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Il la lâcha et elle se redressa lentement. Prudemment. S’attendant à prendre une gifle, ou pire. Elle ôta de nouveau son tee-shirt et lui dit je croyais que vous aviez eu ce que vous vouliez.

« C’est le cas.

— J’ai fait tout ce que vous m’avez dit. J’ai ma gosse là-bas. Pour de vrai, je vous le jure.

— Si t’as vraiment une gosse qui t’attend là-bas, eh ben t’as intérêt à obéir. Qu’est-ce qui se passerait à ton avis si la maman de cette gosse se faisait arrêter parce qu’elle faisait la pute, hein ? Une gamine toute seule dans une chambre de motel. Et puis j’imagine qu’y a rien là-bas, rien à bouffer. Y se passerait quoi à ton avis, hein ? Alors t’as intérêt à m’écouter. »

Elle ne répondit pas. Aucune raison de répondre. Elle se mit à prier pour qu’Annalee reste endormie. Qu’elle ne se réveille pas et croie que sa mère l’avait abandonnée. Elle espérait que ce cauchemar, comme tous les cauchemars, prendrait fin avant que le jour se lève et qu’elle serait de retour dans la chambre, assise sur le lit auprès d’Annalee comme si de rien n’était, quand la petite ouvrirait les yeux.

Clint avait laissé la portière ouverte. Tellement sûr de lui. Il se glissa derrière le volant et alluma la radio. Rien à signaler. Puis il sortit un téléphone de la boîte à gants et composa un numéro.

« Je nous ai trouvé un peu de distraction, dit-il. Rapplique, tu verras. Ouais, comme d’hab. Ouais, venez tous les deux. J’ai vérifié la radio, c’est bon, y a rien. On a toute la nuit devant nous. Même topo que d’habitude. »

Il raccrocha et posa le téléphone sur le siège passager à côté du ceinturon. Il jeta un coup d’œil à Maben à travers la paroi de protection et dit toi et moi on va avoir de la compagnie. Je te suggère de te tenir à carreau.

Elle serra son tee-shirt contre sa poitrine et ce geste de pudeur le fit rire. Elle sentait le poison de la vigne sauvage monter en elle et l’étouffer. Elle regarda la portière. Grande ouverte. Comme une invitation à s’enfuir ou à faire quelque chose qu’il pourrait lui reprocher ensuite. Elle ne savait pas si c’était l’affaire de quelques minutes ou d’une demi-heure mais bientôt ils seraient trois. Au moins. Et elle ne pensait pas qu’elle atterrirait en prison une fois que tout serait terminé. Elle ne pensait pas qu’il l’avait crue quand elle lui avait dit que la petite l’attendait au motel, et quand bien même il la croyait, il n’en avait apparemment rien à faire. Une femme de chambre finirait par trouver Annalee, ou alors elle s’en irait seule chercher de l’aide, puis il y aurait un coup de fil et ce serait fini, la seule chose qu’il lui restait au monde lui serait enlevée. Elle tourna la tête vers le paysage plat et silencieux autour d’elle. Pas de lumières et pas de réponses.

« Vous voulez que je sorte pour les attendre ? » demanda-t-elle.

Il se retourna comme s’il attendait que quelqu’un d’autre réponde. Ça lui ferait une chouette histoire à raconter s’il la faisait asseoir sur le capot comme une espèce de trophée érotique.

« Bah, tant qu’à faire. De toute façon faudra que tu sortes, alors… Mais sans rien sur toi.

— J’ai déjà tout enlevé. Comme vous m’avez dit.

— Eh bah alors viens. »

Elle glissa sur la banquette. Le cuir lui collait à la peau des cuisses. Il sortit en même temps et la fit venir à l’avant de la voiture. Elle s’assit sur le capot et quand ses fesses nues entrèrent en contact avec le métal brûlant elle sursauta. Elle demanda si elle pouvait mettre son tee-shirt dessus pour s’asseoir et il dit d’accord puis il tourna le dos et regarda la route et attendit que les phares apparaissent à l’horizon. Elle vit qu’il regardait ailleurs et alors elle se pencha et tendit le bras par la portière pour prendre le revolver accroché au ceinturon et quand il se retourna elle était là, debout devant lui. Son corps nu illuminé par la lueur orange des codes. Le revolver pointé sur lui.

« Non mais je rêve », dit-il, et il allait de nouveau éclater de rire mais il n’eut pas le temps parce qu’elle tira alors et la balle lui perfora la gorge.

Il tomba à genoux et elle s’approcha de lui et il se tenait le cou à deux mains et le sang lui ruisselait entre les doigts dans la lumière étrange et il essaya de lui sauter dessus et elle recula d’un pas et alors il s’effondra au sol. Il se retourna sur le dos, les mains toujours plaquées sur la gorge. Il tenta de se relever et alors elle tira encore deux fois et il s’écroula et ne bougea plus.

Elle abaissa son arme puis la laissa tomber et ses mains soudain tremblantes se levèrent et elle les posa sur sa tête mais ce n’était pas le moment alors elle ramassa ses vêtements et ses chaussures à l’arrière de la voiture et elle se rhabilla à toute vitesse et tout à coup elle fondit en larmes et se mit à hoqueter mais elle se força à arrêter. Tu peux pas faire ça, pas maintenant, et elle retourna à l’avant de la voiture et il n’avait pas bougé et il ne bougerait plus et elle ramassa le revolver. Le téléphone sonna sur le siège passager et elle savait que c’était eux et elle vérifia qu’il ne restait rien à elle sur la banquette arrière et ensuite elle se mit à courir. Elle s’éloigna de la voiture et elle arrivait à peine à voir où elle mettait les pieds mais ça ne la ralentit pas et elle remonta le chemin à toute vitesse en espérant qu’elle avait pris du bon côté et elle continua de courir et de courir aussi vite que possible.

La route faisait une courbe et elle aperçut la lumière des phares qui arrivaient dans le virage et elle plongea dans les herbes hautes sur le bas-côté, s’aplatit au sol de tout son long et elle aurait voulu pouvoir s’aplatir plus encore. La voiture passa sans la remarquer et elle attendit que les feux arrière ne soient plus que d’infimes points de lumière au loin et alors elle se remit à courir. Elle ne savait pas jusqu’où il lui faudrait aller mais elle savait que c’était loin. Elle avait les jambes en feu, les muscles déjà fatigués d’avoir marché pendant trois jours sous la chaleur. Mais elle ignora la douleur et s’obligea à continuer. Elle courait en agitant les bras et les jambes et elle haletait tandis que la peur montait en elle et sortait de sa bouche par petits cris saccadés. Elle transpirait et haletait et faisait passer le revolver d’une main dans l’autre comme si elle s’attendait à ce que l’une des deux lui dise quoi en faire. Dans sa course son genou vint heurter l’arme et la fit tomber dans le noir. Elle hurla merde saloperie et alors elle s’effondra, les mains et les genoux à terre. Tâtonna dans le gravier au bord de la route et appela et supplia le bon Dieu de lui montrer où il était. La poussière se soulevait et les cailloux roulaient sous ses mains fébriles et enfin elle le trouva et aussitôt elle se releva et elle se remit à courir. C’est alors qu’elle entendit la sirène.

Elle continua de courir jusqu’à ce que les lumières du relais routier apparaissent et tandis qu’elle se rapprochait elle essaya de se souvenir si quelqu’un avait pu la voir sur l’aire de stationnement. Si quelqu’un l’avait vue dans la voiture avec l’officier de police. Il n’avait signalé l’incident à personne. N’avait parlé à personne quand il l’avait embarquée. Il n’avait utilisé son téléphone que pour appeler ses copains et leur dire de rappliquer et de venir s’en payer une bonne tranche. D’autres sirènes vinrent se joindre à la première et elle imagina les lumières tournoyant autour du cadavre parce qu’elle avait déjà vu ce genre de scène. Elle imaginait ses yeux morts et ouverts et le sang qui s’écoulait dans les crevasses de la route et les filets ruisselants de rouge que les hommes en uniforme prendraient soin de contourner. Le corps avachi et plié comme s’il n’y avait plus un seul os à l’intérieur et le ciel immense et sans réponse.