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- Rien, mon ami ! Depuis mon enfance je connais Clément de Salernes, sa foi et son intransigeance. Il est l'incarnation même du Temple et même si, dans son for intérieur, il accorde quelque foi à ce que vous lui avez révélé, il ne l'admettra jamais. Mais que vienne un jour le temps du malheur annoncé, et peut-être saura-t-il faire ce qu'il faut pour limiter le désastre et en préserver au moins quelques-uns de ses frères ! Aussi avez-vous bien fait de lui en parler mais, moi, j'espère de toute mon âme que la Mère de Dieu m'aura entendue et nous épargnera…

Renaud prit la main de sa femme pour y poser tendrement ses lèvres.

- Je pense, dit-il, qu'il faut nous en remettre à la volonté de Dieu. Nos destins sont écrits je ne sais où, mais en priant et en se tournant vers ceux qui ont besoin d'aide, il doit être possible de les infléchir. Et vous êtes la femme la plus généreuse qui soit au monde...

Oh, le réconfort de ce baiser, de cette voix, de cette présence forte et tendre ! Sancie sentit s'alléger le poids qui l'opprimait. C'était déjà une grâce extrême que cet amour sans faille qui les unissait maintenant. Le meilleur abri, la meilleure protection contre les ornières de la vie creusées dans leur chemin commun. Et Sancie savait qu'il y en aurait encore. Qu'il y en aurait toujours. Une route bien lisse, cela n'existait pas.

La première faille se présenta quand, ensemble, ils regagnèrent leur château de Valcroze : un genou en terre et une grande lumière d'espérance au fond de son regard, Olivier vint demander humblement à ses parents de lui permettre de faire profession. Les larmes aux yeux mais sans que soit émise la moindre objection, ce lui fut accordé.

Le lendemain Olivier quittait Valcroze sans se retourner pour rejoindre son destin. Six mois plus tard, à Marseille, il s'embarquait sur une galère du Temple à destination de Saint-Jean-D’acre...

Il allait y rester trois ans jusqu'au dernier combat, d'autant plus fabuleux qu'il fut désespéré. Après des prodiges de vaillance et la mort du Grand Maître Guillaume de Beaujeu, le Temple dut quitter pour jamais la Terre Sainte y laissant le souvenir fulgurant d'une longue et haute aventure humaine.

On se replia à Chypre. C'est là qu'en 1292 fut élu à la Grande Maîtrise un chevalier franc-comtois qui se nommait Jacques de Molay.

Première partie

« DE PAR LE ROI !... »

CHAPITRE I

LA CRYPTE SOUS L'ÉTANG

Pris dans l'épaisseur d'un mur de la chapelle, l'escalier s'enfonçait droit dans le sol. Ses marches usées à cause de multiples allées et venues s'incurvaient légèrement sous le pied mais, éclairé par une torche fixée au mur au moyen de crampons de fer et dépourvu d'humidité, il n'offrait pas la moindre difficulté. Normal puisqu'il aboutissait au grand cellier où s'entassaient barriques, saloirs, sacs de sel, jarres d'huile et autres provisions ! Frère Raoul ne fit que le traverser jusqu'à une énorme futaille qui trônait contre le mur du fond. Arrivé là, il tendit à Olivier la torche qu'il avait allumée à celle de l'escalier et se pencha pour appuyer sur quelque chose que ses compagnons ne distinguèrent pas. Le gigantesque tonneau s'écarta du mur avec une aisance stupéfiante, découvrant une ouverture dans laquelle le frère s'engagea résolument :

- Venez, dit-il, et armez-vous de patience ! Nous avons un peu de chemin à parcourir...

Sans répondre mais avec un hochement de tête approbateur, Olivier et Hervé le suivirent. Ils descendirent d'abord quelques marches débouchant sur un souterrain solidement voûté de pierre qui s'enfonçait dans des ténèbres dont la flamme ne permettait pas d'apercevoir le bout. Par précaution, frère Raoul avait muni les deux chevaliers de flambeaux semblables au sien, sans y porter le feu. On chemina ainsi pendant un temps qui parut interminable aux visiteurs mais qui n'excéda pas cinq minutes. Chose étrange pour le sous-sol d'une maison cernée par une forêt coupée d'étangs et de marais, les murs du long boyau ne montraient pas traces d'humidité. Pas plus que le caveau dans lequel il déboucha après avoir dessiné un coude.

Celui-là était vide. Il n'y avait rien sinon un cercle de moellons posés sur le sol dont, en approchant, les deux Templiers virent que c'était un puits, mais un puits pas comme les autres. Son fond de maçonnerie net de toute marque d'eau se situait à une quinzaine de pieds de profondeur. Autre singularité : deux crampons de fer étaient scellés à l'intérieur de la margelle à peu de distance du bord.

- C'est là qu'il faut descendre, dit frère Raoul.

Sans attendre les questions des deux autres, il alla chercher dans un coin obscur du caveau une échelle de corde et une lanterne munie d'une grosse chandelle qu'il alluma et accrocha à son cou. En un instant les anneaux terminant l'échelle furent attachés aux crampons et frère Raoul commença à descendre sous les yeux vaguement inquiets de ses compagnons. L'échelle étant plus longue que le puits, les barreaux formaient un petit tas au fond.

- Que va-t-il faire là-dedans ? chuchota Hervé d'Aulnay, ce à quoi Olivier répondit d'un léger haussement d'épaules tandis que son ami reprenait, tout écarquillé de surprise : « Oh ! Mon Dieu ! »

En effet, quand frère Raoul eut atteint le fond en s'agrippant plus fermement que jamais à son échelle, la maçonnerie bascula sous ses pieds et il disparut dans l'obscurité, non sans avoir bloqué d'un geste le disque de pierre épais comme une roue de moulin. Il n'alla pas très loin et on put le voir, debout sur ce qui devait être un escalier.

- A votre tour, cria-t-il. Je vous tiens l'échelle...

- L'honneur te revient ! sourit Hervé en s'écartant pour faire place à Olivier qui dégringola en quelques secondes et rejoignit frère Raoul sur ce qui était bien un escalier s'enfonçant jusqu'à une distance que la lumière assez pauvre de la lanterne ne permettait pas d'apprécier.

Le maître de la maison templière attendit qu'Hervé les eût rejoints, puis, après leur avoir recommandé de ne pas bouger d'où ils étaient, poursuivit sa descente. Ils purent le voir, quand il fut au bas des marches, allumer trois torches accrochées au mur qui leur faisait face, après quoi il leur dit :

- Descendez à présent et voyez !

Quand ils l'eurent rejoint, l'émerveillement se peignit sur leurs visages. Ils ouvraient la bouche pour un « oh ! » qui était plus une respiration qu'une parole nettement articulée. C'est qu'en accomplissant la mission dont on les avait chargés, ils savaient seulement qu'ils devaient emporter un objet sacré, mais ils ignoraient de quelle nature. Et ce qu'ils voyaient était proprement fabuleux : posé sur une table de pierre sculptée il y avait une sorte de châsse, ou plutôt un sarcophage car les parois n'en étaient pas translucides, mais taillé dans du bois qu'on leur dit être du cèdre et entièrement recouvert d'or, veillé à chaque extrémité par des séraphins à triple paire d'ailes déployées mais aux griffes de lion travaillées de façon sublime. Les flammes des torches allumaient des éclairs dans les pierres précieuses serties tout autour du coffre ainsi qu'aux ailes de ces anges de la première hiérarchie. Et Olivier sut ce qu'il avait devant les yeux parce que cette œuvre venue du fond des temps appartenait un peu à sa tradition familiale !