Выбрать главу

— Tu me balances ça comme ça, que je suis pas croyable et que tu sais ce que Larry a dans la tête. Mais personne ne sait ce qu’il a dans la tête, Larry. Même lui n’en sait rien.

— Tout ce que je sais c’est que t’es pas croyable. »

Elle se remit à rire. Renversa la tête en arrière et dégagea les cheveux de son visage. Se sourit à elle-même dans le miroir du bar.

« Tu ne sais même pas ce que tu racontes, dit-elle.

— Je sais très bien ce que je raconte », dit-il.

Il répondit à son sourire par un regard appuyé et sur son front se dessinait la même petite ride que sur celui de Larry quand il ne plaisantait pas. Il gigota sur son tabouret. Prit une gorgée de bière. Se retourna vers elle et lui dit ce qu’est pas croyable c’est que tu le laisses pas souffler un peu. Ce qu’est pas croyable c’est que tu agisses comme tu agis. Que t’aies besoin de lui mettre le nez dedans. Que t’aies besoin de te foutre de sa gueule. Ça c’est pas croyable. Voilà ce que je voulais dire. Que tu sois pas capable de le laisser souffler un peu de temps en temps. Et maintenant je me casse et tu peux régler la note toute seule. Avec le fric de Larry que t’as dans les poches. T’as tout ce que tu veux. Et moi je suis un pauvre con de rester assis là à te parler alors que je devrais être ailleurs.

Ils avaient mis Larry dans une cellule de détention avec le reste de la tournée du lundi soir. Ils étaient dix. Pas de fenêtre et un banc le long de chaque mur. Le sol poisseux et taché. Odeurs de bière et pire encore. Larry était assis les bras croisés, furieux parce que personne n’avait répondu à ses appels. Furieux parce qu’il était près de minuit et qu’il croupissait encore dans cette cellule. Trois types dans le coin opposé avaient commencé à l’observer du coin de l’œil. Les autres restaient sur leur quant-à-soi. Clope au bec, la semelle battant le sol nerveusement, visage entre les mains.

Deux costauds et un petit. Le petit jactait en montrant Larry du doigt aux deux autres qui se contentaient de hocher la tête en souriant de travers. Larry était resté assis, les coudes posés sur les genoux, mais dès que les deux armoires à glace s’avancèrent il se leva d’un bond. Plus de gras que de muscle, et l’un des deux avait le crâne rasé tandis que l’autre avait des nattes et on aurait dit qu’il avait des traces pâles de rouge à lèvres sur la bouche. Tous les deux en salopette. Torse nu en dessous. Le petit mec resta dans son coin, les jambes croisées et les mains l’une par-dessus l’autre sur son genou comme s’il posait pour un portrait.

« Mon copain aime bien tes bottes », dit le crâne rasé.

Son acolyte aux cheveux nattés désigna les pieds de Larry comme pour clarifier son propos.

Larry se pencha de côté pour lancer un regard au petit mec. Fard à paupières, mascara, le jean retroussé jusqu’aux genoux, et il portait des sandales.

« Content pour elle, dit Larry.

— C’est quelle pointure ?

— La mienne. »

Le type aux nattes commença à se frotter les mains.

« Y pourrait peut-être les essayer ? »

Larry balaya la cellule du regard. Se disant qu’il pourrait trouver du renfort parmi les autres mais il était tout seul.

« Et si je vous filais plutôt vingt dollars ? » dit Larry.

Le colosse natté vint s’asseoir à côté de lui, passa un bras autour de ses épaules et lui dit et si je te faisais plutôt un gros bisou baveux sur ta jolie petite bouche. Puis le crâne rasé s’assit de l’autre côté et Larry voulut se lever mais ils le forcèrent à rester assis. Il se demanda si crier servirait à quelque chose. Ils se serrèrent contre lui comme s’ils câlinaient leur poupée préférée.

« Tu veux que je t’aide à les enlever ou tu le fais tout seul ? demanda le crâne rasé.

— Laissez-moi me lever et je les enlève.

— Enlève-les et on te laisse te lever.

— Ramenons-le à la maison, dit le natté en soufflant dans l’oreille de Larry. J’ai toujours rêvé d’avoir un cow-boy sous la main. »

Larry retira ses bottes.

« Les chaussettes aussi. »

Larry enleva ses chaussettes et les fourra dans les bottes.

« Ce qu’y sont moches, ses pieds, dit le crâne rasé.

— Y a pire, fit l’autre.

— Allez, lâchez-moi, putain, dit Larry.

— T’as intérêt à être gentil, dit le natté. Si ça se trouve on est partis pour passer la nuit ensemble. »

Le grand chauve se leva, prit les bottes et dit à son copain de le suivre. Ils laissèrent Larry et rejoignirent leur ami, et leur ami adressa un petit signe moqueur à Larry tandis que les deux gros bras lui enfilaient les chaussettes et les bottes.

Larry se leva et alla s’agripper aux barreaux de la cellule.

« Walt, espèce d’enculé ! Espèce de connard ! Amenez-moi au téléphone ! Hé ! Y a quelqu’un ? Ramenez-moi à ce putain de téléphone, merde ! »

Une demi-heure plus tard, le geôlier ouvrit la porte et fit signe à Larry de le suivre. Ils traversèrent le couloir et entrèrent dans un bureau où il signa des papiers et récupéra ses clés et son portefeuille. Puis on le fit sortir, traverser un autre couloir, franchir une autre porte et il se retrouva devant Walt.

Walt regarda les pieds de son frère.

« Putain, mais qu’est-ce que t’as fait de tes bottes ? »

Larry passa devant lui et sortit sans répondre. Walt lui emboîta le pas et reposa deux fois la même question mais laissa tomber quand ils furent arrivés au pick-up et que Larry n’avait toujours pas décroché un mot.

Ils quittèrent le poste de police et traversèrent Kentwood pour rejoindre l’autoroute. Walt prit la direction nord et Larry lui dit ma caisse est garée devant le stade espèce de crétin.

« Me traite pas de crétin », dit Walt.

Il fit aussitôt demi-tour et franchit la ligne médiane au lieu d’attendre la prochaine sortie et les phares balayèrent la nuit en cahotant quand il dut enfoncer l’accélérateur pour éviter une voiture qui arrivait en sens inverse. Il s’engagea sur la rampe d’accès et Larry lui dit je te traite de ce que j’ai envie. Puis ni l’un ni l’autre ne prononcèrent un mot jusqu’à ce qu’ils arrivent au parking du stade.

Larry s’apprêtait à ouvrir la portière quand Walt lui dit attends une seconde. Faut que je te dise quelque chose et je veux pas que tu pètes les plombs quand je te l’aurai dit. Toi et moi on sait que Russell doit payer pour ce qu’il a fait mais perso les fusils et les flingues c’est niet. J’ai pas envie de mourir et tu devrais pas toi non plus. Et si on va jusque-là c’est exactement ce qui va se passer et j’ai pas l’intention de bouffer les pissenlits par la racine dans l’immédiat. Personne y gagnerait, ni moi, ni toi, ni Jason. Pour le reste, on fait comme tu veux. »

Larry ouvrit la portière et descendit du pick-up. Lança un regard à Walt.

« Quoi ?

— Alors t’es comme les autres, hein ? dit Larry.

— Quoi, comme les autres ? »

Larry fusilla Walt du regard et sentit le sang bouillonner en lui comme s’il commençait à fondre à l’intérieur, la chaleur dans ses veines attisée par la rage jusqu’à le réduire tout entier à une masse informe et brûlante de chair et d’os. Il continua de regarder son frère sans rien dire puis claqua la portière. Walt n’avait pas envie d’attendre la prochaine navette pour McComb et il redémarra en trombe et les pneus crissèrent sur l’asphalte. Larry alla baisser le hayon de son pick-up, s’assit sur le plateau et regarda le terrain de base-ball désert. Les allées et les gradins déserts. Puis il longea le terrain, pieds nus, entra par le portillon au niveau de la première base et se mit à courir. Il courut et plongea tête la première sur le marbre de la deuxième base puis se releva et se précipita vers la troisième et plongea de nouveau tête la première. La chemise et le jean et les bras et le cou maculés de terre battue rouge. Le cœur à deux cents et le souffle court et il enleva sa chemise et se remit à courir et à plonger, courir et plonger. Le torse et les bras striés d’éraflures et pissant le sang et de la terre plein les narines et les oreilles et sous les ongles et les yeux allumés de haine et de rage.