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Les jours suivants furent moins trépidants. Mildred les emmena dans un centre commercial et dans un supermarché. Ils s’entraînèrent à remplir des formulaires d’embauche et à se présenter comme d’anciens détenus. Plantée devant eux, les yeux emplis de certitude, elle leur prédit que des sept membres originaux du groupe, quatre retourneraient en prison. Deux d’entre vous y sont déjà. C’est vous qui voyez. À la fin de la semaine, chacun reçut un petit pécule et un dossier dans une enveloppe comprenant toutes les instructions nécessaires, d’après le bureau d’application des peines du Mississippi, pour redevenir un citoyen modèle.

Dans le fourgon qui les déposerait à l’arrêt de bus où leurs chemins se sépareraient, trois des cinq hommes jetèrent leur dossier par la fenêtre et l’on vit brièvement tournoyer au-dessus de la I-55 un essaim de feuilles volantes. Les automobilistes derrière eux, tout nerveux dans leur petite voiture nerveuse, donnant un coup de volant pour éviter la nuée de papier et tendant le majeur aux ex-taulards morts de rire. Une heure plus tard, il était dans le car. Libre. Regardant par la vitre. Se rapprochant de l’endroit et des gens qu’il n’avait pas vus depuis onze ans.

Ils atteignirent la sortie de McComb et il ne lui fallut pas longtemps pour prendre la mesure de ce qui avait changé depuis toutes ces années. Une petite grappe d’hôtels et de restaurants avaient surgi juste à la sortie de l’autoroute, suivis d’une kyrielle de grands magasins en tout genre qui s’étendaient jusqu’aux franges des quartiers jadis assoupis où il lui était arrivé de passer prendre une ou deux cavalières pour le bal du lycée. Il remarqua les parkings remplis de véhicules et de femmes avec enfants et poussettes et il se demanda d’où ils sortaient, tous. Le car dépassa la partie policée de la ville et pénétra dans son territoire d’autrefois — les maisons alignées avec leur balancelle sur la véranda, l’école élémentaire avec la cage à poules rouillée, les magnolias sur la pelouse de l’église méthodiste. Le centre-ville paisible et ses immeubles en brique et ses chaussées défoncées. Le car s’arrêta près des voies ferrées, au pied du bâtiment trapu qui faisait office de gare aussi bien pour les trains Amtrak que pour les cars Greyhound. Il se leva, jeta son sac en toile sur son épaule et se dirigea vers l’avant du car. Le chauffeur ouvrit la portière et Russell passa la tête dehors et il aperçut à vingt mètres de là deux hommes appuyés contre le capot d’un pick-up blanc, les bras croisés. Russell se figea. Baissa les yeux vers l’asphalte sous le marchepied.

« Vous y êtes », dit le chauffeur.

Russell hocha la tête. Descendit une marche et marqua de nouveau un temps d’arrêt.

« Eh, l’ami, j’ai encore de la route à faire, moi », dit le chauffeur.

Il prit une profonde inspiration et rajusta le sac sur son épaule puis il descendit du car. La portière se referma derrière lui et Russell resta immobile tandis que le car faisait marche arrière puis quittait la gare dans un panache de fumée bleue et un grincement de courroie quand le chauffeur passa la seconde. Les deux hommes se dirigèrent vers Russell et il ne bougea pas. Ils s’arrêtèrent à quelques pas devant lui. Celui de gauche était le plus grand des deux et sa chemise était sortie de son pantalon et celui de droite portait un tee-shirt blanc trop petit d’une taille. Ils avaient le même regard affûté et l’air sérieux et les mains ballant sur le côté, les doigts frétillant d’impatience comme s’ils s’apprêtaient à dégainer.

« Bienvenue au bercail, connard », dit le grand, et ils se ruèrent sur lui.

Il lâcha son sac le plus vite possible mais celui-ci resta coincé sur son bras et l’empêcha d’esquiver. Le grand lui asséna deux coups de poing sur la tempe tandis que l’autre visait plus bas, l’attrapant par la taille, lui immobilisant une main et le soulevant pour le renverser. Il tomba sur le dos et le choc lui coupa la respiration et le grand commença à lui tabasser les côtes à coups de pied tandis que l’autre le frappait au visage et lui enfonçait le genou dans le bas-ventre. Russell parvint enfin à faire basculer son poids sur le côté mais le plus petit se releva et se mit comme l’autre à balancer des coups de pied puis des coups de poing tandis que Russell essayait de se mettre debout. Il arriva à se redresser sur les genoux mais à cet instant l’un des quatre poings qui s’abattaient sur lui l’atteignit directement à l’œil et il retomba en arrière et le talon d’une botte vint s’écraser contre ses côtes et il cessa de se défendre. Il resta allongé là, inerte. Incapable de reprendre son souffle. Plié en deux. Les deux types arrêtèrent de cogner et le regardèrent se tordre à leurs pieds et le grand cracha par terre et ils s’apprêtaient à achever la besogne quand un homme portant une cravate rouge sortit de la gare en courant et en criant :

« Hé ! Hé ! »

Les deux hommes restèrent figés au-dessus de Russell, pantelant comme des dogues.

L’homme à la cravate se précipita et s’agenouilla auprès de Russell et menaça d’appeler les flics et les deux hommes reculèrent d’un pas.

« Putain, ça faisait un sacré bail que ça me démangeait, dit le grand.

— Tu m’étonnes, dit l’autre.

— Je ne plaisante pas, dit le bon Samaritain. Tirez-vous. J’ai tout vu.

— T’as rien vu du tout.

— Je jure devant Dieu que j’ai tout vu.

— T’en fais pas, Russell. On se reverra bientôt, dit le grand. T’entends ? Très bientôt. »

Les deux hommes hochèrent la tête d’un air satisfait puis regagnèrent leur pick-up. Ils démarrèrent et partirent en tournant la tête, fixant du regard le type effondré au sol comme des badauds passant devant un accident de la route.

« Ben, merde alors, dit le Samaritain en tendant la main à Russell. Bienvenue en ville. »

Il portait une chemise à manches courtes et son nœud de cravate s’était un peu défait. Russell attrapa la main tendue et se releva en poussant un grognement. Il porta les doigts à son œil et à sa tête, s’attendant à y trouver un énorme œuf de pigeon. Il se pencha avec précaution pour ramasser son sac.

« Je suis le chef de gare. Ça va aller ? »

Il hocha la tête. S’essuya la bouche du revers de la main. Se toucha le nez. Rien de cassé. Il remit son sac sur son épaule, adressa un signe du menton au chef de gare et commença à traverser le parking.

« Vous voulez que je vous dépose quelque part ? J’ai fini ma journée. Le temps de fermer. »

Russell se retourna et dit que ce n’était pas la peine.

« Vous allez loin ?

— Là-bas, dit-il en pointant du doigt, le coude collé à ses côtes endolories.

— Bon, alors attendez-moi. J’en ai pour deux secondes. »