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— Il m’a dit : « Puisque vous montrez votre saloperie de cul dans cette taule, vous devez connaître les trois gugus qui font voir le leur dans l’impasse à côté. »

— Hum, pas très galant, remarqué-je.

Jean-Louis hausse des épaules entièrement fatalistes, clavicules comprises.

— Il avait un accent étranger qui faisait passer la rudesse de ses propos. Une voix si chaleureuse, si basse et vibrante…

— Celle-là, fiston ?

Je sors un minuscule cassettophone de ma fouille et l’enclenche.

Un organe correspondant pile à la description faite par le travelo retentit.

« Je viens récupérer ce que vous m’avez volé dans l’impasse pendant que vous faisiez vos cochonneries », énonce la voix aux inflexions un peu métalliques dans les angles.

Jean-Louis s’exclame :

— C’est bien lui ! Radiogénique, non ?

— Il pourrait déclamer un édito sur les mutilés de la Sécu, à la radio, conviens-je. Bon, il vous a demandé si vous connaissiez les pieds nickelés en question et vous avez répondu que oui, parce que, effectivement, vous les connaissiez ?

— Relations de voisinage, fait la pédale aux-testicules-entre-les-jambes ; des pauvres bougres pittoresques qui se livraient à une parodie pornographique…

Il les traite d’amateurs, lui le pro aux paillettes et plume-dans-l’oigne. Normal. La hiérarchie est une échelle qui sert d’épine dorsale à l’homme, comme n’aurait pas manqué de l’écrire Paul Bourget s’il avait su écrire. Le bath de la vie sociale, c’est d’avoir des gus au-dessus, et surtout des gus au-dessous de soi. Dominer et escalader sont les deux mamelles de la frange.

— Ensuite ? reviensjàmesmoutons-je.

— Je lui ai répondu que je connaissais ce curieux trio. Alors, il a eu un rire ensorceleur et il m’a mis la main entre les jambes, gentiment, en copain farceur. Une main d’ogre ! J’en frémis d’y repenser… Bref, ce voyou m’a demandé où habitaient les trois pommes en question. Alors là… Comme si les gens qu’on croise portaient leur adresse sur un dossard comme les sportifs un numéro.

« Je lui en ai fait la remarque. Alors, ce grand bandit aux yeux d’acier m’a déclaré tout net : “Il va pourtant falloir que je les retrouve avant minuit, j’ai un train à minuit quarante.” J’ai pris cela pour une boutade, ça m’a amusé, et ne voilà-t-il pas qu’il se fâche d’un coup. Tout de suite une gueule comme un masque de guerrier japonais ! Une expression de tueur, et je n’exagère pas. »

— Non, ma poule, admets-je, tu n’exagères pas.

— Pour lors, je lui ai conseillé d’aller voir au Bar des Frangins au bout de la rue, parce que c’est dans la cour de celui-ci que les trois rigolos remisent leur matériel.

Jean-Louis enfile sa robe de mariée, puis coiffe sa merveilleuse perruque. La robe comporte des boutons, mais qui ne servent qu’à la décoration car elle s’ajuste, à l’aide de fermetures adhésives, ce qui est plus propice au strip.

Debout devant sa grande glace pivotante, le travelo me gazouille :

— Je ne vous inspire pas, commissaire ?

— Si, dis-je, mais je préfère ne pas te dire quoi.

* * *

Au Bar des Frangins, y a Loulette, la taulière, espèce de pachyderme transformé en femme par une fée Carabosse en état d’ébriété. Style « caissière du Grand Café ». Elle en est restée à Toulouse-Lautrec pour ce qui est de la coiffure. Elle est vachée sur son tiroir-caisse, Loulette. Chaque fois qu’elle l’opène, elle doit déplacer, à droite, puis à gauche, les deux sacs de farine qui lui servent de poitrine. Son regard glauque est aussi profond que deux œufs sur le plat dont les jaunes sont crevés, elle s’en sert néanmoins pour me regarder venir à elle avec la mine avenante d’un chef des douanes auquel on amène un tomobiliste dont le coffre était empli ras bord d’héroïne base.

Au comptoir, un vieux kroum ganacheur, saboulé loufiat, rinçotte des verres dans un bac dont il n’a pas changé l’eau depuis la mort du Général de Gaulle. J’ai idée, d’emblée, commak, que Mme Loulette est veuve depuis des temps, maquée gentil avec son rade-made qui doit lui bricoler une bonne manière, vite fait, après la comptée du soir, quand il a achevé de mettre les chaises à la renverse sur les tables.

Je me pointe jusqu’à la caisse, avec le sourire vivifiant des pin-up boys clamant sur une affiche les mérites d’un ambre solaire ou des cigarettes à la menthe Machinchose. Mais ma frite avenante la laisse aussi froide que la découverte de Dumont d’Urville en 1840. Comprenant que je n’obtiendrai rien d’elle de bonne grâce, je lui montre ma brème pour la faire parler de mauvaise.

Le trio Bibite ? Ben oui, elle connaît. Surtout le beau-frère, M. Prince, qui a été comptable jadis et qui l’aide dans ses déclarations d’impôts. Ce qu’ils font, tous les trois, impasse Broutemiche, ne la regarde pas. Oui : elle leur permet de garer dans sa cour leur matériel qui n’est pas très encombrant puisqu’il s’agit d’une voiture d’enfant contenant deux projecteurs, une grande toile et une chaise pliante.

Et alors, la police ne va pas se mettre à faire chier ces braves gens, non ? Les temps sont difficiles, chacun écrème son lait comme il peut, non ? On en voit des plus salingues, dans les cinés cochons, non ? Avec des pafs en gros plan et des giclées de foutre en feu d’artifice, plein écran, Vistavision, couleur. Et le bruitage, dites ? Vous avez entendu le bruitage clapoteur ? Merde !

Et c’est toléré, non ? Mieux : l’État prélève des taxes sur ces hautes dégueulasseries. Elle en a visionné une, Loulette, par pure curiosité, manière de se rendre compte jusqu’où « ils » vont, et la complète dégradation des mœurs, tout ça… Elle n’en croyait pas ses yeux effarés, non plus que ses oreilles, une telle forêt de pafs braquemardés de première, et ces chattes pareilles à des entrées de métro, merde ! Et voilà qu’on viendrait chercher des noises à travers les têtes rogneuses du gentil trio ? Il fait quoi, M. Adolphe, sinon loncher sa propre bonne femme ? Devoir conjugal ou pas, hein, quoi, merde ? Elle exagère ?

C’est avec Bobonne ou le cardinal Marty qu’il monte en ligne, l’artiste ? Et au bouquet final, qui c’est qui le fait découiller élégamment : sa propre épouse ou son Altesse Rarissime la Comtesse de Paris ? Où est-ce qu’on peut prouver l’atteinte aux mœurs ? Hein ?

Je la laisse se vider de ses inexplicables rancœurs.

Après quoi je pousse un gros soupir qui fait palpiter une mèche rebelle de son chignon en forme de tiare.

— Vous déchargez trop d’adrénaline, chère madame, je fais, ce qui accélère votre rythme cardiaque, dilate vos bronches, augmente votre pression artérielle et freine votre digestion ; du train où vont les choses, vous allez carboniser la portion médullaire centrale de vos surrénales et, qui sait ? nous bricoler un infarctus, entre deux calvas dégustation. Monter sur vos grands chevaux me paraît être chez vous un dada. Pourquoi avoir traversé la tête haute votre ménopause, si vous devez ensuite encourir délibérément d’autres risques ? Que penserait votre fidèle clientèle si, un matin, elle venait emplâtrer votre rideau baissé portant l’inscription « fermé pour cause de décès »… Songez au moins à elle, si vous ne pensez pas à vous, petite téméraire.

À mesure et au fur que je débite, ses yeux, sa bouche, se dilatent et je te parie tout ce que tu voudras contre ce que je ne veux pas, que son anus en fait autant.

Je remise ma carte poulardienne.

— Un type est venu, hier soir, tard dans la soirée, vous demander l’adresse de vos chers protégés, et vous la lui avez donnée, exact ?

Elle remue lentement sa belle tronche de caissière aux langueurs charolaises.