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— J’allais t’appeler…, commença Vincent avec une certaine hésitation. J’allais t’appeler… Ton arme…

Il se tenait encore dans le couloir, au seuil de la pièce. Il eut l’impression que ses oreilles se mettaient à bourdonner, Vincent le regardait comme s’il avait vu un fantôme.

Un mouvement sur sa gauche…

Il tourna la tête. Vers le couloir. Se figea. Rimbaud se dirigeait vers lui à grandes enjambées.

Hostile…

— C’est ton arme…, répéta Espérandieu, comme assommé, de l’intérieur du bureau. Martin, putain, tu…

Il n’écouta pas la suite.

Il lâcha le chambranle, commença à s’éloigner de la porte.

Pivota vers les ascenseurs. Se mit en marche.

D’abord doucement, puis plus vite.

— Hé ! Servaz ! gueula le bœuf-carotte dans son dos.

Les portes étaient ouvertes. Il s’engouffra dans la cabine. Présenta son badge.

— Servaz ! Où vous allez ? Revenez !

Rimbaud courait à présent, en gueulant quelque chose qu’il n’entendait pas. Des têtes apparaissaient, les unes après les autres.

L’ascenseur ne démarrait pas.

Démarre, démarre… Plus que quelques mètres pour Rimbaud. Soudain, les portes se refermèrent. Il lut la frustration, mais aussi la satisfaction d’avoir eu raison, sur les traits du bœuf-carotte quand elles effacèrent son visage de boxeur.

Dans la cabine, il expira. S’efforça de réfléchir froidement. Mais la sérénité le fuyait comme l’air d’un pneu percé. Il était coincé pendant que là-haut Rimbaud devait passer des coups de fil, lancer l’alerte, rameuter les troupes. Son cœur se mit à battre plus vite.

Ils allaient le coincer en bas : un appel et ils le bloqueraient avant la sortie.

Depuis les attentats du 13 novembre 2015, non seulement il y avait des gardes à l’entrée, mais les plantons à l’accueil contrôlaient l’ouverture des portes à l’aide d’un bouton.

Il était fait comme un rat.

Puis il pensa à autre chose. Il avait quand même un avantage : l’immeuble était grand et la communication entre les services rarement optimale.

L’ascenseur s’ouvrit au rez-de-chaussée, devant les tourniquets, mais il resta planqué au fond de la cabine. Il présenta à nouveau son badge et appuya sur un autre bouton. L’appareil se remit en mouvement avec une légère vibration.

Les sous-sols.

Les geôles. Les cellules de GAV. Garde à vue.

Ne pas penser aux secondes qui défilaient…

Ils avaient déjà dû appeler l’accueil. Combien de temps avant qu’ils comprennent où il allait ?

Les portes qui s’ouvrent. Il émergea dans un espace froid, clinique, dépourvu de fenêtres, exclusivement éclairé à la lumière artificielle.

Tourna à droite.

Des cellules vitrées, les unes éclairées, les autres non. Des types allongés au ras du sol, derrière les vitres, comme des chiots dans une animalerie. Des regards indifférents, las, furieux ou simplement curieux.

Le grand bocal avec les gardes aux uniformes clairs un peu plus loin.

Il les salua, s’attendant à tout instant à les voir jaillir de leur cage pour l’intercepter, mais ils lui rendirent son salut d’un air affairé.

C’était plutôt calme ce matin-là. Pas de hurlements ni de tapage. Ils étaient toutefois en train de placer quelqu’un en garde à vue un peu plus loin — l’homme passait dans le portique de sécurité avant d’être fouillé. Trois flics de la BAC l’accompagnaient…

Ses battements s’accélèrent. C’était peut-être sa chance. Il dépassa le portique, poursuivit sa route…

Tourna à droite.

… La porte donnant sur le parking. Ouverte… Putain !

La Ford Mondeo attendait le retour de la patrouille dans la pénombre du parking, près de la sortie. Personne à l’intérieur… Il avala sa salive, en fit le tour, se pencha côté conducteur.

Nom de Dieu ! les clefs étaient sur le tableau de bord !…

Une demi-seconde pour prendre une décision. Il n’était pas encore tout à fait un criminel en fuite — s’il s’emparait de cette bagnole, il n’y aurait pas de retour en arrière possible. Il jeta un coup d’œil derrière lui : là-bas, les types de la BAC surveillaient le futur gardé à vue avant sa mise en cellule, sans s’occuper de lui ni du fourgon. Il entendit un téléphone sonner quelque part.

Décide-toi !

Servaz ouvrit la portière, s’assit au volant, mit le contact. Enclencha la marche arrière. Vit une tête se tourner là-bas. Puis le regard stupéfait du brigadier quand il embraya.

Il vira en faisant hurler les pneus sur le revêtement du parking, repartit en marche avant au milieu des rangées de voitures, fonçant en direction de la rampe.

Trente secondes…

C’était le temps qu’il estimait nécessaire pour atteindre la barrière là-haut, laquelle s’ouvrait automatiquement aux véhicules venant de l’intérieur et, en général, pressés…

Il allait vite, trop vite. Il faillit perdre le contrôle en arrivant sur la rampe, heurta une moto avec l’avant droit, fit un dérapage plus ou moins contrôlé, d’abord vers la gauche puis à droite toute. La grosse bécane qu’il venait de heurter s’effondra sur sa voisine et sa voisine sur la suivante, entraînant dans leur chute toutes les bécanes du parking dans un vacarme de tôles froissées et de guidons tordus qui se répercuta dans l’espace souterrain.

Il ne l’entendit guère : il grimpait déjà la rampe à toute allure, émergeant devant les pompes à essence dans une trajectoire cahoteuse, puis freinant brutalement avant de virer à droite et de foncer vers le porche et la barrière donnant sur le boulevard.

Il était en train de s’enfuir comme un bandit de son lieu de travail ! Tout l’hôtel de police devait entendre le hurlement de ses pneus !

Les doigts moites et crispés sur le volant, il s’efforça de chasser cette pensée, convaincu que la barrière n’allait pas se soulever, que quelqu’un allait surgir et que quelque chose allait mal tourner, qu’il allait finir ses jours en…

Concentre-toi, merde !

La barrière…

Elle se levait ! Il n’en croyait pas ses yeux. L’espoir ressurgit et l’adrénaline lui donna un coup de pied aux fesses. Il émergea sur le boulevard, grilla le feu devant une Mini venant par sa droite qui pila en faisant hurler ses pneus et klaxonna rageusement. Tourna à gauche en frôlant le trottoir qui longeait le canal et traça à vive allure vers le pont des Minimes.

Vingt secondes.

C’est le temps approximatif qu’il mit à parcourir les trois cents mètres qui le séparaient du pont.

Il franchit le canal quinze secondes plus tard.

L’avenue Honoré-Serres à présent.

Cinquante nouvelles interminables secondes à cause d’un ralentissement — sans qu’aucune sirène eût encore retenti —, il avait le palpitant comme un tambour. Il y eut même un instant où il fut tenté de faire demi-tour et de retourner à l’hôtel de police. « OK, les gars, j’ai fait une connerie, je suis désolé. » Mais il savait qu’il n’y avait plus de retour possible, désormais, qu’il était monté de lui-même à l’échafaud.

On y est presque : deux cents mètres encore et il vira à gauche dans la rue Godolin — crut entendre des sirènes au loin — puis à droite au bout de cent cinquante mètres dans la rue de la Balance et se perdit en quelques secondes dans le dédale du quartier des Chalets — avant d’abandonner le véhicule et de partir en courant.