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— Comment ça, le flingue de mon gars ?

— T’as très bien compris, Boyd. »

Boyd se frotta la bouche. Les yeux.

« Merde, Russell.

— Oui, comme tu dis. »

L’eau clapotait doucement sur la berge. Boyd chassa un moustique. Une chouette hulula et une bête poussa un cri dans la forêt.

« Et maintenant, dit Russell au bout d’un moment, à ton tour.

— De quoi ?

— De me faire confiance.

— Ah non, commence pas.

— Je commence rien du tout. Je veux juste que tu m’écoutes. Sérieusement. Écoute-moi. Je vais te dire la vérité et il faut que tu me fasses confiance et que tu me croies.

— Je vais essayer.

— Pas simplement essayer, dit Russell.

— Hé, je vais pas non plus prêter serment, Russell. Je peux pas faire ça. Tu le sais aussi bien que moi.

— D’accord. Dans ce cas fais de ton mieux et écoute-moi jusqu’au bout. Et m’écoute pas comme un homme de loi.

— Et tu veux que je t’écoute comme quoi alors ?

— Comme si t’étais juste toi et que moi j’étais juste moi et c’est tout.

— Ça fait une sacrée chiée de conditions de la part du mec qui vient de me montrer où était le pétard que tout le putain de comté est en train de chercher.

— Tu sais très bien que c’est pas moi qui l’ai tué. Ou en tout cas tu devrais.

— Et c’est qui alors ?

— Pas quelqu’un qu’était pas dans son bon droit. »

Russell se leva de nouveau. S’avança face à Boyd. Le regardant dans le noir. La silhouette massive de l’ami sur lequel il espérait pouvoir encore compter.

Et alors il se mit à parler.

Il dit à Boyd que la femme aux urgences était Maben mais ça j’imagine que t’avais déjà deviné. Oui, la même Maben. Et puis il lui raconta comment leurs chemins s’étaient recroisés. Maben qui l’avait braqué à la sortie de l’Armadillo et qui lui avait demandé de les emmener, se dépêchant de faire monter la petite à bord du pick-up. Le revolver qui tremblait dans sa main. Il tremblait tellement qu’il m’a suffi de tendre le bras pour le lui prendre. Et puis le long trajet, toute la nuit, et voilà ce que je faisais ce fameux soir-là qui t’intrigue tant. Puis il lui raconta ce que Maben avait subi quand ce flic l’avait arrêtée sur le parking du relais routier et qu’il l’avait embarquée et tout ce qu’il l’avait forcée à faire. Le moment où elle avait cru que c’était fini et où il lui avait dit que ce n’était pas fini. Qu’ils allaient bientôt avoir de la compagnie alors ferme ta gueule. Et la panique de Maben en pensant alors à Annalee qu’elle avait laissée dans la chambre du motel et le moment où elle avait décidé que ça ne se terminerait pas comme ça pour elles et l’instant d’après elle avait le flingue entre les mains puis le flic étendu mort à ses pieds et elle qui s’était mise à courir.

Russell expliqua ensuite à Boyd qu’elle était convaincue que personne ne la croirait et que c’était pour ça qu’elle s’était enfuie et je lui ai dit qu’elle avait raison. Personne ne la croirait. Sauf lui. Lui, il la croyait et il ne savait pas pourquoi ou peut-être que si d’ailleurs mais toujours est-il qu’il avait le sentiment de devoir l’aider. C’est à cause de moi qu’on en est là. Tous. À cause de moi que Maben s’est enfuie avec ce revolver et à cause de moi qu’on est ici tous les deux ce soir. C’est la route que j’ai choisie qui nous a tous amenés là et guidé par quelle force j’en sais rien. Mais quoi qu’il en soit on en est là et je peux pas laisser tomber. Elle est seule au monde avec sa gosse et les choses feront qu’empirer et certains d’entre nous sont capables d’endurer un truc pareil mais y en a d’autres qui ne peuvent pas et qui sont pas censés devoir. La fillette, c’est qu’une gosse. Mais le regard lourd. Comme Maben. Elles ont pris cher, Boyd. Bourlingué Dieu sait où. Si tu l’entendais raconter ce qu’elles ont traversé toutes les deux, toi aussi tu pourrais pas faire autrement que de la croire. Alors je les ai emmenées chez mon père et elles ont pu manger un peu et se reposer un peu et dimanche soir on est venus là elle et moi à cet endroit exact et j’ai pris le flingue et je l’ai balancé à la flotte. Aussi loin que j’ai pu. Et j’espérais qu’avec ça ce serait terminé. Mais apparemment non. J’allais la mettre dans le car ce soir et on avait décidé de passer chez moi d’abord pour que je lui donne un peu de cash et l’autre taré était là et il a failli la tuer. Elle en a bavé, Boyd. Elle en a bavé. Et si je te raconte tout ça c’est pour que tu comprennes tout de suite quand je te demande de la laisser tranquille. Je te dis pas de le faire. Je te le demande. Laisse-la tranquille. L’autre connard a eu ce qu’il méritait. Laisse tomber.

Boyd avait écouté Russell sans bouger, sans moufter. Et il resta immobile et silencieux encore un moment en réfléchissant à ce que lui avait demandé Russell.

« C’est pas si simple, dit-il enfin.

— Si. C’est très simple.

— Non. Pas simple du tout. Loin de là. Tu sais qui y a chez moi en train de dormir à l’heure où on se parle ? Une femme et deux gosses, putain. D’accord ?

— Je sais.

— Eh bah, alors viens pas me dire que c’est simple. »

Boyd descendit du capot et s’avança jusqu’au bord de l’eau. Il se baissa, ramassa un bout de bois et le lança dans le lac.

« J’imagine qu’y a pas mal de gens qui aimeraient bien te toucher deux ou trois mots, dit-il.

— J’imagine, oui, dit Russell.

— Tu l’as lancé où exactement ? demanda Boyd.

— Loin. »

Boyd tira sur son ceinturon. Rajusta son pantalon.

« Allez, viens », dit-il en tournant les talons.

Russell le suivit et monta dans la voiture de patrouille.

« Vas-y, dis-le, fit Russell. Je sais que t’as autre chose à me dire.

— Pas maintenant », répondit Boyd sans le regarder.

Il passa la marche arrière et recula doucement entre les arbres, puis ils quittèrent le sentier de terre et s’éloignèrent du lac. Les lumières des chalets brasillaient sur la rive opposée et un bateau aménagé flottait paisiblement au milieu du lac par cette nuit sans vent. Ils retournèrent à l’hôpital sans parler et Boyd s’arrêta au bord du trottoir au lieu d’entrer dans le parking. Deux voitures de police étaient garées devant les urgences.

« Vas-y, dit Boyd. Mais écoute-moi bien. Je te promets rien et je t’accorde rien. Je t’ai écouté et c’est tout. Je t’ai écouté. Et bon sang, Dieu sait que j’aurais pas dû.

— C’est tout ce que je voulais. Que tu m’écoutes.

— C’est pas tout ce que tu veux. Nom de Dieu. Mais tu te rends compte ce que tu me demandes de faire ? Je sais bien que ça fait un bout de temps que tu vis pas exactement selon les mêmes lois que tout le monde, mais merde. T’as le beau rôle maintenant.

— Y a pas de beau rôle.

— D’accord, peut-être, mais si y a un truc que je sais c’est qu’on a tous les deux beaucoup à perdre. Et moi plus encore que toi, si tu veux mon avis.

— T’as sans doute pas tort.

— Je sais que j’ai raison. Tu crois que t’as vécu l’enfer à Parchman ? Vas-y, balance un flic dans la cour et tu vas voir. Ton séjour là-bas, à côté, je parie que ça te ferait l’effet d’avoir été en colonie de vacances chez les scouts… Je parie que ce que tu verrais, tu le souhaiterais à personne. Et c’est ça qui se profile à l’horizon quand tout ça sera fini. »

Russell resta assis sans répondre. Tourna la tête vers Boyd qui n’avait pas détaché les yeux de son volant. Il ne savait pas quoi dire d’autre. Ne voulait pas en rajouter. Il avait tout déballé, et maintenant arriverait ce qui arriverait.