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Imitant son guide, Terr sauta à terre avant de se faire happer par les machines et courut au second tunnel.

La troisième salle était beaucoup plus grande que les autres. Le bruit y était supportable. Guidées par des glissières mobiles se décalant d’un cran par seconde, les boîtes s’empilaient le long des murs en colonnades bariolées.

— Voilà, dit Brave. Tu sais lire. Tu vas me dire quelles boîtes il faut prendre.

Terr lut des inscriptions qui ne lui apprirent pas grand-chose de bon. Il s’approcha d’une pile de boîtes et lut:

RECONSTITUANT MX

Extrait de foies de jeunes mammifères

associé à microéléments 1 et 2;

présenté sous forme de dragées.

— Celui-là est bon, affirma-t-il.

— Bien, dit Brave. Nous allons en voler dix boîtes. Terr regarda avec appréhension les boîtes aussi grandes que lui.

— Comment pourrons-nous emporter tout ça? dit-il. Ce n’est pas possible.

— J’vais t’expliquer. Viens près de cette fenêtre. Terr s’approcha docilement. Brave lui montra en contrebas un fort courant d’eaux sales recrachées par l’usine.

— Nous allons faire tomber les boîtes dans l’eau. Elles flotteront et seront poussées par le courant très loin d’ici. Je sais où. Il n’y aura plus qu’à aller les chercher avec les autres oms.

— Mais alors, s’exclama Terr, pourquoi seulement dix boîtes?

— Parce que ça se verrait! Ils se méfieraient et feraient surveiller l’usine. Nous ne pourrions plus revenir sans nous faire prendre. Tandis qu’avec dix boîtes de temps en temps, ils ne s’aperçoivent de rien; tu comprends? Allez, couche-les par terre une par une et roule-les jusqu’à moi, c’est pas difficile. Moi, j’vais les soulever pour les passer par-dessus le bord de la fenêtre.

Terr saisit une première boîte à pleins bras et tira de toutes ses forces, il réussit à la faire basculer et d’une poussée, l’envoya rouler près de Brave. Celui-ci se baissa, crispa les doigts sous la boîte et la remonta le long du mur avec un gémissement d’effort. Il la hissa sur le bord de la fenêtre et l’envoya dans le vide.

Pendant ce temps, Terr lui envoyait une deuxième boîte et se retournait déjà pour en saisir une autre lorsqu’il fut glacé sur place par la voix d’un draag.

— Je vous y prends, bande de voyous!

— Saute, s’exclama Brave, saute par la fenêtre!

Figé, Terr vit arriver sur lui l’immense stature du draag en colère. Alors que la main du géant s’inclinait vers le sol, le petit om bondit et courut à la fenêtre. Brave le saisit sous les aisselles et l’envoya dans la rigole qui coulait un demi-stade plus bas.

Terr plongea dans l’eau sale, refit surface et, entraîné à toute vitesse, tourna la tête pour voir Brave tomber à son tour. Il nagea de toutes ses forces dans le sens du courant, mais fut bientôt rattrapé par son compagnon.

— Je croyais qu’il allait te prendre, dit Terr.

— Il m’a pris, sourit Brave dans sa barbe humide, il m’a pris par les cheveux, mais je l’ai mordu et il a tout lâché.

7

À l’entrée du parc où nichaient les oms libres, on distinguait un rectangle de clarté dans la nuit.

Terr en fut intrigué. Brave eut beau lui démontrer que ce rectangle était un écriteau à l’usage des draags, et que les affaires des draags n’intéressaient pas les oms, le jeune garçon laissa son compagnon rentrer seul et alla prudemment rôder du côté de l’entrée normale des draags.

Il ne fut pas long à comprendre. L’écriteau disait:

«Parc fermé demain — Désomisation».

Terr courut à perdre haleine parmi les ombres du parc. Quand il arriva au bas de l’arbre, il dut rester un moment à reprendre haleine avant de grimper.

Enfin, il crispa ses ongles dans les rides de l’écorce et s’éleva parmi les branches.

Quand il déboucha à hauteur du camp, il trouva ses compagnons hilares en train de festoyer au clair des étoiles.

— Eh bien, Terr, demanda Brave, le prix du ticket d’entrée a augmenté?

Tous éclatèrent de rire. Mais Terr resta immobile, les bras ballants.

— Le parc sera fermé demain, dit-il simplement.

— Quelle horrible nouvelle! glapit Vaillant parmi de nouveaux rires.

Mais Terr ne bougea pas. Il ajouta:

— Fermé pour désomisation.

Les rires s’éteignirent. On fit taire trois bambins qui gazouillaient dans leurs nids.

— Qu’est-ce que tu dis? s’informa Brave, désimon…

— Désomisation, répéta Terr. Ça veut dire qu’ils vont essayer de supprimer tous les oms du parc.

Il posa la main sur le bras velu du chef.

— Brave, tu m’as dit un jour que deux autres tribus d’oms libres vivaient dans le parc. Il faut absolument les avertir.

Brave se mit debout sur sa branche et cracha dans le vide.

— T’es fou! Belle occasion d’en être débarrassés! La bande du Buisson Rouge a le meilleur coin du parc. Nous prendrons sa place une fois l’alerte passée. Quant aux autres, c’est que des vagabonds même pas organisés, des idiots. C’est à cause d’eux que les draags vont dis… disomer.

— Comment font-ils? demanda Charbon l’air inquiet, ils posent des pièges ou quoi?

— Je ne sais pas.

— Moi non plus, je n’ai jamais vu ça. Je n’ai même jamais entendu ça: désomition. Tu es sûr que ça veut dire… ce que t’as dit?

— Absolument sûr, dit Terr. Le mieux est de s’en aller pour…

Brave lui donna une tape sur la tête:

— Tais-toi! C’est moi qui commande ici.

Il regarda sa bande avec un certain air de majesté et dit:

— Voilà! Nous allons d’abord dormir un peu pour prendre des forces. La nuit commence à peine et nous avons beaucoup de temps devant nous. Mais pour qu’on nous surprenne pas, nous allons poster des veilleurs. Y m’en faut une main.

Il leva sa main en l’air, les doigts écartés.

— Qui se sent assez reposé pour veiller?

Plusieurs oms s’offrirent, dont Terr. Brave les compta en repliant un par un ses cinq doigts, et Terr fut compris dans son choix.

Brave fit rasseoir les autres et dit:

— Charbon veillera dans la sente du lac, à une main de double main de pas de l’arbre. Vaillant s’installera aux graviers, près du ruisseau. Terr, tu resteras à la fourche du Buisson Rouge. Vous deux, aux deux bouts de la grande allée. Quant à moi, je reste dans l’arbre sans fermer l’œil. Allez! Vous sifflerez si quelque chose ne va pas. Au moment du départ, je sifflerai pour vous rappeler au pied de l’arbre. Que les autres dorment!

Les veilleurs descendirent le long du tronc. Arrivé sur le sol, Terr quitta les autres et se dirigea vers la fourche du Buisson Rouge, là où la piste se divisait en deux pour mener d’une part à la grande entrée des draags, d’autre part au Buisson en escaladant des rocailles moussues.

Il grimpa sur une pile de deux ou trois pierres dominant la fourche et se tapit dans une faille du roc.

Prêtant l’oreille aux moindres soupirs de la brise dans les feuilles, les yeux dilatés dans le clair-obscur de la nuit, il resta longtemps immobile. Mais il était jeune, et bientôt, sa faction l’énerva.

Il sortit de sa cachette et gravit la piste du Buisson Rouge afin d’étendre son champ visuel. Il atteignit une petite terrasse herbeuse constituant un observatoire idéal. De là, son regard portait à plus de cent cinquante pas (Brave aurait dit à trois mains de double main, s’il avait été capable de compter jusque-là sans s’embrouiller).