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— Bien sûr. Mais je me suis souvenu que Mayo était à moitié indien. Et les Indiens avaient un truc, que les Japonais ont d’ailleurs repris durant la campagne de Birmanie, pour se dissimuler dans la jungle à l’approche d’une patrouille. Ils s’étendaient au fond d’une rivière peu profonde, et respiraient grâce à un bambou affleurant l’eau.

Clarke s’esclaffa.

— Dites donc, San Diego, ce n’est pas la jungle !

— Non, mais dans les réservoirs, il y avait de l’eau et j’avais remarqué de grands tuyaux en plastique, posés contre le mur, près du réservoir principal. Je ne pouvais pas savoir combien il y avait de ces tuyaux et sur le moment je n’y ai pas pensé.

— Après, quand j’ai passé en revue dans ma tête tout ce qui s’était passé, je me suis souvenu de ces détails. J’ai revu les tuyaux. Approximativement, ils étaient de longueur égale à la hauteur d’eau.

— C’est au fond que ce sont dissimulés les deux hommes. Leurs tuyaux étaient collés contre la paroi. Il y avait, entre le couvercle et l’eau, juste assez d’espace pour leur permettre de respirer. Et le renouvellement de l’eau ayant écarté tout risque de contamination, c’était une cachette idéale ! Dès que nous avons eu le dos tourné, ils sont remontés à la surface et ont attendu le moment favorable pour s’échapper.

Tout le groupe faisait cercle autour de Malko Le shérif le regarda avec reproche :

— Pourquoi y être allé tout seul ou presque ?

Il fallait les prendre par surprise. C’était notre meilleure chance. Et ça a marché. Maintenant, si l’un de vous peut m’offrir un lit, il sera le bienvenu.

En vingt secondes, Malko eut le choix entre assez de couches pour faire rêver Messaline. Il s’affala au fond d’une voiture de police et se laissa conduire au meilleur hôtel de San Diego, le Fairmont.

A peine déshabillé, il s’écroula sur son lit et s’endormit. Il fut réveillé par la sonnerie insistante du téléphone : le professeur Alsop l’appelait de Washington pour le féliciter, oubliant complètement la différence d’heure.

Malko raccrocha au nez du savant, avec une bordée d’injures choisies, américaines, turques et viennoises. Alsop en bégaya d’étonnement durant dix bonnes minutes, mais Malko ne le sut jamais.

Lorsqu’il se réveilla, le soleil entrait à flots dans sa chambre. Il prit le téléphone, commanda du thé et des toasts, demanda les journaux et ordonna qu’on porte son costume au pressing.

Toutes ses affaires étaient restées à Acapulco, au Hilton.

Les journaux racontaient l’histoire de Tacata en titres énormes et des longs articles étaient consacrés aux victimes de San Diego. Jamais la ville n’avait subi une telle catastrophe : au dernier bilan il y avait plus de 30 000 morts !

Pas un mot de SAS dans les journaux ! La victoire appartenait officiellement au shérif du comté de San Diego, aidé de ses fidèles deputies.

Malko n’avait pas envie de rester dans cette ville. Il avala son petit déjeuner en toute hâte, donna quelques coups de fil, pour rassurer Clarke et le Général sur son sort, et se fit conduire à l’aéroport. Pour que sa mission soit terminée, il avait encore un détail à régler.

Il trouva facilement un avion pour Los Angeles, d’où il redécolla, trois heures plus tard, sur un Coronado des Western Airlines aux trois quarts vide.

Le temps était magnifique. Sous les ailes du jet se déroulait la côte sauvage et découpée de la Basse-Californie, la région la plus désolée du Mexique. Les rochers firent ensuite place à la jungle, et Malko s’appuya au hublot, contemplant l’immense tache verte. Il aurait voulu reconnaître le village de Los Mochis. Il avait peine à croire que, deux jours plus tôt, il avait jeté une bombe atomique sur une clairière de cette jungle, où l’on pouvait trouver encore le cadavre fondu de Christina.

Le Coronado se posa sans heurt à Mexico-City, à 19 h 29, heure locale. Mais, cette fois, personne n’attendait Malko. Il se fit conduire au Maria-Isabel et demanda une chambre au septième

A Chulavista, dans la banlieue de Mexico, il y avait peu de distractions. Le cinéma ambulant une fois par semaine. Aussi, quand le curé afficha à la porte de l’église qu’il dirait le lendemain une messe spéciale, avec chanteurs, pour le repos de l’âme de Felipe Chano, décédé dans un accident d’automobile, le bruit se répandit-il comme une traînée de poudre.

Le lendemain, toutes les femmes du village étaient là, de vieilles mantilles noires sur la tête. Quelques hommes aussi, ceux qui ne travaillaient pas. Tous, en entrant, restaient suffoqués d’admiration : jamais il n’y avait eu autant de fleurs dans la petite église, qui d’habitude n’avait pour ornement que de naïfs dessins sur bois.

Il y avait des fleurs partout, des gerbes d’orchidées sauvages, des lis, des glaïeuls, et même des fleurs que les villageois n’avaient jamais vues. Surtout, c’était le tapis qui fascinait les Cuernavaquiens. Un long tapis rouge qui allait de la porte au chœur, épais, cossu, sur lequel les villageois s’agenouillaient avec volupté.

— C’est comme à la cathédrale ! murmura une vieille femme qui était déjà allée à Mexico.

Le vieux curé se rengorgeait, devant la surprise de ses ouailles. Ce tapis lui avait valu trois heures de tortueuses négociations avec le curé de Sainte-Marie-des-Cimes. Son confrère lui avait quand même extorqué 100 pesos, et la promesse que pas une tache ne souillerait le chef-d’œuvre, qui était en réalité une vieille moquette d’escalier, rachetée d’occasion au Gouvernement.

Lorsque la messe commença, il y eut un « Oh », contenu par la piété : du coin gauche s’élevait le son grinçant d’un vieil instrument, accompagné par une douzaine de voix enfantines. Il y avait même des chœurs. L’harmonium était aussi un emprunt du vieux curé.

Devant une telle magnificence, on oublia complètement la veuve et ses enfants. Discrètement quelques femmes ressortirent et convièrent le reste du village au spectacle.

L’apothéose eut lieu quand on défila devant le cercueil. Il y avait une immense couronne de deux mètres de diamètre avec une seule inscription : À su amigo, Felipe, S.A.S.

Les villageois se gonflèrent de fierté en pensant que leur Felipe pouvait avoir un ami assez riche pour assumer de telles dépenses. À leurs yeux, il n’avait été jusque-là qu’un petit policier, tirant le diable par la queue.

Mais ce fut du délire lorsque le curé annonça, d’un ton faussement humble, que désormais la même messe serait dite chaque année.

Après la messe, il fut assiégé dans la sacristie par une nuée de curieuses, qui désiraient savoir qui était ce mystérieux donateur. Le curé leva les bras au ciel :

— Je n’en sais rien moi-même. C’est un étranger que je n’avais jamais vu et dont je ne sais même pas le nom. Grand, blond, vêtu d’un costume noir brillant. Il parlait très peu et portait de grosses lunettes, dissimulant ses yeux. Il m’a laissé une somme d’argent pour que je puisse dire ma messe très longtemps et, Dieu veille sur lui, je n’en distrairai pas un centavo. Mais il ne m’a pas dit pourquoi il agissait ainsi.

Personne n’avait remarqué durant le service religieux l’inconnu blond, debout derrière un pilier. Lorsque le vieux curé avait aspergé le cercueil avec son goupillon, il avait fait un lent signe de Croix, le premier depuis son enfance.

Puis il partit sur la pointe des pieds, sortit de l’église et remonta dans une discrète Chevrolet grise, ôta ses lunettes noires et essuya les larmes de ses yeux avec une pochette immaculée.