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-    Moi ? Chez une aussi grande princesse ? La propre belle-sœur du Roi ? Mais pourquoi ? fit-elle sans faire montre du moindre enthousiasme.

-    Parce que vous y serez mieux protégée que nulle part ailleurs. Non... ne protestez pas ! M. de La Reynie m’est venu voir ce tantôt et le conseil émane de lui.

-    M. de La Reynie ? Mais que sait-il de moi ?

-    Ce que lui a raconté le jeune homme qui vous a récupérée la nuit dernière.

-    Il le connaît donc ?

-    C’est l’un de ses meilleurs limiers... et aussi son cousin. Il s’appelle... Alban Delalande, ajouta-t-elle après un instant de réflexion.

La nouvelle ne causa aucun plaisir à Charlotte. Son sauveur lui avait plu et son imagination avait déjà commencé à poser les bases d’une histoire romantique... bien qu’il n’eût pas de plumes à son chapeau. Or ce n’était qu’un argousin ! Quelle déception !

-    Ah ! fit-elle seulement.

Elle se tut un instant puis :

-    Je voudrais bien savoir la raison pour laquelle il lui a parlé de moi ?

-    Parce qu’il estime - et nous estimons tous ! - qu’en restant ici vous courez le risque d'être reprise et, si votre mère en exprimait la volonté, menée à quelque couvent éloigné et beaucoup plus sévère que les Ursulines...

Elle s’abstint de dire qu’elle redoutait pour elle pis encore que cette éventualité : les hasards des chemins, les conditions de vie difficiles et - pourquoi pas ? - la maladie mystérieuse, l’accident bête qui la retrancherait purement et simplement du monde des vivants. En ces temps troublés c’était relativement facile et Claire tenait sa belle-sœur pour parfaitement capable d'aller jusqu’à cette extrémité dès l'instant où elle comprendrait qu’elle avait affaire à une rebelle et non plus à une fillette silencieuse et soumise.

-    Oh non ! Gémit Charlotte.

-    Oh si ! Il faut regarder les choses en face. Surtout si l’on vous aime ! Et c’est mon cas, continua-t-elle en passant un bras affectueux autour des épaules de l’adolescente pour poser un baiser sur son front. Celle-ci leva des yeux soudain humides. C’était bien la première fois qu’on lui disait qu’on l’aimait...

-    Alors vous n’êtes pas en train de vous débarrasser de moi... vous aussi ?

-    Mais non, petite sotte ! Je veux vous protéger et d’ailleurs je ne serai jamais loin ! Enfin Madame est le meilleur cœur de la terre. Vous pourrez le constater. Elle ne ressemble à personne et je crois même que vous vous amuserez chez elle. Et assurément plus qu'à la Cour !

-    Comment est-ce à la Cour ?

-    Fort brillant mais il convient à chaque minute de faire attention à l’endroit où l’on met ses pieds. Dès l’instant où deux fauves en jupons se disputent quasi publiquement le cœur du Roi jusque chez une pauvre reine que cela crucifie parce qu'elle n’a jamais cessé d’aimer son époux d’un amour aussi muet que désespéré, vous conviendrez que l’atmosphère s'avère parfois difficilement respirable ! Alors, c'est dit ? Nous allons au Palais-Royal demain ?

Cependant Marguerite qui se taisait depuis que Mme de Brécourt avait ouvert la bouche estima qu’il était temps pour elle de s’exprimer :

-    C’est très joli tout cela mais je ferai remarquer à Madame la Comtesse que Mlle Charlotte a pour seul bagage ses vêtements de pensionnaire et que...

-    Bien sûr ! Tu as raison et il faut y penser ! Même chez Madame, qui méprise la toilette au point de porter le plus souvent sa tenue de chasse quand elle n’est pas obligée d’arborer le grand habit de cour, il faut un minimum. Levez-vous Charlotte ! Et toi va me chercher deux de mes... ou plutôt j’y vais moi-même !

Elle disparut quelques instants et revint suivie d’une femme de chambre chargée d’une brassée de vêtements qu'elle déposa sur le lit. La comtesse y prit une robe de velours du même vert que les yeux de Charlotte et discrètement bordée d’une guirlande de fleurs en argent, la tint devant sa filleule en appuyant d’abord sur les épaules puis sur la taille et déclara:

-    C’est ce que je pensais. Elle est un peu plus petite que moi, plus mince aussi : il suffit de reprendre un ou deux pouces en largeur et autant en longueur, ce sera parfait... Idem pour cette autre et les jupes qui vont avec. Le manteau lui ne posera aucun problème. Restent les souliers...

Déchaussant un pied, elle tendit une chaussure à Charlotte qui y glissa le sien. Ou tout au moins essaya, mais fit la grimace :

-    Trop petit ! Soupira-t-elle.

-    Et vous n’avez pas encore atteint votre taille définitive! Allez-vous nous fabriquer de ces grands pieds qui sont si commodes dans les maisons royales parce que l’on y reste longtemps debout mais bien peu gracieux ? Heureusement vos mains seront ravissantes quand auront disparu ces égratignures ! Mais qu’allons-nous faire ?

-    En commander chez votre faiseur, proposa Marguerite en allant chercher une feuille de papier et un crayon à l’aide desquels on dessina le contour des pieds de Charlotte. En attendant qu’on lui en livre de nouveaux il fut décidé qu’elle garderait ses propres souliers dont Marguerite avait ôté avec soin les traces laissées par son aventure nocturne.

Et, le lendemain matin, nantie d’un coffre contenant un embryon de trousseau et habillée de neuf sous une mante à capuchon fourré et ourlée de petit-gris, Charlotte prenait place aux côtés de sa tante dans le carrosse qui allait l’emmener vers une nouvelle vie. Ni l’une ni l’autre ne parlait, chacune d’elles ressentant la gravité du moment. Tandis que les pensées de la jeune fille se teintaient du vert de l'espérance en un avenir bien plus excitant que celui d’un couvent à perpétuité, celles de sa compagne étaient plus sombres. A chaque instant, depuis deux jours, elle s’était attendue à voir sa demeure envahie par la maréchaussée chargée de ramener la fugitive et elle osait à peine croire à sa chance. Le pire fut quand on traversa le pont de Saint-Germain au pied même du double château royal, toujours passablement encombré. On ne pouvait guère être plus près du danger - Charlotte d’ailleurs l’éprouva comme elle ! - et ce fut seulement en atteignant Nanterre qu’elle respira plus librement. La capitale était toute proche à présent et Mme de Brécourt entreprit alors de lui faire répéter une fois encore les principaux usages de mise dans une cour princière. Elle y ajouta quelques recommandations :

-    Avant d’aller au Palais-Royal, je vous montrerai notre hôtel du Marais qui n’est pas très éloigné... Il n’est jamais fermé et vous pourrez y trouver de l’aide. Et pourquoi pas un refuge en cas de danger. C’est Marie-Bonne, la sœur de Marguerite, et son époux qui en ont la charge. Ils sauront prendre soin de vous.

On entra dans Paris par la porte Saint-Honoré proche du Palais-Royal que Mme de Brécourt indiqua en passant avant que la voiture ne continue une longue rue au bout de laquelle se dressaient les tours rondes d’une forteresse :

-    La Bastille, signala la comtesse. Elle est commode comme point de repère.

On roula encore une dizaine de minutes puis elle désigna à main droite la grande et belle église de ce qui devait être un couvent.

- Voici Saint-Louis et la maison professe des Jésuites ! Notre rue est juste en face, précisa-t-elle tandis que le cocher tournait à gauche avant de s'arrêter devant le portail à mascarons d’une belle demeure voisine d’un grand hôtel dans la cour duquel deux carrosses pénétraient au même moment. Celui-ci est l'hôtel de Kernevoy, dit Carnavalet, où habite, depuis près de deux ans, la marquise de Sévigné qui m’est une amie chère. Auprès d’elle aussi vous pourriez trouver de l’aide. Quoique je redoute son bavardage. A présent nous retournons au Palais-Royal. Il n'est pas bon de faire attendre Madame ! Et comme je ne rentrerai à Prunoy que demain matin, je vais avoir largement le loisir de passer le mot tant chez moi que chez la marquise. Ainsi je serai pleinement rassurée sur votre sort.