Выбрать главу

49

Il faisait les cent pas devant la porte des urgences. Fumant une cigarette. Se parlant à lui-même. Russell se demandait où était passé ce fils de pute et s’il s’était déjà vidé de son sang et il s’en voulait à mort de ne pas avoir continué de tirer sur Larry jusqu’à ce que son corps ne puisse être évacué de chez lui qu’à la petite cuillère. Il fuma sa cigarette jusqu’au filtre puis jeta le mégot et en ralluma aussitôt une autre. Il y avait des taches de sang sur sa chemise, le sang de Maben qu’il avait relevée et portée dans ses bras, le sang qui avait coulé de son oreille quand sa tête s’était affaissée sur son épaule. Il l’avait allongée sur la banquette du pick-up et il avait roulé à tombeau ouvert, passant à deux doigts de provoquer des carambolages parce qu’il avait grillé le feu rouge à au moins trois intersections. Deux jeunes gens en blouse médicale avaient surgi par les portes vitrées automatiques et l’avaient sortie du pick-up et posée sur un brancard et il avait tout juste eu le temps de leur dire qu’elle était blessée à la tête avant qu’ils ne disparaissent avec elle à l’intérieur du bâtiment. Il n’avait pas le courage d’entrer et il était resté dehors à marcher en rond et à fumer et à attendre. Une femme derrière le comptoir d’accueil n’arrêtait pas de lui faire signe par la fenêtre en agitant un porte-bloc dans sa direction, l’appelant pour qu’il vienne lui dire ce qu’il savait. Mais il avait montré sa cigarette allumée en guise d’excuse puis l’avait ignorée.

C’est à cet instant que la voiture de patrouille déboula. Boyd aperçut Russell, manœuvra pour se garer puis descendit du véhicule et le rejoignit devant la porte des urgences.

« J’ai appris par la radio, dit-il. Ton adresse était mentionnée. Tu vas bien ?

— J’ai l’air d’aller bien ? »

Boyd désigna du doigt le sang sur l’épaule de Russell.

« C’est à qui, ça ? »

Russell jeta sa cigarette. Se redressa et balaya des yeux le parking. Sentant peser sur lui le regard de Boyd. Conscient qu’il ne savait plus quoi lui dire. Qu’il n’avait plus aucune échappatoire. Presque plus aucune excuse derrière laquelle s’abriter. Conscient que la prochaine décision de Boyd serait d’entrer dans cet hôpital et d’aller voir par lui-même ce qui s’était passé. Et alors il découvrirait Maben. Puis il attendrait qu’elle soit en mesure de parler. Que cela prenne une heure ou un jour ou une semaine, il serait la première personne qu’elle verrait en rouvrant les yeux et alors elle devrait répondre à ses questions et il n’y avait aucun moyen de savoir comment elle répondrait après le coup qu’elle avait pris sur le crâne. Ou si elle serait seulement capable de répondre. Peut-être aurait-elle tout oublié. Peut-être aurait-elle oublié juste ce qu’il fallait. Impossible de prédire ce qui sortirait de sa bouche si du moins elle retrouvait l’usage de la parole. Impossible de savoir ce qu’il lui resterait dans la cervelle.

« Qu’est-ce qui s’est passé, Russell ? Tu peux me le dire soit maintenant, soit plus tard, c’est toi qui vois. »

Russell alluma une autre cigarette.

« Je suis rentré chez moi et Larry était là. Y avait une femme avec moi et il l’a frappée avec un pied-de-biche ou je sais pas quoi. Pensant que c’était moi. Et ensuite on s’est battus et j’ai réussi à attraper mon fusil et j’ai tiré sur ce connard.

— Les flics t’ont déjà interrogé ?

— Pas encore. »

Boyd marchait en rond sur le trottoir. Les mains sur les hanches.

« Bon. Et la nana, c’était qui ?

— Une femme, c’est tout.

— C’est grave ?

— J’imagine. Putain de pied-de-biche en plein sur la tempe. »

Boyd se remit à marcher d’un pas nerveux. Il aurait voulu que Russell crache le morceau et lui dise qui était cette femme sans devoir le lui redemander mais apparemment ça ne sortirait pas tout seul.

« C’était qui ? » demanda-t-il sèchement.

Russell renversa la tête et souffla sa fumée vers le ciel. Frotta les traces de sang sur sa chemise. Puis désigna la voiture de patrouille.

« T’as de l’essence dans le réservoir ?

— Un peu.

— Alors viens. On va faire un tour. »

Russell se mit en route et Boyd lui emboîta le pas. Ils croisèrent une voiture de police en sortant du parking de l’hôpital. Boyd lui demanda où on va et Russell lui dit d’aller vers le lac. Ils traversèrent la ville puis la laissèrent derrière eux sans desserrer une seule fois la mâchoire. La radio diffusa un appel à renforts suite à un accident sur l’autoroute mais ils n’avaient pas besoin de tout le monde et Boyd dit qu’il était occupé du côté de Pricedale, une histoire de tracteur. À l’approche du lac, Boyd ralentit et attendit que Russell lui indique le chemin et celui-ci finit par l’emmener à son endroit favori. La voiture de patrouille s’engouffra sur l’étroit chemin de terre entre les arbres serrés. Ils s’arrêtèrent juste au bord de l’eau.

« Coupe tout », dit Russell.

Boyd éteignit les phares et tourna la clé de contact. Russell descendit de la voiture et alla s’asseoir sur le capot et Boyd vint s’asseoir à côté de lui. Il croisa les bras et attendit. Russell termina sa cigarette, s’avança sur la berge et jeta son mégot dans le lac. Il ne voulait pas retourner là-bas. Les odeurs de cet endroit le poursuivaient. Les hurlements et les menaces et la promesse de ce qui l’attendait quand il reviendrait. Il restait tant de batailles à livrer, mais il savait qu’il était plus à même qu’elle de les endurer.

Il se retourna face à Boyd.

« Tout est dans la confiance. Quatre ans à l’entendre nous seriner ça jour après jour, tu te souviens ? dit Russell. Et je parie que notre bon vieux coach Noland continue de le seriner aujourd’hui encore à qui veut bien l’écouter. Tout est dans la confiance.

— Ce qu’on pouvait en avoir marre de ce couplet, acquiesça Boyd.

— Tacler, tout le monde peut le faire. Courir vite, tout le monde peut le faire. Soulever de la fonte. S’entraîner comme un chien. Mais c’est pas ça qui compte. Ce qui compte, c’est de se faire confiance les uns aux autres. Faut faire le job. Faites ce que vous avez à faire. Laissez les dix mecs en face croire que vous êtes là à faire ce qu’il faut. Croire qu’ils font leur job de leur côté et vous le vôtre. C’est ça qui fait la différence.

— Le pire, c’est que ça marchait. On gagnait vachement plus de matchs qu’on n’en perdait. Et la plupart du temps on n’était ni les plus baraqués ni les plus forts.

— Ça non.

— Mais on avait la niaque. Plus que d’autres, sans doute.

— Sans doute.

— Bon, mais j’imagine qu’on n’est pas là pour échanger des souvenirs d’anciens combattants ?

— Non, dit Russell. On n’est pas là pour ça.

— Et pourquoi on est là alors ? »

Russell se rassit sur le capot de la voiture. Jambes croisées. Tendant un doigt vers le lac.

« Là, dit-il. Le flingue de ton gars, il est là-dedans.