Выбрать главу

— Contrairement à ce que l’on croit, la dernière mission du capitaine Brewster n’était ni Vénus, ni Mars, mais Ganymède!

Les yeux luisants de malice, il précisa dans un sourire:

— Vous savez certainement qu’il s’agit de la plus importante des lunes de notre grand voisin planétaire, Jupiter.

Kennedy l’ignorait. Dinoli intercepta son expression intriguée et le foudroya du regard. L’espace d’une seconde, Kennedy se vit en train de remplir un formulaire à l’agence nationale pour l’emploi et s’empressa de retrouver sa mine impassible, malgré le petit tic nerveux qui semblait déformer sa lèvre inférieure.

Lourdement penché sur la table, Dinoli poursuivait à voix basse:

— Cette dernière mission est un secret. La direction de la SDEE a préféré ne pas ébruiter l’affaire, en raison de l’échec notoire des opérations Vénus et Mars.

Il se redressa et conclut:

— Bien entendu, le public saura tout, en temps voulu. Mais, pour le moment: motus!

Il pressa un bouton sur le tableau de contrôle au-dessus duquel sa main semblait toujours planer, désigna un grand écran qui venait de se dérouler au fond de la salle et informa:

— J’ai quelque chose à vous montrer!

À cet instant, deux assistantes en uniforme entrèrent, précédées d’une table roulante surmontée d’un projecteur.

Dinoli expliqua:

— Le capitaine Brewster a ramené de Ganymède un documentaire étonnant. J’aimerais vous le montrer avant de continuer.

L’appareil se mit à vrombir dans la salle, maintenant obscurcie. Tendu, intrigué, Kennedy regardait un générique plutôt austère défiler sur l’écran au rythme d’une musique de fond imitant des battements de cœur:

«Une Production de la Société de Développement et d’Exploration Extra-Terrestres.»

Puis, sans transition, un vaste champ de neige s’étendant à perte de vue sous un ciel bleu pâle surgit devant les spectateurs. Hébété, Kennedy fixait les nuages gris verdâtres qui tourbillonnaient dans l’air, au premier plan, puis les montagnes massives plantées au fond de ce décor absolument blanc. Sur un long travelling révélant un sol congelé, la voix off et profonde de Brewster commentait:

— En ce moment, vous voyez la surface de Ganymède. La neige, mélange d’ammoniaque et de méthane, recouvre la quasi-totalité du planétoïde. Avec ses 5149 kilomètres de diamètre, Ganymède ne saurait être considérée comme une planète. Toutefois, nous avons découvert, incidemment que la pesanteur y est à peu près semblable à celle de la Terre. Ganymède a une écorce épaisse, probablement détachée du noyau de Jupiter au moment où le système s’est formé…

La caméra s’attarda sur les fines striures d’un rocher, plongea sur un petit lichen fermement agrippé au flanc d’une languette de basalte et remonta vertigineusement pour cadrer, en gros plan, une énorme boule menaçante qui semblait occuper la presque totalité du ciel. Kennedy sentit son estomac se soulever subitement et émit un hoquet de surprise. Peu rassuré, il louchait vers la chose monstrueuse suspendue devant lui, flairant une formidable effervescence sous les nuages gris perle qui l’enveloppaient.

Le commentateur précisa:

— Jupiter était à 650 000 kilomètres environ, au moment où ces images furent prises.

Au grand soulagement de Kennedy, la caméra quitta enfin l’énorme planète pour montrer, pendant cinq longues minutes, un paysage désespérément monotone. De la neige, encore de la neige. Rien que de la neige. Kennedy bâilla, regardant d’un air las les huit cosmonautes en combinaison qui maintenant occupaient l’écran, puis les images tout à fait conventionnelles du vaisseau spatial perché sur un grand rocher et photographié sous tous les angles. Avec une lenteur exaspérante, la caméra montrait maintenant les contours d’un lac de paraffine. Dédaignant les explications du commentateur, Kennedy, furieux, pensait: «Ça! Un documentaire étonnant! Dinoli se fout du monde. Faut toujours qu’il cherche à épater les gens. On sait, depuis longtemps, qu’il n’y a aucune vie animale sur…»

Il s’interrompit brusquement, sans bien savoir ce qui lui donna l’impression d’avoir reçu un coup violent à l’estomac: l’image qui avait tournoyé à une vitesse vertigineuse? Les créatures vaguement anthropomorphes qui s’étaient fixées sur l’écran, comme par enchantement, ou leurs yeux encapuchonnés dans des plissements de chair grisâtre, donnant un aspect étrange à leurs faces aplaties et sans nez?

La mâchoire décrochée de surprise, Kennedy fixait les êtres aux reins ceints d’un bout d’étoffe qui semblaient le regarder avec une expression inintelligible.

Sur un ton de guide de tourisme blasé, Brewster informa, laconique:

— Les habitants de Ganymède! Ils sont 25 millions répartis sur trois continents!

Médusé, Kennedy souffla:

— Pas possible!

Pendant cinq bonnes minutes, il crut que son cerveau alourdi par le cauchemar de la veille lui jouait des tours. Pourtant la boule qui, maintenant, lui nouait la gorge était réelle; aussi réelle que la voix sonore du commentateur qui disait sur un ton égaclass="underline"

— Les Ganys sont des «peuples» primitifs. Ils vivent dans des igloos, parlent une langue agglutinante, faite de grognements…

Kennedy n’écoutait plus. L’instant de surprise passé, il regardait froidement les quatre faces figées sur l’écran en se demandant où Dinoli voulait en venir. Il pensait: «O.K., pour le public, ce sera certainement une révélation de choc. On aura mis fin au nombrilisme débile de l’humanité persuadée qu’il n’y a que l’homme dans l’univers. Parfait! Et après?»

Le commentateur poursuivait:

— La société gany fonctionne sur le mode clanique, avec des rivalités tribales très prononcées. Les Ganys ne semblent éprouver ni crainte, ni sympathie pour nous. Le rapport de notre géologue indique que Ganymède est exceptionnellement riche en minerais radioactifs.

La projection se termina brutalement sur cette phrase apparemment sans rapport avec le reste. Elle frappa pourtant l’oreille de Kennedy très sensible à tout ce qui semblait tomber comme un cheveu sur la soupe. En moins de deux minutes, la salle avait retrouvé son aspect antérieur. Mais les collaborateurs de Dinoli, eux, n’étaient plus tout à fait les mêmes. Perplexes, ahuris, ils attendaient visiblement une explication. Dinoli leur adressa un sourire amusé, et se tournant vers Hubbeclass="underline"

— Eclairez mes hommes sur le sens de cette projection, je vous prie. Je crains qu’ils n’aient rien compris.

Le chargé de liaison toussota ostensiblement et expliqua sur un ton professoraclass="underline"

— Vous venez de voir des extra-terrestres vivant sur une lune ayant la dimension d’un planétoïde. Comme on vous l’a dit, Ganymède regorge de minerais radioactifs. Or, la société que nous représentons a englouti des milliards dans la fabrication et le lancement de vaisseaux dans l’espace. Ce sont des expériences prohibitives. Il est donc normal que nous essayions de rentrer dans nos débours en exploitant les richesses du sous-sol gany. Ce que nous ferons en tant que signataire de la Charte des Nations Unies. N’est-ce pas, Partridge?

Le deuxième chargé de liaison sembla se réveiller à cet instant. D’une voix traînante, il enchaîna, avec une moue dubitative:

— Il y a toutefois un hic: il se pourrait que nous ayons du mal à convaincre les ganys de nous laisser exploiter ces richesses…

Kennedy murmura:

— C’est donc ça! On va certainement nous demander de faire une campagne percutante pour séduire des extra-terrestres!

Il sourit à cette idée. Se tourna vers Dinoli qui venait d’interrompre son client pour déclarer sur le ton de quelqu’un qui liquide une petite affaire: