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— Claire, Claire…

Sa voix se brisa alors qu’il frottait son visage contre ses cheveux courts.

Claire, par-dessus l’épaule de Tony, contempla le désastre qu’ils avaient provoqué. L’élévateur, renversé sur le côté, s’était remis à biper faiblement, comme un animal blessé.

— Tony, il ne faut pas qu’on reste ici.

— Je croyais que tu me suivais, sur l’échelle. Que tu étais juste derrière moi.

— Il fallait que j’aille chercher Andy.

— Bien sûr. Tu l’as sauvé, alors que… que je me suis sauvé… Oh, Claire ! Je ne voulais pas te laisser seule là-dedans…

— Je le sais bien. Écoute, tu ne veux pas qu’on en parle plus tard ? Je crois vraiment qu’on devrait partir d’ici.

— Oui. Oui, bien sûr… Euh… le sac ?

Tony jeta un coup d’œil dans le fond de l’alvéole.

Claire l’aurait volontiers laissé sur place. Cependant, ils ne pourraient aller bien loin sans provisions, sans boissons… sans couches. À eux deux, ils le poussèrent de nouveau sur le bord.

— Je vais me mettre sur l’échelle, dit Tony. Tu n’auras qu’à le glisser sur mon dos pour que…

Sans hésiter une seconde, Claire fit basculer le sac du casier ; il atterrit au milieu des enjoliveurs.

— On n’a plus à s’inquiéter des choses fragiles, maintenant, dit-elle. Allons-y.

Tony, sur l’échelle, aida Claire à soutenir Andy qu’elle tenait entre ses bras inférieurs. Puis ce fut de nouveau la lente et frustrante progression sur le sol.

Claire commençait à détester l’odeur poussiéreuse du ciment.

Ils ne s’étaient éloignés que de quelques mètres, quand Claire entendit de nouveau un martèlement de pas. Irrégulier, cette fois. Le grav hésitait sans doute sur la direction à prendre. Il n’était pas loin, peut-être à une ou deux allées de la leur. Puis elle perçut un écho. Non, pas un écho. D’autres pas. Ils étaient plusieurs.

La suite se déroula très vite. Un grav en uniforme gris bondit d’un croisement et se plaça face à eux en poussant un cri inintelligible. Il se campa sur ses jambes légèrement fléchies, ramassé sur lui-même, braquant un étrange appareil à bout de bras. Son visage était aussi livide et terrorisé que celui de Claire.

Devant elle, Tony lâcha le sac et se dressa sur ses bras inférieurs, ouvrant ses mains libres.

— Non ! cria-t-il.

Le grav, bouche ouverte et yeux écarquillés, eut un mouvement instinctif de recul. Deux ou trois éclairs jaillirent de son appareil, accompagnés de détonations assourdissantes dont l’écho se répercuta à travers tout l’entrepôt. Puis il releva les mains et laissa tomber l’objet à ses pieds.

Elle entendit le cri de Tony, le vit s’écrouler sur le sol, les bras repliés sur lui-même.

— Tony ?… Tony !

Elle courut jusqu’à lui, Andy serré contre la poitrine. Le petit, terrifié, pleurait, ses hurlements se mêlant à ceux de son père.

— Tony ? Tony, qu’est-ce qu’il y a ?

Elle n’aperçut pas tout de suite le sang sur son T-shirt rouge. Mais alors qu’elle l’attirait contre elle, ses yeux tombèrent sur son bras inférieur gauche dont le muscle n’était plus qu’une bouillie de chair rouge agitée de pulsations spasmodiques.

— Tony !…

Le garde s’était précipité vers eux. Hagard, il décrocha son com de sa ceinture et le porta à la bouche, d’une main tremblante.

— Nelson ! Nelson ! appela-t-il. Nom de Dieu, préviens l’équipe médicale, vite ! C’est des gosses ! Je viens de tirer sur un gosse ! hurla-t-il d’une voix brisée. C’est rien que des mômes infirmes !…

Leo sentit son ventre se crisper en apercevant le reflet des lumières jaunes clignoter sur les murs de l’entrepôt. Les médics de la compagnie. Oui, c’était bien ça. Leur véhicule électrique était garé dans l’allée centrale, gyrophare allumé. Les quelques mots essoufflés de l’employé venu au-devant d’eux à leur descente de la navette résonnaient encore dans sa tête –… trouvés dans l’entrepôt… un accident… blessé…

Leo pressa le pas.

— Ralentissez, Leo. Ça me donne le tournis, protesta Van Atta avec irritation. Tout le monde n’est pas capable de passer de l’apesanteur à la gravité sans problème, vous savez…

— Ils ont dit qu’un des gosses était blessé.

— Et alors ? Qu’est-ce que vous comptez faire de plus que les médics ? En ce qui me concerne, je vais aller directement dire ce que je pense à ce crétin de chef de la sécurité…

— Je vous retrouverai là-bas, lança Leo par-dessus son épaule en s’éloignant à petites foulées.

L’allée 29 ressemblait à une zone de guerre. Un élévateur renversé, du matériel éparpillé partout… Il faillit déraper sur une plaque métallique et l’envoya valser d’un coup de pied impatient. Deux médics et un garde étaient penchés au-dessus d’une civière ; un goutte-à-goutte avait été dressé à côté.

Un T-shirt rouge. Tony. C’était Tony qui avait été blessé. Claire était accroupie, un petit peu plus loin, Andy serré contre elle ; des larmes roulaient sur son visage exsangue. Sur la civière, Tony s’agitait et criait en sanglotant.

— Vous ne pouvez pas au moins lui donner quelque chose pour calmer la douleur ? demanda le garde.

— Je ne sais pas, répondit le médic, manifestement tourneboulé. J’ignore ce qu’ils ont fait à leur métabolisme. Un choc, c’est un choc. Avec le goutte-à-goutte et la synergine, je suis tranquille, mais pour le reste…

— Contactez le Dr Warren Minchenko, conseilla Leo en s’agenouillant près d’eux. C’est le médecin-chef de l’Habitat Cay. C’est son mois de congé, en ce moment. Demandez-lui de vous rejoindre à votre infirmerie ; il prendra le relais.

Le garde pianota en hâte les touches de son com.

— Ah ! ce n’est pas trop tôt, soupira le médic en se tournant vers Leo. Vous ne sauriez pas ce que je peux lui donner comme analgésique, par hasard ?

— Euh…

Leo réfléchit rapidement.

— Le syntha-morph devrait pouvoir le soulager, en attendant l’avis du Dr Minchenko. Mais à dose réduite. Ces gosses sont moins lourds qu’ils en ont l’air. Tony ne doit pas peser plus de… disons quarante-deux kilos.

La nature particulière des blessures de Tony attira enfin l’attention de Leo. Il s’était imaginé une chute, avec des membres brisés, peut-être une fracture du crâne…

— Eh… mais que s’est-il passé, exactement ?

— Blessures par balles, l’informa le médic. Abdomen et… euh, enfin… pas le fémur, mais… membre inférieur gauche. Celle-ci est assez superficielle, mais l’autre, dans le ventre, est plus sérieuse.

— Des balles ?

Leo se tourna vers le garde, qui piqua un fard.

— Vous ne connaissez donc pas les neutraliseurs, ici ? Pour l’amour du ciel, pourquoi… ?

— Quand cette espèce d’hystérique a appelé de l’Habitat, en vociférant contre ses monstres en cavale, j’ai pensé que… Oh ! je ne sais même plus ce que j’ai pensé.

— Et vous n’avez pas regardé avant de tirer ?

— J’ai bien failli viser la fille et son gosse.

Le garde haussa les épaules, les yeux rivés sur le bout de ses bottes.

— C’était un accident, je vous jure… Les coups sont partis tout seuls…

Van Atta les rejoignit, essoufflé.

— Bon Dieu, quel merdier ! déclara-t-il avant de se tourner vers le garde. Je croyais vous avoir dit d’être discret, Bannerji. Qu’est-ce que vous avez fait ? Vous avez lancé une bombe ?

— Il a tiré sur Tony, répondit Leo entre ses dents.