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— Vous voulez parler de la pornographie ? À votre place, je ne me ferais pas trop de soucis pour ça. Quand j’étais gosse, on se passait des…

— Non, non. Je ne suis même pas certaine que les quaddies comprendraient ce qu’est la pornographie. La sexualité n’est pas un sujet tabou, ici, au contraire. Elle fait partie de leur formation sociale et de leurs cours de biologie. Non, ce qui m’inquiète davantage, ce sont les romans qui maquillent des valeurs dangereuses sous des couleurs attrayantes ou les études historiques tendancieuses.

Leo plissa le front, atterré.

— Vous n’avez donc pas d’histoire au programme, dans vos cours ? Et vous ne les laissez lire aucun roman qui…

— Bien sûr que si. Les quaddies ne manquent ni de l’une ni des autres. Il s’agit simplement de mettre l’accent là où il le faut. Par exemple… prenez l’épisode classique de la colonisation d’Orient IV. Vous trouverez une quinzaine de pages traitant de la Guerre des Frères, une véritable aberration sociale, s’il en fut, qui de surcroît n’a duré qu’un an, et environ deux ou trois pages seulement sur la centaine d’années qu’il a fallu pour faire de cette planète le monde que nous connaissons aujourd’hui. Nos textes consacrent un paragraphe à la guerre. Mais la construction du tunnel pour le monorail Witgow, avec les avantages économiques qu’il a procurés aux deux parties concernées, a droit à cinq pages. En bref, nous mettons l’accent sur l’ordinaire plutôt que sur l’exceptionnel, sur la construction plutôt que sur la destruction, sur le normal plutôt que sur l’anormal. Cela afin que nos quaddies n’aient jamais l’impression que nous attendons une quelconque forme d’anormalité de leur part. Si vous prenez la peine de lire leurs textes, je pense que vous saisirez très bien ce que je veux dire.

— Oui, je crois que ce serait préférable, murmura Leo.

La censure exercée à l’égard des quaddies que suggérait le bref exposé du Dr Yei lui donnait la chair de poule. D’un autre côté, il avait envie d’applaudir à l’idée que les textes puissent consacrer de longues sections aux grands travaux d’ingénierie. Il dissimula sa confusion derrière un sourire rassurant.

— Je n’ai rien apporté de compromettant, dit-il.

Elle l’emmena ensuite faire le tour des dortoirs, puis des crèches.

Leo fut fasciné par les jeunes quaddies. Il semblait y en avoir une quantité incroyable. Peut-être était-ce dû à leur étonnante vivacité. Une trentaine de petits de cinq ans bondirent dans le gymnase comme des balles de ping-pong, dès que leur surveillante, une femme avenante aux formes épanouies, les libéra de leur classe de lecture. Après cinq minutes de défoulement, elle tapa dans ses mains, mit de la musique ; ils entamèrent un jeu, ou une danse – Leo ne savait trop ce dont il s’agissait –, tout en jetant de fréquents regards dans sa direction et en pouffant comme n’importe quels gamins de leur âge. L’exercice consistait à créer une sorte de pyramide humaine mouvante dont ils modifiaient sans cesse l’agencement au rythme de la musique. Des cris de protestation éclataient lorsque l’un d’entre eux ratait par inadvertance la main de son voisin et rompait ainsi l’harmonie de la formation. Quand la perfection était atteinte, tout le monde était aux anges.

Le Dr Yei, voyant Leo rire quand les petits quaddies se précipitèrent comme un essaim d’abeilles autour de lui à la fin de la démonstration, paraissait ronronner de plaisir.

Toutefois, à la fin du tour, elle le scruta avec un sourire perplexe.

— Monsieur Graf… je vous sens encore troublé. Êtes-vous certain que vous ne nourrissez pas une sorte de complexe de Frankenstein à propos de tout cela ? Ne craignez surtout pas de m’en parler. Pour être honnête, je vous y engage même vivement.

— Ce n’est pas ça, commença Leo. C’est seulement que… À vrai dire, je ne vois aucune objection au fait que vous les éleviez dans un esprit de collectivité, dans la mesure où ils passeront leur vie dans des stations spatiales très peuplées. Ils sont exceptionnellement disciplinés pour leur âge, aussi, et…

— N’est-ce pas vital pour leur survie, dans un environnement spatial ?

— Oui… mais que faites-vous de leur… autodéfense ?

— Voudriez-vous définir ce terme, monsieur Graf ? De quoi devraient-ils se défendre ?

— Eh bien, il me semble que vous avez réussi à former un millier de super-techniciens, sans doute, mais de techniciens-paillassons… Ce sont de braves gosses, mais ne sont-ils pas un peu trop… féminisés ?

Il marchait sur des œufs. Le terrain devenait glissant. Au sourire de Yei avait succédé un froncement de sourcils réprobateur.

— Je veux dire… ils sont mûrs pour être exploités. Par n’importe qui. Cette expérience sociale était-elle votre idée, à l’origine, docteur Yei ? Elle pourrait être l’accomplissement du rêve féminin d’une société idéale. Tout le monde est si… si bien éduqué.

Il avait la sensation inconfortable d’avoir exprimé un peu trop crûment son opinion, mais elle ne pouvait manquer d’en reconnaître la validité…

Le Dr Yei prit une longue inspiration et baissa la voix. Son sourire était revenu, mais beaucoup moins amical.

— Laissez-moi éclaircir certains points, monsieur Graf. Je n’ai pas inventé les quaddies. J’ai été envoyée ici il y a six ans. Ce sont les directives de GalacTech qui exigent une socialisation maximum. J’ai hérité de ces quaddies. Et ils me sont chers, quoi que vous puissiez en penser. Ce n’est ni votre travail, ni votre affaire, de vous mêler de leur statut légal. Je suis en revanche directement concernée. Leur sécurité dépend de leur socialisation.

« Vous semblez ne pas être victime des préjugés habituels sur les produits de l’ingénierie génétique, mais beaucoup le sont. Il existe des juridictions planétaires où la manipulation génétique humaine, à cette échelle, serait même illégale. Il suffirait que ces gens, rien qu’une fois, perçoivent les quaddies comme une menace et…

Elle s’interrompit, renonçant à poursuivre ses confidences, et se retrancha de nouveau derrière son autorité.

— Laissez-moi jouer cartes sur table, monsieur Graf. C’est à moi qu’appartient le pouvoir d’approuver, ou de réprouver, le personnel de formation pour l’Opération Cay. M. Van Atta vous a peut-être personnellement fait appeler, mais je peux vous démettre de ce stage. Ce que je n’hésiterais pas à faire si vos propos ou votre comportement allaient à l’encontre de notre politique. Suis-je assez claire… ?

— Tout à fait, dit Leo.

— Je suis désolée, ajouta-t-elle avec sincérité. Mais tant que vous n’aurez pas séjourné quelque temps dans l’Habitat, je ne saurais trop vous conseiller de ne pas porter de jugements hâtifs.

Leo choisit de garder ses réflexions pour lui. Ils parvinrent à se quitter sur une poignée de main cordiale bien qu’imperceptiblement tendue.

Le monde merveilleux des animaux. C’était le titre de l’émission vid. Silver revint en arrière pour passer une troisième fois la séquence sur les chats.

— Encore ? protesta Claire, qui partageait la petite cabine de projection avec elle.

— Rien qu’une fois, plaida Silver.

Bouche bée, elle regarda le persan noir apparaître sur le plateau vid. Cependant, par égard pour Claire, elle baissa le son. L’animal, ramassé sur lui-même, était en train de boire du lait dans un bol, plaqué au sol par la force de gravitation. Les gouttelettes blanches projetées par sa langue rose retombaient dans le bol, comme aimantées par le liquide.

— J’aimerais bien avoir un chat. Ils ont l’air si doux…

Sa main inférieure gauche se tendit pour caresser l’image grandeur nature du matou. Pas de plaisir tactile, toutefois ; rien que la lumière colorée de l’holovid glissant, sans la moindre sensation, sur sa peau.