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— Tu vois, tu ne devrais pas me tenir tête, dit-il tranquillement. Votre putain de drogue commence à faire son effet, j’ai la tête qui tourne. Il est temps que je me tire d’ici. Heureusement que j’avais avalé un kilo de saindoux et quelques amphètes avant de venir, hein, chérie ? Le saindoux, c’est très efficace : ça ralentit l’absorption de la drogue par l’estomac. Et les amphèts contrecarrent l’effet du GHB. Ou du Rohypnol. C’est bien une merde de ce genre que vous m’avez fait avaler, n’est-ce pas ? Tout comme à cette Norvégienne, l’autre soir. Il s’en passe de belles dans votre chalet…

Il jeta un coup d’œil à Labarthe.

— Je reviens dans une minute.

Trois minutes, en fait, qu’Aurore passa presque exclusivement à insulter son mari. Quand Hirtmann réapparut, ils virent qu’il avait un bidon d’essence à la main et ils frémirent. Il le déposa devant Aurore, alluma une autre bougie, marcha vers une tenture de velours grenat et présenta la flamme devant le tissu.

Le rideau s’embrasa aussitôt. Les flammes dévorèrent la tenture en crépitant, grimpant vers le plafond en un rien de temps. Hirtmann revint vers le couple, sa silhouette découpée par la lueur grandissante du feu. Il ouvrit le bidon, le vida sur Aurore qui eut un soubresaut.

— Putain, non ! Pas ça ! dit-elle. PAS ÇA…

Le Suisse laissa le bidon ouvert à ses pieds sans paraître avoir entendu et se tourna vers Roland.

— Tu auras peut-être une chance de t’en tirer, qui sait ?

L’universitaire lui lança un regard mitigé. Partagé entre espoir, doute et terreur absolue. Il allait ouvrir la bouche pour supplier quand la petite lame dans le poing du Suisse décrivit un arc de cercle presque horizontal et vint se planter dans sa carotide. Le Suisse la garda fichée dans le cou de Labarthe quelques secondes, en le regardant droit dans les yeux, puis il la retira et l’abattit de nouveau, au niveau de l’artère sous-clavière cette fois. Ce fut comme si on avait percé deux trous dans un tonneau : deux petites fontaines rubis jaillirent du cou et du tronc de l’universitaire. Il lut la stupeur, la faiblesse dans le regard de Labarthe, l’incrédulité qui saisit certains hommes au seuil de la mort — puis la vie qui le quittait rapidement.

— Mais je ne crois pas, ajouta-t-il.

Hirtmann jeta la lame ensanglantée sur le sol et marcha vers la trappe.

40.

Deux de moins

Les hautes flammes s’élevaient vers le ciel, illuminant la nuit et dévorant ce qui restait du chalet. Les escarbilles qui montaient croisaient les flocons qui descendaient, comme deux colonnes de fourmis lumineuses. La lueur de l’incendie rebondissait sur l’orée des bois, un peu plus haut. Kirsten était adossée à une voiture de police, enveloppée dans une couverture de survie. Elle sirotait un gobelet plein de café qui fumait dans l’air froid. À une dizaine de mètres, les lances à incendie des pompiers soulevaient de grandes colonnes de vapeur sifflantes quand l’eau touchait les flammes et ce qui restait de la charpente. Quand le feu s’éteignait d’un côté, il repartait de l’autre.

Kirsten contemplait ce spectacle, et les reflets du feu dansaient dans ses prunelles. Elle savait qu’elle allait devoir s’expliquer, que Martin allait lui demander des comptes. Elle avait entendu les hurlements au milieu de l’incendie. Les cris inhumains d’Aurore tandis que les flammes la dévoraient, que les yeux lui sortaient de la tête et que ses chairs fondaient comme de la cire dans le brasier. Elle avait bloqué sa respiration, senti la pression des cris sur ses tympans, puis ils s’étaient éteints d’un coup. Peu de temps après, une bonne partie du chalet s’était affaissée sur elle-même et les sirènes des pompiers avaient recouvert tous les autres bruits.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda une voix à côté d’elle.

Elle tourna la tête et le vit.

— Il les a laissés cramer à l’intérieur, dit-elle. Il a dû les attacher quelque part. Où étais-tu passé ?

— Et toi, qu’est-ce qui t’est arrivé ? s’enquit Martin en voyant le visage de la Norvégienne noir de suie.

— J’ai voulu entrer, l’incendie avait déjà commencé…

— Pour… les sauver  ?

Elle lui lança un regard surpris.

— Et alors ? Ce n’est pas parce que…

— Hirtmann, tu l’as vu ?

Elle fit la grimace.

— Oui. Il est reparti avec Gustav. À ce moment-là, l’incendie avait déjà commencé et de la fumée s’élevait du toit.

Servaz l’observait intensément.

— Sans arme, je n’ai rien pu faire. Pour l’arrêter je veux dire… Il m’est passé devant sans rien dire, le gosse à la main. Il l’a fait monter à l’arrière et ils sont partis.

Elle secoua la tête, des larmes dans les yeux.

— Il les a tués, Martin. Et moi, je l’ai laissé filer !

Il ne dit rien.

— Ne restez pas là, dit une voix. Éloignez-vous. Ça va s’effondrer.

Ils retournèrent vers l’hôtel. Sa terrasse était pleine de badauds venus du village. On aurait dit une soirée de la Saint-Jean, n’était le froid humide qui transperçait les vêtements.

Il passa un bras autour de ses épaules et elle se laissa aller contre lui en marchant.

— Ne t’inquiète pas, dit-il. Ce sera bientôt terminé.

Son téléphone vibra dans sa poche. Il le sortit et regarda le texto qui venait d’arriver. Un lieu, une heure — rien d’autre. Et deux mots : viens seul.

Il leva les yeux vers Kirsten.

— C’est lui, dit-il. Il veut que je vienne seul.

— Où ça ?

— Je te le dirai plus tard.

Le visage de la Norvégienne se ferma. Pendant un instant, il lut une colère noire dans ses yeux et ses traits se modifièrent, au point qu’il eut du mal à la reconnaître. Puis son visage retrouva l’une de ses expressions habituelles et elle hocha la tête à contrecœur.

41.

Confiance

— Tu as confiance en moi, fils ?

Gustav fixait son père. Il acquiesça. Avec conviction. Le Suisse mesura du regard les cent mètres de vide au pied du grand barrage en arc de cercle, les cimes des sapins congelées tout en bas, les rochers emmaillotés de neige, le lit de la rivière tout au fond, enseveli sous une blancheur sépulcrale, dans le clair de lune.

Il saisit Gustav sous les aisselles, le souleva, l’enfant lui tournant le dos.

— Tu es prêt ?

— J’ai peur, dit soudain l’enfant d’une voix tremblante.

Il était très chaudement vêtu d’un anorak doublé de duvet dont la capuche était rabattue sur sa tête. Un cache-nez enroulé autour de son cou lui conférait l’allure d’une poupée russe.

— J’ai peur ! répéta Gustav. Je ne veux pas le faire, s’il te plaît, papa !

— Surmonter ses peurs, c’est le secret de la vie, Gustav. Ceux qui écoutent leurs peurs ne vont pas bien loin. Tu es prêt ?

— NON !

Il fit passer Gustav par-dessus le garde-fou du barrage pris dans la glace, le tint au-dessus du vide vertigineux. Le vent sifflait à leurs oreilles.

Le garçon hurla.

Son cri suraigu fut canalisé par les montagnes blanches qui les cernaient, l’onde sonore se propageant le long de la vallée en contrebas ; l’écho s’en empara et la renvoya comme une balle de squash. Cependant, il n’y avait personne à des kilomètres à la ronde pour l’entendre. Seule l’indifférence plurimillénaire des montagnes. Le vent violent chassait les nuages et, dans leurs déchirures, les étoiles jetaient sur eux leur regard immémorial. La lune semblait voguer à toute vitesse entre les nuages, comme un navire entre des écueils, alors que c’était eux qui se déplaçaient devant elle.