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Clint n’avait pas rechigné quand il avait reçu l’appel et il ne rechignait pas à aller se frotter aux filles parce qu’il savourait d’avance ce qui se passerait dans la voiture garée sur le bas-côté pour qu’elles évitent la case prison. Il savourait d’avance la part de tarte et la tasse de café que lui offrirait Ned pour le remercier de l’avoir débarrassé des filles. Petites compensations bien naturelles à ses yeux pour un boulot qui ne payait pas assez. Il regarda la femme en short descendre du marchepied du semi-remorque et remarqua qu’elle ne ressemblait pas aux autres. Rien à voir avec la noire et la blanche à qui il n’avait même pas besoin d’adresser un seul mot. Il ouvrait la portière arrière de sa voiture, leur faisait signe et ça suffisait, elles lui lançaient un Salut, m’sieur l’agent et se glissaient sur la banquette et une heure plus tard, une fois qu’elles avaient fait ce qu’il voulait qu’elles fassent, il les déposait au bord de la route devant la maison où elles disaient habiter et leur faisait jurer d’attendre au moins une semaine avant de remettre ça.

Un peu de nouveauté n’était pas pour lui déplaire.

Il sortit de son véhicule. Les deux mains posées sur le ceinturon où était rangée son arme, le visage lisse et la raie bien au milieu. Trop vieille. C’est la première réflexion qui lui vint à l’esprit.

« Hé. »

Maben se figea.

« Vous faites quoi, là ? »

Il parlait avec toute l’assurance d’un homme qui sait qu’il détient le pouvoir.

« Je vais dans ma chambre.

— C’est pas ce qu’on m’a dit. Vous savez que c’est illégal de monter dans les camions faire des cochonneries ?

— Je suis pas montée dans un camion. Je vous ai dit, je rentrais dans ma chambre. »

Elle sortit la clé de sa poche et la lui montra comme si elle brandissait la preuve matérielle irréfutable qui lui sauverait la mise.

Il s’approcha et lui prit la clé. Il la leva à la lumière et l’examina de près. Puis la lui rendit.

« Le patron nous a appelés. C’est un endroit familial, ici.

— J’ai rien fait.

— Je vous ai vue sur ce camion là-bas. »

Il baissa alors les yeux et regarda ses jambes. Ses chaussures sales. Puis il observa son visage. Hagard et marqué, mais avec un petit nez retroussé qui laissait penser que tout ça avait dû être plutôt joli autrefois, et des yeux gris comme des pièces de monnaie patinées.

« Vous avez quel âge ?

— J’ai une gosse là-bas dans ma chambre. Faut que j’y retourne.

— Pas tout de suite. Va falloir venir avec moi.

— Je vous ai dit, j’ai rien fait.

— C’est pas ce que dit Ned.

— Hein ? Mais c’est qui, Ned ?

— Vous en faites pas pour ça. »

Il posa la main sur son bras décharné et elle essaya de se dégager mais surtout elle continua de se défendre en répétant j’ai rien fait. J’ai une gosse là-bas je vous dis. Il ouvrit la portière arrière de la voiture de patrouille puis lui tordit le bras dans le dos et elle ne put rien faire et se retrouva propulsée tête en avant sur la banquette où elle atterrit en roulant sur son épaule. Il claqua la portière avant qu’elle ait eu le temps de se redresser. Il regarda autour de lui, histoire de voir si Ned l’observait ou s’il y avait quelqu’un d’autre sur le parking pour saluer son intervention. Mais il n’y avait personne. Elle continuait de se défendre mais putain j’ai rien fait et y a mon bébé là-bas je vous ai dit j’ai rien fait allez-y allez voir dans le camion et demandez-lui vous verrez bien. J’ai rien fait. Il monta en voiture, s’installa derrière le volant puis se retourna et lui dit de la fermer et il fit demi-tour sur l’aire de stationnement. Je vous en prie monsieur l’agent j’ai rien fait. Je vous en prie.

Et ça, c’était son moment préféré. Le moment où elles se mettaient à supplier.

Il resta sur la 48 entre Magnolia et McComb. Il n’y avait rien sur cette route à part une salle de billard et un débit de boissons et un peu plus loin une boutique d’appâts. Quand elle se mit à pleurer il lui dit d’arrêter. Tu vas pas en prison. Si c’était en prison que t’allais, je t’aurais déjà passé les menottes. Puis il lui demanda comment elle s’appelait.

« Karen.

— Karen, répéta-t-il. J’ai une cousine qui s’appelle Karen. Sauf que elle c’est pas une pute comme toi.

— Où on va ?

— T’inquiète, Karen. C’est moi qui conduis. »

Elle arrêta de pleurer. Elle arrêta de parler. Elle resta assise le bras posé contre la portière, à regarder par la vitre tandis que la voiture de patrouille filait sur la deux-voies. Les lignes blanches bien nettes sur le côté et les réflecteurs qui fendaient le milieu de la route en pointillé et qui brillaient comme des diamants dans la lumière des phares.

Elle n’avait guère de mal à imaginer la suite.

Il tourna sur une autre route bordée de plaines puis moins de deux kilomètres plus tard il bifurqua, cette fois sur un chemin étroit et cahoteux, si mal goudronné que le radar et la radio n’arrêtaient pas de tressauter sur le tableau de bord. Une clôture de fil barbelé longeait la route de part et d’autre et bientôt il ralentit puis s’arrêta et éteignit les phares. Maben regarda autour d’elle. Aucune lumière visible nulle part. Il tendit la main vers le tableau de bord et baissa le volume de la radio. Il laissa ses codes allumés et la voiture baignait dans une lueur orange comme pour faire surgir les démons de l’obscurité.

« Hé, regarde un peu par là, dit-il en tapotant le rétroviseur. J’imagine que tu sais que je vais passer à l’arrière maintenant. »

Leurs yeux se croisèrent dans le miroir.

« Une fille comme toi, qu’est-ce que t’en as à foutre ? Vois ça comme ça : t’es toujours payée mais avec une carte ne passez pas par la case prison. »

Il se mit à rire doucement et se dit quelque chose à lui-même qu’elle ne comprit pas. Et toujours en riant de cette espèce de grommellement sourd il défit le ceinturon où était accroché son revolver et le cuir craqua quand il le fit coulisser autour de sa taille.

Il le brandit sous ses yeux et dit regarde. Tu vois ? On va être copains tous les deux. Il le posa sur le siège passager puis ouvrit sa portière et ensuite il sortit sa chemise kaki amidonnée de son pantalon kaki amidonné. Il ouvrit lentement la portière arrière. Pencha la tête et lui dit de se décaler. Elle recula sur la banquette et il s’assit à côté d’elle. Il lui dit d’enlever ses chaussures crasseuses et elle obéit. Il lui dit d’enlever son tee-shirt et elle obéit. Et il continua de lui dire ce qu’elle devait faire. Et elle continua d’obéir. En fermant les yeux, quand il l’autorisait.

6

Quand il eut terminé, il sortit et se rhabilla debout à côté de la voiture. Il la vit faire pareil et lui dit te donne pas la peine, va. On n’a pas encore fini.

Maben l’ignora et enfila son tee-shirt.

Il se pencha et lui dit avec un sourire grimaçant :

« Tu crois que je plaisante ? »

Elle remit son short. Et alors il se pencha par la portière et la saisit par la nuque et la plaqua contre la banquette et la violence de ce geste lui fit pousser un grognement de douleur.

« Enlève ça. T’as compris ? lui murmura-t-il dans un souffle au creux de l’oreille. On n’a pas fini. »