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Pour reprendre sa respiration, il se mit à marcher plus lentement.

Son cœur avait repris un rythme normal quand un bruit le glaça d’horreur : on marchait derrière lui. Il se retourna et aperçut les taches blanches des vêtements.

Ses poursuivants l’avaient retrouvé.

Comme un fou, il se lança hors du sentier, espérant qu’ils ne l’avaient pas vu. Mais il y eut une détonation et une balle siffla à ses oreilles. Ils étaient sur sa piste, décidés à le tuer.

Coudes au corps, il courait, le cœur au bord des lèvres, ne sentant même plus les lianes et les plantes qui le griffaient au passage. Il ne savait plus où il allait. Une seule idée l’obsédait : échapper à ces hommes. Comme une ronce géante lui balayait le visage, il pensa avec amertume que ce n’était pas toujours une sinécure, d’être un « honorable correspondant » de la C.I.A.

Chapitre III

Son Altesse Sérénissime le prince Malko Linge, chevalier de l’ordre des Séraphins, Margrave de la Basse-Lusace, grand Voyvode de la Voyvodie de Serbie, Maître de l’ordre de la Toison d’Or, chevalier de droit de l’Aigle Noir, comte du Saint-Empire Romain, Landgrave de Fletgaus, bailli d’honneur et de dévotion de l’ordre souverain de Malte, propriétaire d’une demeure historique aux confins de l’Autriche-Hongrie, ci-devant « barbouze » hors-cadre à la Central Intelligence Agency, section « action », glissait tranquillement au milieu des nimbo-stratus joufflus et cotonneux qui recouvrent l’Atlantique Nord, un verre de vodka « Krepskaïa » à la main, à 960 km à l’heure.

Les yeux mi-clos derrière ses lunettes de soleil, confortablement vautré dans son moelleux fauteuil, il observait l’hôtesse de la Scandinavian Air-line System qui s’affairait auprès des six passagers de première. Longue, douce et gracieuse comme une eau-forte moyenâgeuse, elle s’appelait Karin.

C’est tout ce qu’il avait pu savoir d’elle en un quart d’heure de conversation. Elle avait gentiment, mais fermement, repoussé ses avances. Pour se consoler, Malko se disait que ses lunettes noires lui faisaient peur. Il ne les portait pourtant pas par snobisme, mais par nécessité. Quand on avait contemplé une seule fois ses yeux d’or liquide, on ne les oubliait pas de sitôt. Gênant dans un métier où il vaut mieux passer inaperçu !…

Malko lapa une gorgée de vodka, qu’il laissa doucement glisser le long de son palais. Pour la première fois depuis des mois, il se sentait complètement détendu.

Il était en vacances.

Le DC 8 de la S.A.S. avait décollé de l’aéroport John F. Kennedy – le plus grand de New York – à 7 heures et demie du soir. Il arriverait à Copenhague à 8 heures et demie du matin, à cause des six heures de différence d’heure. Malko aurait toute la matinée pour son shopping. Sa Caravelle pour Vienne repartait à 12h. 40. Il n’avait qu’une course à faire, mais importante. D’Amérique, il avait commandé, à un antiquaire de Copenhague une série de délicates porcelaines, pour la salle à manger de son château. Elles devaient l’attendre.

Le soir, il serait enfin chez lui ! Cette pensée lui arracha un soupir d’aise. Et puis il adorait l’avion. C’est le seul endroit où il se détendait vraiment. C’était aussi le seul endroit où il n’avait qu’à presser sur un bouton pour faire accourir une jolie fille, prête à satisfaire ses moindres désirs ; dans les limites du marivaudage de bon ton, hélas !…

Le DC 8 glissait sans bruit. La nuit était tombée. Pour se dégourdir les jambes Malko décida d’aller prendre un verre au bar de l’avant. Aussi pour bavarder avec la jolie Karin.

Elle l’attendait en souriant :

— Whisky ? Vodka ? Bloody Mary ? Aquavit ? Manhattan ou champagne ? proposa-t-elle. Ne vous gênez pas, c’est gratuit.

— Vodka, dit Malko. De la russe.

Aux U.S.A., il avait toutes les peines du monde à en trouver. Et c’était la meilleure.

— D’où êtes-vous, Karin ? demanda-t-il.

— De Stockholm, monsieur.

— Vous ne vous arrêtez pas à Copenhague ?

Elle secoua la tête en riant.

— Non. Mais venez à Stockholm. Mon mari et moi serons ravis de vous faire goûter l’hospitalité suédoise.

Tilt.

— Vous parlez bien anglais, remarqua-t-il, pour relancer la conversation.

Elle sourit modestement.

— Je parle aussi allemand, espagnol, français et grec. Je comprends, bien entendu, le danois et le norvégien.

Du coup, il posa son verre.

— Karin, vous savez que vous pourriez gagner des millions ?

La jeune femme éclata de rire.

— Honnêtement ?

— Presque.

Il ne pouvait quand même pas lui dire que la C.I.A. paierait cher une fille intelligente parlant autant de langues. Et qu’un de ses gros atouts, à lui, était justement une mémoire prodigieuse, qui lui permettait de s’assimiler très vite les langues étranges qu’on parle en dehors des pays civilisés et anglo-saxons. Une seconde, il rêva à ce que donnerait une équipe composée de Karin et de lui.

Il rit tout seul. Si elle avait connu le surnom de son interlocuteur, Karin se serait bien amusée. On l’appelait SAS, à cause des initiales de son titre.

Pour les Américains, c’était plus court. En voyageant sur la S.A.S. il avait l’impression d’être un peu sur ses terres. De plus, il appréciait l’hospitalité scandinave, plus attentionnée que les hôtesses pressées des compagnies américaines.

— Retournez à votre fauteuil, dit Karin, on va vous servir le dîner.

Poussé par la faim, il ne se fit pas prier. Il se sentait léger et heureux. Pendant deux mois, il allait oublier les missions, les dangers et la vie brutale qu’il menait depuis si longtemps. Pour ne penser qu’à ses boiseries à restaurer.

En lisant le menu, il s’aperçut que l’Europe lui avait bien manqué. Enfin de la cuisine ! Il lut avec attendrissement que la S.A.S. était affiliée à la plus vieille société gastronomique du monde, la Chaîne des Rôtisseurs.

Cinq minutes plus tard, il étalait à la petite cuillère, du caviar sur un toast. On lui avait servi des smörgasbörd, sortes de hors-d’œuvre scandinaves, avec des harengs sucrés, du saumon fumé et surtout du caviar. Il fit descendre la langouste avec une demi-bouteille de Laffite-Rotschild et revint à la vodka pour le dessert. Une douce somnolence l’envahissait et la C.I.A. s’éloignait de plus en plus.

En lui retirant son plateau, Karin lui tendit un masque de tissu noir, en forme de lunettes dont les branches auraient été remplacées par un élastique.

— Mettez-les pour vous protéger de la lumière, proposa-t-elle.

Il obéit et sa dernière vision fut le chemisier jaune rayé de l’hôtesse. Il s’endormit immédiatement.

Une odeur agréable le tira d’un rêve encore plus agréable, mais inracontable : Karin lui tendait, pour se rafraîchir le visage, une petite serviette chaude imbibée d’eau de Cologne. Comme au Japon, il faisait jour.

— Nous arrivons dans une heure, annonça-t-elle.

Il eut le temps d’avaler des œufs brouillés et de se recoiffer. Le DC 8 descendait doucement vers Copenhague. « Enfin un pays où rien de désagréable ne m’attend ! » pensa Malko.

Le pilote réussit un kiss-landing. Malko ne sentit pas le moment où les roues touchaient le sol… La voix fraîche de Karin annonça :

— Nous venons d’atterrir à Copenhague. Il est 7 h. 40, heure locale. La Scandinavian Airline System vous souhaite…

Malko soupira. Ça l’ennuyait, de quitter la belle Karin ! Enfin, le monde est si petit !