux ?
— Un peu, oui.
— Tu as mal où exactement ?
Il posa une main sur son abdomen, elle tâta : il était dur et enflé.
— Tu es un garçon très courageux, tu sais ?
Elle le vit sourire faiblement. C’était vrai, pensa-t-elle, que ce gosse était courageux. Il tenait sans doute ça de son père. Il faisait face à la maladie comme un vaillant petit soldat. Mais avait-il seulement connu autre chose dans sa courte existence que cette saloperie ? Elle le regarda un moment, accroupie devant lui, en lui souriant. Puis elle se releva.
— Allons-y, dit-elle. On va te remettre au lit, d’accord ? Pas d’école aujourd’hui.
Lorsqu’ils ressortirent de la salle d’eau, le lit était fait mais la fenêtre grande ouverte. Comme pour l’autre, les rideaux semblaient vouloir s’envoler à l’extérieur.
— Mets-toi dans le lit, dit Aurore en s’empressant de refermer la fenêtre. Je reviens. C’est vrai que tu te sens un peu mieux ?
Gustav acquiesça, très sérieusement, du fond de son lit.
— Génial. Quand tu auras faim, dis-le-moi.
Elle sortit et se dirigea vers l’escalier.
— Le type de cette nuit…, commença Labarthe dès qu’elle entra dans la cuisine.
— Oui. Je t’ai entendu. Il y a beaucoup de vent. Pourquoi tu as laissé la fenêtre du petit ouverte ?
— Parce que ça schlinguait…
— Tu veux peut-être qu’en plus de vomir il attrape la mort ?
— J’ai attendu en sortant pour voir où il allait, reprit-il comme s’il n’avait pas entendu. Le flic… Il ne m’a pas vu. Il avait son téléphone collé à l’oreille et il avait l’air très contrarié. Je voulais voir s’il retournait à l’hôtel.
— Et ?
Elle glissa une dosette noire dans le magasin du percolateur et mit l’appareil à chauffer.
— Il s’est assis à une terrasse pour boire un café. Je l’ai laissé et je suis rentré, comme… comme c’était plus urgent ici…
Il avait presque pris un ton d’excuses — qu’il regretta aussitôt : se montrer faible devant Aurore, c’était lui donner envie de vous planter ses crocs dans la jambe.
— Oui, j’ai même eu l’impression qu’ils le fabriquaient, ce putain de sirop, dit-elle. Ce gosse va nous attirer un paquet de problèmes. Il n’arrête pas de vomir. J’espère que ton expédition à la pharmacie va nous servir à quelque chose.
Elle appuya sur un bouton et la machine à dosettes se mit à cracher son jus brun en gémissant et en éructant. Le ton de reproche n’avait pas échappé à Labarthe. Il se demanda pourquoi elle lui mettait ça sur le dos. Certes, c’était lui qui, le premier, avait proposé au Maître d’héberger le gosse quand la directrice de l’école précédente avait commencé à poser trop de questions au « grand-père », mais Aurore avait accueilli l’idée avec enthousiasme. Ils n’avaient jamais pu avoir d’enfants. Et il voyait bien comment Aurore prenait soin de Gustav, passait du temps avec lui, prenait plaisir à sa compagnie. N’empêche que c’était quand même elle qui avait eu l’idée de le droguer. Il avait pourtant essayé de l’en dissuader.
Mais il savait qu’il ne servait à rien de discuter avec Aurore. Surtout dans les moments de tension. Aussi s’abstint-il de relancer les chicanes.
— Il faudrait peut-être Le prévenir, dit-il cependant.
Le silence qui suivit lui parut plein de mauvais présages. La réponse fusa comme le sifflement d’un fouet :
— Le prévenir ? Est-ce que tu es fou ou stupide ?
Kirsten le vit revenir vers l’hôtel. Elle éteignit sa cigarette, referma la fenêtre et ôta le manteau qu’elle avait jeté sur ses épaules. Elle fila à la salle de bains. Se lancer un coup d’œil dans le miroir.
Impossible d’ignorer les cernes bistre sous ses yeux. Non plus que son teint cadavérique. Elle vérifia son haleine en mettant sa main en écran devant sa bouche.
Quand Martin entra dans la chambre, il était essoufflé. Il lui tendit le sachet de la pharmacie. Elle sortit le Primperan et but au goulot comme si c’était de l’eau, surprit son regard.
— Au fait, j’ai vu quelqu’un sortir du chalet et y revenir, dit-elle.
— Qui ?
— Labarthe. Il avait un sachet à la main. Semblable à celui-ci…
Il fronça les sourcils.
— Un sachet de pharmacie, tu en es sûre ?
— Sûre, non. Il était trop loin. Mais ça y ressemblait. En tout cas, ça avait l’air urgent.
Servaz s’approcha de la fenêtre et regarda le chalet. Il se rendit compte qu’il était inquiet — inquiet pour Gustav.
Sur le bureau, le téléphone vibra. Pas celui de tous les jours. L’autre téléphone. Labarthe tressaillit. Merde, était-il possible que le Suisse ait déjà eu vent de ce qui se passait d’une manière ou d’une autre ? Avec Hirtmann, il finissait par devenir parano. Il regarda l’écran.
[Tu es là ?]
Labarthe tapa la réponse avec le majeur.
[Oui]
[Bien. Il y a un changement]
[Lequel ?]
[Je veux voir Gustav. Ce soir. À l’endroit habituel]
Seigneur. Labarthe expira. Il eut tout à coup la sensation qu’un énorme matou s’était coincé dans sa gorge et l’empêchait de respirer.
[Qu’est-ce qui se passe ?]