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Une des deux jeunes femmes s’interrompit une seconde pour ajuster un paquet sous le bras. Le cerveau de Leo se figea. Le paquet n’était autre qu’un bébé.

Un bébé vivant… Le petit se tordait le cou derrière l’épaule de… sa mère, sans doute, pour regarder Leo. Il s’agrippait à elle, lui empoignant le sein comme s’il tenait à en affirmer la propriété.

— Argh… croassa-t-il.

— Aïe ! s’écria-t-elle en riant.

Libérant une de ses mains, elle détacha de sa poitrine les petits doigts grassouillets sans cesser de poursuivre sa tâche. Elle finit de fixer le plant dont elle s’occupait, puis saisit la bombe de fixatif qui flottait à côté d’elle, mais hors de portée du bébé, et en aspergea la pousse.

Mince et aérienne comme un elfe, la fille semblait fort étrange aux yeux de Leo. Ses cheveux courts et soyeux encadraient son visage ovale pour descendre en pointe au bas de la nuque. Ils étaient si épais que Leo songea à la fourrure d’un chat.

L’autre fille, aussi blonde que l’autre était brune, n’avait pas de bébé. C’est elle qui, la première, s’aperçut de leur arrivée. Elle sourit.

— On a de la compagnie, Claire.

Le visage de la brune s’illumina.

— Tony ! s’exclama-t-elle, ravie.

Le bébé relâcha trois de ses mains et les agita frénétiquement.

— D’accord, dit la jeune femme en riant. Tu veux voler vers papa, hein ?

Elle détacha la laisse reliant le harnais du petit à sa ceinture et souleva le bébé à bout de bras.

— Tu vas voir papa, Andy ? Tu voles ?

Le bébé accueillit la proposition en battant des quatre mains avec de petits cris de ravissement. Elle le poussa vers Tony qui le reçut dans ses bras avec un sourire extatique sous les yeux étonnés de Leo.

— Tu veux voler vers maman ? demanda-t-il à son tour.

— Ah ah… acquiesça Andy.

Tony le souleva, puis lui étira doucement les bras – en étoile de mer, songea Leo – et le poussa en lui imprimant un mouvement de rotation. Le bébé tournoya comme un Frisbee vers sa mère en gazouillant de plus belle.

Claire le renvoya une fois de plus vers son père – incroyable de penser que ce blondinet pût être déjà père – puis le suivit pour aller prendre la main que lui tendait Tony… et la garder dans la sienne.

— Claire, je te présente M. Graf, déclara Tony avec fierté, comme s’il exhibait un prix d’excellence. Il va m’enseigner les techniques de pointe de la soudure. Monsieur Graf, je vous présente Claire. Et notre fils Andy.

Andy avait grimpé sur la tête de son père et s’accrochait d’une main à ses cheveux et d’une autre à son oreille, sans quitter Leo de ses yeux ronds.

— Claire a été choisie pour être la première mère naturelle parmi nous, annonça-t-il.

— Ainsi que quatre autres filles, précisa Claire avec modestie.

— Elle était à la section Soudure aussi, mais elle ne peut plus travailler à l’extérieur, maintenant. Depuis la naissance d’Andy, elle navigue entre les services d’entretien, de technologie nutritionnelle et d’hydroponique.

— Selon le Dr Yei, il s’agit d’une expérience très importante, qui permettra de découvrir dans quels secteurs ma productivité se ressent le moins de la présence d’Andy avec moi, expliqua-t-elle. L’extérieur me manque un peu, c’était très excitant, mais… je me plais aussi, ici. Les tâches sont plus variées.

GalacTech réinventerait-il le travail féminin ? s’interrogea Leo avec ironie. Évidemment, il fallait reconnaître que ces créatures étaient sans doute de passionnants sujets d’expérience.

— Heureux de vous rencontrer, Claire, dit-il, le visage fermé.

Claire tira doucement sur la manche de Tony et, d’un mouvement du menton, indiqua sa collègue blonde qui s’était rapprochée.

— Et voici Silver, dit-il aussitôt. Elle travaille presque toujours dans ce service.

Silver salua Leo d’un hochement de tête. Ses cheveux mi-longs, ondulés, étaient très pâles, presque platine. Elle avait le genre de visage anguleux qui peut être ingrat à l’adolescence, mais saisissant de beauté et d’élégance à l’âge adulte. Son regard bleu était plus calme et moins timide que celui de Claire qui, déjà, était obligée de répondre à un nouveau caprice d’Andy. Le bébé fut bientôt remis en laisse.

— Bonjour, monsieur Van Atta, dit-elle avec une insistance discrète en pirouettant devant lui.

Ses yeux brillants l’imploraient de s’intéresser à elle. Leo remarqua que chacun de ses vingt ongles était laqué de vernis rose.

Van Atta répondit d’un petit sourire empreint de condescendance.

— Bonjour, Silver. Ça se passe bien, ici ?

— Il nous reste juste un végétube à faire après celui-ci. Nous aurons fini avant le changement d’équipe.

— Bien, très bien, dit Van Atta avec jovialité. Ah !… essaie de penser à te tenir debout, si je puis dire, quand tu t’adresses à un grav, mon ange.

Silver se redressa aussitôt pour s’adapter à l’orientation de Van Atta. Dans la mesure où la salle était de conception radiale, « debout » était une simple vue de l’esprit « van-attien », songea Leo. Mais où donc avait-il rencontré ce type, bon sang ?

— Parfait, nous vous laissons continuer, dit Van Atta en s’éloignant.

Leo le suivit. Tony aussi, non sans regret.

Andy avait reporté son attention sur sa mère ; ses petites mains fourragèrent avec détermination sous son T-shirt sur lequel apparurent aussitôt des taches humides.

Apparemment, c’était une fonction que les manipulations génétiques de la compagnie n’avaient pas altérée, remarqua Leo.

En silence, il rattrapa Van Atta. Pour l’instant, il réservait son opinion sur tout ce qu’il venait de voir et d’entendre. Car il avait la très nette impression de n’être pas au bout de ses surprises…

Ils s’arrêtèrent dans le bureau de Van Atta qui alluma les lampes et actionna la circulation d’air. D’après l’odeur de renfermé, Leo supposa qu’il n’y séjournait pas souvent, préférant sans doute passer le plus clair de son temps en gravispace. Un gros hublot offrait une vue imprenable sur Rodeo.

— J’ai gravi quelques échelons depuis la dernière fois que nous nous sommes vus, dit Van Atta, le regard planté dans le sien.

La couche supérieure de l’atmosphère courant sur le bord de Rodeo produisait de spectaculaires effets de lumière prismatiques.

— Et je suis tout prêt à vous renvoyer l’ascenseur. Quand on atteint le sommet, il est bon de se rappeler qui vous a fait la courte échelle. C’est mon opinion, en tout cas.

Son haussement de sourcils invita Leo à abonder dans le sens de cette autosatisfaction manifeste.

Leo sondait en vain sa mémoire. La situation devenait très embarrassante. En souriant, il profita que Van Atta fût occupé à allumer sa comconsole pour se détourner et observer le sobre décor de la pièce.

Une petite plaque murale où était inscrite une maxime humoristique accrocha son regard. Le sixième jour, Dieu Se rendit compte qu’il ne pourrait pas tout faire Lui-même, alors Il créa les INGÉNIEURS. Le léger rire de Leo attira l’attention de Van Atta qui releva le nez de sa comconsole.

— J’aime bien, moi aussi, dit-il. Un cadeau de mon ex-femme… C’est à peu près la seule chose que cette garce m’a laissée quand on s’est séparés.