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San-Antonio

On liquide et on s'en va

À Gil

et à mon cher Lucien SAILLET,

si plein de vraie vie.

San-Antonio

HISTOIRE AVANT-COUREUSE

Ça commence dans un coin de Montmartre. Versant nord.

Des gens baguenaudent à la nuit frémissante. Des touristes.

M. Prince s’approche d’un petit groupe en louvoyant. Il a la frime pas catholique, la démarche chaloupée ; l’air d’en avoir beaucoup d’autres de rechange.

C’est un mec d’une cinquantaine damnée. Il a une tache de picrate en étoile sur sa face de rat. Des plaques de pelade mitent sa chevelure pelliculaire.

Il chuchote, très vite, d’un ton dont la furtivité retient l’attention :

— Méhamessieurs, si vous voulez assister à un spectac’ absolument inédit, suivez-moi jusqu’à l’impasse que vous apercevez ci-jointe : M. Adolphe et Maâme Eva vont faire l’amour en public, exhibition de grand style, figures absolument neuves. Chacun donne c’qu’y veut.

Et, comme nous nous trouvons dans un haut lieu touristique, il traduit aussitôt en anglais, comme les annonces à bord des appareils Air France :

— Ladies and gentlemen, if you want to assisted

Bon, les gens le considèrent. Perplexes. Merplexes, quand il s’agit de dames seules. Certains haussent les épaules et vont déambuler plus loin, mais il en est qui le suivent, intrigués.

M. Prince les guide alors jusqu’à l’impasse voisine, un lieu morose, le jour, encombré des voitures à bras d’un bougnat et de vieux tonneaux disloqués. La nuit venue, l’impasse se met à exister avec force. M. Prince et ses deux acolytes (le couple Adolphe-Eva) ont tendu une vieille toile sur un fil, pour isoler le fond de l’impasse de la rue. Dans l’espace clos, ils ont déposé un mince matelas. De part et d’autre d’icelui, ils ont placé deux fortes lampes portables, à piles, aux faisceaux puissants, pourvues d’un cache rotatif qui permet de rendre la lumière verte ou rouge. M. Prince en joue, selon les péripéties de ce qu’il qualifie lui-même d’exhibition.

Ce soir, il a pu rameuter une quinzaine de personnes, très disparates, parmi lesquelles les mâles sont en forte majorité.

Bon, les spectateurs se tiennent debout, en arc de cercle. M. Prince actionne les deux « projos ». Lumière blanche pour commencer.

— Méhamessieurs, attaque-t-il, permettez-moi d’avoir le grand plaisir d’vous présenter M. Adolphe et maâme Eva.

Surgit alors de l’ombre un couple impayable. Elle, la cinquantaine dodue. Mal soignée, cheveux roux marqués de blanc. Elle a des lunettes rondes, cerclées de fausse écaille. Un nez retroussé, des yeux fanés, dans les tons gris merde. La bouche fardée très vif, en forme de violette stylisée. Lui, même âge, gringalet. S’est composé gauchement la tête d’Hitler : mèche noire collée sur le front, moustache véritable, teinte. Il ressemble à quelque guichetier de sous-préfecture.

Signe particulier : tient une chaise comme un sac à main, son avant-bras étant passé sous l’arceau du dossier.

Il dépose le siège devant le matelas et fait le salut hitlérien. L’auditoire reste muet, gêné par toute cette foutriquerie.

— Méhamessieurs, reprend M. Prince, pour commencer, Maâme Eva ici présente va faire un p’tit brin d’pipe à M’sieur Adolphe. Ladies and gentlemen, Mistress Eva go to make à little pipe at Mister Adolphe. Please, Mistress Eva, if you want well take the bibite of Mister Adolphe… Si vous voudrez bien dégager l’outil à M. Adolphe, j’vous prie…

M. Adolphe a pris place sur la chaise, les jambes très ouvertes. Sa partenaire s’agenouille parallèlement à lui et actionne la fermeture Éclair fermant la braguette du bonhomme. Sa main lasse se coule par la brèche, explore de sombres profondeurs et ramène dans le faisceau des loupiotes un zob mollasson, sans vie, grisâtre, qui évoque les doigtiers de cuir qu’on enfilait jadis par-dessus un pansement pour le protéger. Seul signe particulier, le pénis, quoique étant au repos, est d’assez fortes dimensions.

La donzelle le dégage entièrement et se met à le flatter. Histoire de hâter sa résurrection, elle le frotte de ses deux mains à plat, comme on le fait avec la pâte à modeler pour la tréfiler.

M. Adolphe se prend à goder gentiment. Son membre acquiert une consistance de bel aloi. C’est pas le super goumi, façon matraque de C.R.S., mais ça devient de l’objet valable.

La chose étant acquise, Mme Eva s’agenouille entre les jambes de son partenaire et lui bricole une petite séance de fellation qui n’altère pas pour autant la félicité du faux Hitler, ni ne l’accroît.

Au bout de peu, la biroute de M. Adolphe est devenue vraiment flamberge. Sa partenaire peut l’abandonner un instant : elle restera braquée, dodelinante comme le cou des petites tortues articulées qui font si joli sur la plage arrière des automobiles.

— Méhamessieurs, déclare M. Prince en ressortant de l’ombre où il se cantonnait avec une exemplaire discrétion, Maâme Eva, ici jointe, va se faire enfiler par M. Adolphe. Pour commencer, elle le chevauchera sur sa chaise, de façon que vous pouvez regarder bien à votre aise la manière agréable que la bibite à M. Adolphe lui rentre bien dans la moniche. Je tiens à vous signaler que Maâme Eva a une très jolie chatte. Si ce serait un effet de votre bonté, Maâme Eva, de soulever un peu votre jupe, que ces messieurs-dames puissent se rincer l’œil…

Docile, indifférente, avec des gestes gauches, la dame souscrit à la demande de M. Prince. La voici qui se trousse très haut. Elle ne porte pas de culotte afin de faciliter le numéro. Elle a le bide en surplomb de Vénus. Des poils sans joie, si tristes qu’ils filassent sans se donner la peine de frisotter.

— Ayez pas peur d’écarter, Maâme Eva ! recommande M. Prince ; que les spectateurs puissent admirer vos charmes. Et même si vous voudrez bien vous faire un petit doigt de cour, leur montrer combien t’est-ce que vous êtes salace…

La vioque se guiliguilite le clito, comme tu passes ton doigt sur un dessin au fusain pour l’étaler, former des ombres.

— Il serait de bon ton que vous nous fassiez part de votre plaisir, Maâme Eva, insiste le présentateur.

La malheureuse pousse des « ahh ahhh ! » qui ressemblent à un gargarisme.

— Parfait ! remercie M. Prince. Et maintenant, méhamessieurs, je vais passer parmi vous pour récolter votre participation aux frais. Chacun donne selon ses moyens. C’est à votre bon cœur.

Il s’empare d’une corbeille à pain et se met à essorer l’assistance. C’est le moment d’information pour M. Prince. Peu lui chaut (je devrais dire « peu lui EN chaut », mais je te compisse) l’importance des dons. Ce qui l’intéresse, c’est de repérer l’endroit où ces braves badauds viceloques remisent leur grisbi.

La quête est vite faite ; ses résultats sont modestes.

— Merci à toutes et à tous, lance M. Prince. À présent, M. Adolphe et Maâme Eva vont passer aux choses sérieuses. Mes chères vedettes, quand vous voudrez…

Ayant dit, il va régler les deux loupiotes : un faisceau rouge, un autre vert. C’est féerique, le cul dodu et grincheux de Mme Eva dans cette apothéose lumineuse ! Tu verrais ça, t’en redemanderais !

Elle enjambe son partenaire, comme elle le ferait d’un vélo sans selle, et se le plante sans coup férir. Le paf à M. Adolphe devient franchement tumultueux.

Il bande à la demande, M. Adolphe. Et c’est cette inestimable particularité qui a donné au trio l’idée de mettre au point ce « numéro ».

La mère Carabosse entreprend un mouvement vieux comme le monde. La chaise surmenée grince et tangue un peu. M. Adolphe se cramponne aux montants.