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— Ce n’est pas difficile quand le sujet vous passionne.

— Je n’aurais jamais pensé que la soudure puisse être aussi intéressante. Vous êtes très doué pour communiquer votre enthousiasme.

— J’espère que les quaddies ont été aussi intéressés que vous. C’est vraiment très gratifiant, quand on parvient à transmettre sa passion à son auditoire. C’est même la plus belle contribution que l’on puisse apporter à un art. Quel qu’il soit…

— Je commence à le croire, en effet. Votre histoire…

Elle hésita.

— Cette affaire d’escroquerie a eu un impact très fort sur eux. Ils n’avaient jamais entendu quelque chose qui ressemble à cela, de près ou de loin. D’ailleurs, je ne la connaissais pas moi-même.

— C’était il y a des années de ça.

Elle secoua la tête, l’air soucieux, comme aux prises avec ses réflexions.

— Très troublant, malgré tout.

— Il faut que ce le soit. Encore une fois, c’est une histoire vraie. J’y étais.

Il planta son regard dans le sien.

— Un jour, ce sera peut-être leur tour. Toute négligence de leur part pourra s’avérer criminelle, si je ne suis pas à la hauteur pour les préparer.

— Mmmh… je vois.

De nouveau, une ombre de sourire.

Le dernier élève venait de disparaître dans le couloir.

— Il vaut mieux que je les rattrape, dit-il. Vous comptez assister à mon cours jusqu’au bout ? Alors, allons-y. Je vais faire de vous une soudeuse.

Elle secoua la tête, amusée.

— Après ce premier cours, je serais presque tentée. Mais j’ai bien peur que mes activités ne m’en laissent pas le temps. Je suis obligée de vous abandonner… Vous vous en sortirez très bien, monsieur Graf.

3

Andy tira la langue, recrachant la cuillerée de riz à la crème que Claire venait de lui enfourner dans la bouche.

— Beuh… commenta-t-il.

La boule de bouillie, si elle déplaisait à ses papilles gustatives, éveilla cependant un tout autre intérêt. Il l’attrapa entre deux mains et l’écrabouilla en éclaboussant sa mère pour sa plus grande joie.

— Ah ! Andy… soupira-t-elle, agacée, lui essuyant les mains. Allez, poussin… essaie encore. Le Dr Yei dit que c’est bon pour toi.

— Il n’a peut-être plus faim, dit Tony.

Cette expérience nutritionnelle se déroulait dans la chambre privée de Claire à laquelle elle avait droit depuis la naissance d’Andy. Ses amies du dortoir lui manquaient, mais elle reconnaissait sans peine que la compagnie avait choisi la bonne solution. Sa popularité et celle du bébé n’auraient sans doute pas survécu aux nombreuses tétées nocturnes, aux changements de couches, aux mystérieuses poussées de fièvre, aux diarrhées intempestives et à toutes les autres petites misères infantiles ayant la sale manie de se déclarer au beau milieu de la nuit.

Et puis Tony aussi, Tony surtout lui manquait. Elle l’avait à peine vu au cours des six dernières semaines. Ses nouveaux cours de soudure l’accaparaient une bonne partie de la journée. En fait, c’était tout l’Habitat qui semblait avoir accéléré le rythme. Il y avait des jours où on avait à peine le temps de respirer.

— Il n’aime peut-être pas ça, suggéra encore Tony. Tu as essayé de le mélanger avec l’autre bouillie ?

— Tout le monde est un expert en la matière, soupira Claire. Sauf moi… Il en a mangé un peu hier, en tout cas.

— Quel goût ç’a ?

— Je ne sais pas. Je n’ai jamais essayé.

— Hmm…

Tony prit la cuillère, la plongea dans le petit pot et en extirpa une boule visqueuse qu’il poussa dans sa bouche.

— Non mais ! s’écria Claire, indignée.

Tony manqua s’étouffer.

— Beurk !… Donne-moi la serviette. Je comprends pourquoi il n’en veut pas, dit-il en grimaçant. C’est immangeable, ce truc.

Claire lui prit la cuillère des mains et flotta jusqu’à la kitchenette où elle la rinça sous le distributeur d’eau.

— Tu as oublié les germes ? dit-elle d’un ton accusateur.

— Désolé. Mais tu n’as qu’à essayer, toi, tu verras.

Méfiante, elle approcha son nez du petit pot et le flaira avec suspicion.

— Je te crois sur parole.

Entre-temps, Andy avait entrepris de mordiller le pouce d’une de ses mains inférieures.

— Tu es censé être encore trop jeune pour manger de la viande, dit Claire.

Sur le point de protester quand elle voulut l’en empêcher, Andy s’arrêta net en voyant la porte s’ouvrir.

— Comment ça se passe, Claire ? demanda le Dr Yei, alors qu’elle entrait dans la cabine.

Le visage de Claire s’éclaira. Elle aimait bien le Dr Yei. Tout paraissait toujours s’arranger comme par enchantement quand elle était là.

— Andy ne veut pas manger son riz à la crème. Il préfère la purée de bananes.

— Dans ce cas, essaie de lui donner des flocons d’avoine au prochain repas.

Yei s’approcha d’Andy et lui tendit la main. Il l’attrapa avec les siennes – les supérieures d’abord, puis les autres quand elle baissa le bras.

— La coordination de ses membres inférieurs se fait correctement, dit-elle. Elle devrait être achevée d’ici son premier anniversaire.

— Et sa quatrième dent a percé avant-hier, ajouta Claire avec une pointe de fierté.

— C’est la nature qui te parle, Andy, déclara Yei d’un ton faussement sévère. Et elle te dit qu’il faut manger ton riz à la crème.

Il s’accrocha à ses bras, ses petits yeux vifs fixés sur les anneaux d’or accrochés à ses oreilles.

— Ne t’inquiète pas, Claire. On a toujours tendance à vouloir trop en faire, avec le premier bébé. Ce sera plus détendu avec le second, tu verras. Je te garantis que tous les bébés du monde finissent leur riz à la crème sans problème avant de fêter leurs vingt ans…

Claire éclata de rire, soulagée.

— C’est surtout que M. Van Atta m’interrogeait sur ses progrès…

— Ah !…

Le Dr Yei pinça les lèvres en un sourire un peu forcé.

— Je vois.

Les doigts d’Andy rampèrent sur sa joue, prêts à s’agripper aux anneaux. Elle le souleva in extremis, le repoussant gentiment. Contrarié, il piailla en gigotant, mais ne parvint qu’à s’imprimer un mouvement de toupie. Le Dr Yei capitula devant ses glapissements désespérés et le reprit, en ayant soin toutefois de le tenir à bout de bras.

— En fait, je suis venue pour vous annoncer de bonnes nouvelles. La compagnie est si contente de la façon dont les choses se passent avec Andy qu’ils ont décidé d’avancer la date pour ta seconde grossesse, Claire.

Le visage de Tony se fendit d’un large sourire. Il battit des mains, aux anges. Claire, embarrassée, essaya de modérer son enthousiasme, mais ses yeux exprimaient son propre plaisir. Ainsi, la compagnie avait remarqué les efforts qu’elle fournissait pour être à la hauteur de la tâche qu’on lui avait confiée. Elle s’était si souvent découragée à la pensée que personne ne s’en apercevait…

— De combien de temps ? demanda-t-elle.

— Ton cycle menstruel est toujours interrompu en raison de l’allaitement, n’est-ce pas ? Je t’ai pris un rendez-vous à l’infirmerie pour demain matin. Le Dr Minchenko te donnera des médicaments pour faire revenir tes règles. Tu pourras essayer dès le deuxième mois.

— Ô mon Dieu… Si tôt que ça ?

Claire considéra un instant Andy, qui se démenait toujours dans les bras du Dr Yei, et se rappela l’état de faiblesse dans lequel l’avait plongée sa première grossesse. Toute son énergie avait été comme aspirée par le fœtus.