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On fut à la Perla, après avoir traversé le grouillement de la vieille ville. La fraîcheur tombait et les gens sortaient sur le pas de leur porte.

On entrait par-derrière. Au bout d’une succession de couloirs et d’escaliers incrustés de coquillages, ils débouchèrent dans le restaurant. C’était beau à crier.

Les tables s’échelonnaient sur les marches géantes d’une falaise, en demi-cercle. A droite, une piste de danse en plein air, avec un orchestre. En face, un vertigineux cañon de 40 mètres de profondeur, au fond duquel la mer refluait en rugissant. Plus loin, le Pacifique, à perte de vue, avec un clair de lune de carte postale.

— C’est de là que plongent les fameux plongeurs d’Acapulco, dit Felipe. Un saut de l’ange de 40 mètres. Comme la marée va et vient, s’ils calculent mal leur coup ils s’écrasent sur les rochers en bas… Mais c’est très intéressant.

— Ils gagnent bien leur vie, pour ça ? demanda Ariane.

Felipe sourit :

— En un mois, ce que vous gagnez en une semaine. Et la mort au bout. Mais es la vida. Dieu l’a voulu.

On leur donna une table en bordure. En se penchant un peu, on voyait dans la profondeur la mer étinceler, entre les rochers. Felipe appela le maître d’hôtel.

— Est-ce que Rolando est là ce soir ?

L’autre inclina la tête :

— Certainement. Je vous l’envoie tout de suite, Señor.

Souvent des touristes demandaient aux plongeurs un petit extra, le saut de l’ange, ou la descente aux torches, pour cinq ou dix dollars.

— Rolando est le meilleur plongeur, expliqua Felipe.

Quelques secondes plus tard, Rolando apparut en haut des escaliers. Vêtu d’un maillot de laine bleue. Il était rond comme une barrique, mais, à la largeur de ses épaules, on voyait que ce n’était pas de la mauvaise graisse. Il fendit les tables et vint s’asseoir directement à la table de Malko.

— Buenas tardes, dit-il. Le Señor veut me parler ?

Ses petits yeux vifs, enfoncés dans la graisse, sous les cheveux plats rejetés en arrière, comme ceux d’un danseur, mondain, regardaient surtout Ariane.

— Nous cherchons un de vos amis, dit Felipe, en dialecte indien.

L’autre ferma presque les yeux.

— Qui ?

— Le Chamalo.

Rolando regarda les deux hommes d’un air méfiant, prêt à se lever. Felipe lui glissa vivement dans la main un billet de cent pesos.

— J’ai besoin de lui. Pour mon ami. Enfin pour la fille, tu comprends ? Il n’est pas d’ici. Il ne connaît personne.

— Toi, qui es-tu ? demanda Rolando, toujours méfiant.

Felipe voulut tenter un coup :

— Un ami de José Bolanos, fit-il.

L’autre se détendit aussitôt.

— Es bueno. Pourquoi ne le disais-tu pas ? Je ne sais pas où est Chamalo, mais je connais quelqu’un qui te conduira à lui. C’est un gamin, tu sais, un petit bollito. Pendant la saison, il repère les femmes qui peuvent intéresser le Chamalo. C’est facile, il se faufile partout. Mais, dis-moi, qu’est-ce que ça va me rapporter à moi, cette histoire ?

— Cinq cents pesos. Dès que nous aurons vu le gosse. La fille ne veut plus attendre.

— Es bueno. Je viens vous chercher après mon saut. Je dirai au patron que vous vouliez le saut avec les torches.

Il se leva et s’éloigna en se dandinant. Son dos était couvert de poils.

— Alors ? demanda Malko.

— Il va nous conduire au Chamalo. Enfin, un gosse qu’il connaît, un petit cireur.

— Qu’est-ce que vous lui avez dit ?

Felipe sourit :

— La Vierge me pardonne ! Que la Señorita attendait un enfant de vous et qu’elle avait besoin de se faire avorter.

Ariane écoutait, sans comprendre, la conversation en espagnol.

— Qu’est-ce que c’est ce gorille ? demanda-t-elle.

Malko lui prit la main et la baisa.

— Nous lui avons demandé, pour vous, un plongeon particulièrement réussi, expliqua-t-il. Avec des torches.

Elle remercia, d’une pression de main. Elle était comblée. Trouver un authentique gentilhomme sur la plage d’Acapulco, c’est plutôt rare.

L’orchestre jouait Que Bonita es Veracruz. Malko entraîna sur la petite piste Ariane, dont le corps souple s’ajusta au sien avec juste ce qu’il fallait de sensualité pour le faire rêver.

— Qu’est-ce que vous faites, dans la vie, Monsieur le Prince ? demanda-t-elle.

— Un métier de tout repos. Mon ami est un gros acheteur mexicain. Nous allons visiter une raffinerie à Mazatlan. Avant, nous nous détendons un peu.

La conversation s’arrêta là. Toutes les lumières du restaurant s’éteignirent et il ne resta que les bougies des tables. Une voix annonça, dans le haut-parleur, que les plongeurs allaient exécuter leur saut de la mort.

Malko et sa danseuse regagnèrent leur table. On leur avait servi leur steak. Des projecteurs s’allumèrent, éclairant tout le cañon du haut en bas. A gauche, sur une petite avancée dont l’accès était libre, des badauds s’étaient amoncelés.

A la queue leu leu, trois plongeurs descendirent par un sentier de chèvres, sur la rive gauche du cañon. L’un après l’autre, ils plongèrent dans l’eau écumante, et remontèrent sur l’autre rive. L’orchestre ne jouait plus et tous les dîneurs suivaient les trois silhouettes, qui grimpaient lentement la falaise à pic jusqu’à la plate-forme rocheuse servant de plongeoir.

Malko reconnut en tête la silhouette épaisse de Rolando, qui grimpait avec l’aisance d’une chèvre. Le projecteur le suivait, comme un doigt de lumière. La mise en scène était bien faite.

Le gros Rolando atteignit la plate-forme. Il fit un geste de la main vers la foule du restaurant. Des acclamations lui répondirent.

Il se dirigea vers une petite niche de rochers et s’agenouilla, priant ostensiblement. La foule retenait son souffle. Le projecteur souligna le large signe de croix du plongeur. Du coin de l’œil, Malko vit Felipe en esquisser un aussi.

Incorrigible, Felipe !

Rolando exécuta quelques mouvements d’assouplissement et s’avança vers le plongeoir. La paroi rocheuse était légèrement inclinée ; ainsi, il semblait descendre obliquement le long de cette paroi. Deux aides allumèrent deux immenses torches de résine.

Les projecteurs s’éteignirent.

Au fond du cañon, un autre aide mit le feu à un tas de bois imbibé de pétrole, qui éclairait les bouillonnements de la mer.

Lentement, une torche dans chaque main, Rolando s’avança vers le vide. D’une détente puissante il s’enleva, exécuta un « saut de l’ange » irréprochable et fila vers la mer, à 40 mètres plus bas, tenant toujours ses torches à bout de bras, comme une étrange étoile filante.

Fasciné, Malko regardait le corps plonger vers l’écume. À quelques mètres de la surface, Rolando eut comme un sursaut et lâcha les deux torches, qui s’éteignirent en grésillant, au moment où le corps du plongeur disparaissait aussi dans l’eau noire.

— Et voilà ! dit Felipe, au moment où les lumières se rallumaient. Il fait cela tous les soirs depuis vingt ans. Et jamais le moindre accident…

— Regardez, dit Malko.

Au fond du cañon, des hommes couraient, des torches et des lampes à la main, désignant quelque chose de noir qui flottait sur l’écume… Rolando n’était pas remonté.

— Cette fois, il a eu un accident, murmura Malko.

— Par le sang du Christ fit Felipe. Il a heurté les rochers !

Les deux hommes se levèrent d’un bloc et filèrent vers le sentier qui descendait sur la gauche du cañon, dévalant comme des fous l’étroit chemin et bousculant les badauds qui remontaient déjà. Personne ne s’était rendu compte de l’accident. En haut, la musique reprenait, avec un orchestre de mariachis.