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« Quand tu vois arriver une balle rapide tu tapes ! » cria-t-il à son fils qui était allé se rasseoir dans la fosse.

Puis il se retourna et commença à donner de grands coups de batte devant les trois flics sans réussir à les atteindre et la deuxième fois il tituba et l’un des malabars se rua sur lui avant qu’il ait pu reprendre son équilibre et ensuite ils lui sautèrent tous les trois sur le dos et le plaquèrent au sol, le visage dans la poussière et les genoux sur les reins, et ils lui tirèrent les bras en arrière pour lui passer les menottes. Ils le relevèrent et sa lèvre avait éclaté et le sang et la terre et la bave et la sueur lui coulaient sur le menton et dans le cou. Ils l’emmenèrent et les gosses les regardèrent passer le long du terrain comme s’ils assistaient à une parade de carnaval, et quand ils le poussèrent à l’arrière de la voiture de police il s’effondra sur le côté et il n’essaya même pas de se redresser.

45

Walt était assis à l’extrémité du bar et veillait à discuter suffisamment avec Earl pour que celui-ci s’en souvienne. Il voulait être sûr de se faire remarquer parce que plus tard, quand il dirait à Larry qu’il était sorti et que c’était pour ça qu’il n’avait pas eu le message et qu’il avait mis si longtemps à le rejoindre, il voulait qu’il y ait des témoins pour confirmer. Il voulait rester du bon côté de la barrière le plus longtemps possible.

Il surveillait l’horloge au-dessus du bar, se demandant à quel moment il pourrait rejoindre Larry sans crainte.

Pas tout de suite.

Il n’avait pas aimé se retrouver avec ce fusil pointé sur lui. Et il avait été chamboulé par le flot de paroles de Larry quand ils étaient partis de chez Russell le premier soir. Un putain de fusil sous le nez, avait-il dit. Vas-y, mets-moi un putain de fusil sous le nez et tu verras. Quand est-ce qu’ils vont comprendre, hein ? Quand ? Tu peux me le dire ? Quand est-ce qu’ils vont comprendre qu’y faut pas me chercher ? Vas-y, braque-moi. Pointe ce fusil sur ma tête. Là. Juste là entre les deux yeux. Putain, j’te jure qu’y finiront par comprendre. Un putain de fusil sous mon nez. Il conduisait n’importe comment tout en continuant de déblatérer. Postillonnant partout. Le doigt pointé vers le pare-brise puis vers Walt et de nouveau vers le pare-brise. Y croit quoi, que j’ai la trouille ? C’est pas ça qui va me foutre la trouille. Putain de fusil sous le nez. Vas-y, continue, cherche-moi et tu vas me trouver. Putain, y se croient tous obligés. Pas vrai ? Toujours un truc qu’y se croient obligés de faire. Que s’ils le font pas y vont crever la gueule ouverte, putain. Obligés de prendre leur caisse et de rouler torchés et de débouler comme des connards au sommet de la colline et de buter quelqu’un. Faut qu’ils le fassent. Rien à foutre de ce qui pourrait arriver jusqu’au moment où ça arrive. Obligés. Obligés de jouer aux connards. Rien à foutre de passer pour un connard. Pas le choix. Si je fais pas des conneries la terre s’arrête de tourner. Y faut y faut j’ai pas le choix oh oui mon Dieu maintenant tout de suite y me le faut. Rien à foutre du reste mais allez-y, continuez de me chercher. Tous. Vas-y, fais-toi plaisir. Tu vas voir. Oh putain, ça oui tu vas voir. Je parie qu’il est en train de se bidonner à l’heure qu’il est mais putain je te jure la prochaine fois y se bidonnera moins. La prochaine fois je lui chope ce fusil d’entre les mains et je le lui enfonce dans la gorge. Le fils de pute, me mettre un fusil sous le nez comme s’il venait de débarquer en ville sur un putain de cheval blanc. Il a une dette envers moi et toi et Jason et il le sait parfaitement. Vas-y putain vas-y continue.

Walt avait toujours suivi son frère. La brutalité. L’alcool. Il aimait se bagarrer. Déjà petit. Puis à l’adolescence. Puis à l’âge adulte. Et aujourd’hui encore. Il aimait ça surtout quand le rapport de force penchait en leur faveur, comme c’était le cas la plupart du temps. Il était partant quand Larry avait commencé à évoquer le retour de Russell. Qui avait tué Jason et ne méritait pas de se promener en liberté et on vengera notre petit frère qui ne pourra jamais tirer vengeance lui-même. Il avait attendu ce moment avec impatience. Il avait pris plaisir à tabasser Russell à la gare routière. Et il se réjouissait d’avance à l’idée de remettre ça la prochaine fois, boire et puis le pourchasser.

Mais il n’avait pas aimé se retrouver dans la ligne de mire de ce fusil. Il n’aimait pas que les choses aient pris de telles proportions. Il n’aimait pas avoir peur. Comme quand il était entré dans la pièce et qu’il avait vu Russell planté là avec ce fusil entre les mains. Il avait joué les gros durs, mais quelque chose en lui avait déraillé à cet instant. Première fois qu’il se retrouvait tenu en joue. Toutes ces bagarres dans les bars et sur les parkings mais jamais une arme à feu. Et il avait vu la lueur dans l’œil du type qui les avait tenus en joue et il le croyait capable d’appuyer sur la détente. Balancer la tête d’un mec contre un mur ne lui posait aucun problème et il pleurait Jason comme n’importe quel homme aurait pleuré son frère mais pas question de se faire trouer la peau. Et il allait devoir trouver un moyen de dire ça à Larry.

Il demanda à Earl un autre verre et alluma une cigarette. Il avait écouté le message de son frère quatre fois. J’ai besoin de toi, Walt. À la prison de Kentwood. Viens me chercher. Déconne pas. Ramène ton cul. Putain, mais qu’est-ce que tu fous ? Walt savait que si Larry l’avait appelé de la prison de Kentwood, ce n’était sans doute pas sans raison, mais il ne se sentait pas moins coupable pour autant d’ignorer son frère.

Earl lui apporta sa bière, la posa sur le comptoir, et à cet instant la porte s’ouvrit. Walt tourna la tête et aperçut Heather. Earl lui dit salut et elle lui répondit d’un sourire puis elle demanda à Walt s’il avait des règles strictes quant à ce qu’elle avait le droit de boire en sa présence.

« J’en ai rien à foutre », dit-il.

Elle commanda un verre de vin et tandis qu’Earl la servait elle tendit le bras pour attraper une cigarette du paquet de Walt posé sur le bar.

« Où est ton frangin ? » demanda-t-elle.

Il prit une longue taffe et souffla la fumée par les narines.

« Où est ton mari ?

— Même endroit que ton frangin. »

Il hocha la tête. Se demanda si elle savait ce qu’il savait.

Walt gardait les yeux rivés aux bouteilles d’alcool sur les étagères devant lui. Heather s’était assise de côté et regardait les tables vides autour d’elle. Il but puis lui dit t’es quand même pas croyable.

« Comment ça ?

— J’aime autant pas développer », dit-il.

Il repensa aux conversations qu’il avait eues avec Larry à propos d’elle à l’époque où celui-ci s’apprêtait à l’épouser. Comme quoi les gens changent pas et ce genre de conneries et merde je sais bien qu’elle est chouette mais enfin des filles chouettes y en a treize à la douzaine et tu serais pas obligé de leur passer la bague au doigt et de te ronger les sangs comme tu vas te ronger les sangs pour celle-là.

« Vas-y, dis-moi, fit-elle en lui donnant un petit coup de genou dans la jambe. Qu’est-ce que j’ai de pas croyable ?

— J’ai pas dit non plus que t’étais Wonder Woman, hein. Mais pas croyable dans le genre parfois faut se pincer pour le croire. »

Heather se mit à rire. Elle ne put pas s’en empêcher.

« Tu vois ce que je veux dire ?

— Non, pas du tout. Je ne vois vraiment pas. C’est absurde.

— Pas pour moi. Ni pour Larry.

— Larry ne se soucie pas de moi.

— Tu sais pas de quoi il se soucie, dit Walt.

— Toi non plus.

— Crois-moi, je sais de quoi je parle.