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Le pistolet s’était enrayé ! Apparemment, l’arme d’apparat de l’amiral n’avait pas apprécié ces années d’abandon dans un placard poussiéreux. Même cet ultime acte de lâcheté lui était refusé !

De fureur, il avait jeté le pistolet contre le mur. Cette fois le coup était parti. Quelque chose de chaud lui avait traversé le mollet. Du fond de ses brumes éthyliques, il avait senti un éclair de douleur le transpercer. Il s’était effondré en hurlant.

Alertés par ses cris, les voisins avaient tambouriné à sa porte, des sirènes avaient résonné, et Ávila s’était retrouvé aux urgences à tenter d’expliquer comment, en essayant de se tuer, il s’était tiré dans la jambe.

Le lendemain matin, alors qu’il se réveillait dans sa chambre d’hôpital, meurtri et contrit, l’amiral Luis Ávila avait reçu une visite.

— Vous rateriez une vache dans un couloir ! avait plaisanté un jeune homme en espagnol. Pas étonnant qu’ils vous aient mis à la retraite.

Avant qu’Ávila ait eu le temps de répliquer, l’inconnu avait ouvert les doubles rideaux pour laisser entrer la lumière. Clignant des yeux, Ávila avait vu un garçon musclé, aux cheveux coupés en brosse. Il portait un tee-shirt avec le visage du Christ dessus.

— Je m’appelle Marco, s’était-il présenté avec un accent andalou. Je suis votre kiné. J’ai demandé à vous avoir comme patient parce que nous avons quelque chose en commun.

— L’armée ?

— Non. (Le garçon avait regardé fixement Ávila.) J’étais là, le dimanche matin. Dans la cathédrale. Lors de l’attentat.

Ávila n’en était pas revenu.

Marco avait relevé une de ses jambes de pantalon, dévoilant une prothèse.

— Je sais que vous avez traversé l’enfer, mais moi je jouais au football et j’allais passer pro, alors n’attendez pas trop que je m’apitoie sur votre sort. Je suis plus du genre : aide-toi, le ciel t’aidera !

Sans lui laisser le temps de réagir, il avait soulevé Ávila, l’avait installé dans un fauteuil roulant et emmené à la salle de gym.

— Cela va faire mal, l’avait-il prévenu en l’installant entre deux barres parallèles. Mais essayez d’atteindre l’autre bout. Juste une fois. Et on ira déjeuner ensuite.

La douleur avait été insupportable, mais Ávila refusait de se plaindre devant quelqu’un qui n’avait plus qu’une seule jambe. À la force de ses bras, il était parvenu à avancer jusqu’au bout des barres.

— C’est bien, avait déclaré Marco. Maintenant, le retour.

— Mais vous aviez dit…

— Je sais. J’ai menti.

Ávila lui avait lancé un regard noir. L’amiral n’avait plus reçu d’ordre depuis des années, pourtant, curieusement, cela avait eu quelque chose de revigorant — comme s’il avait rajeuni pour redevenir le cadet d’antan. Alors Ávila avait obéi.

— Dites-moi, avait dit Marco. Vous êtes retourné à la messe à la cathédrale ?

— Jamais.

— Vous avez peur ?

Ávila avait secoué la tête.

— Juste de la colère.

— Les bonnes sœurs vous ont demandé de pardonner, c’est ça ?

Ávila s’était arrêté au milieu des barres.

— Exactement !

— Moi aussi. J’ai essayé. Impossible ! Les nonnes sont de très mauvaises psychologues !

Ávila avait regardé le tee-shirt du jeune homme ; le visage de Jésus.

— Mais vous paraissez…

— Oh oui ! Un chrétien pur jus. Et je le suis encore plus aujourd’hui. Heureusement, j’ai trouvé ma mission sur terre. Aider les victimes des ennemis de Dieu.

— Une noble cause, avait conclu Ávila qui se sentait à la dérive sans l’armée, sans famille.

— Un grand homme m’a ramené à Dieu. Et cet homme, c’était le pape. Je l’ai rencontré en personne plusieurs fois.

— Le pape ?

— Oui.

— Le souverain pontife ?

— Lui-même. Si vous voulez, je vous arrangerai une audience.

— Une audience… avec le pape ?

Marco à force s’était vexé.

— Je sais que vous êtes un officier supérieur de la marine et que vous ne pouvez vous imaginer qu’un petit kiné handicapé de Séville puisse rencontrer le Vicaire de Jésus-Christ, mais je vous dis la vérité. Je vous aurai un rendez-vous avec le pape et il vous aidera à retrouver le droit chemin, tout comme il l’a fait pour moi.

Ávila n’avait su que répondre.

Il admirait le pape d’alors — un traditionaliste orthodoxe. Malheureusement, celui-ci était attaqué et critiqué de toutes parts. On disait que, sous la pression du modernisme, il allait se retirer.

— Je serais honoré de le rencontrer bien sûr, mais…

— Parfait. Je vous organise ça pour demain.

Ávila n’aurait jamais imaginé se retrouver le lendemain, dans un sanctuaire sous haute protection, face à un pontife inflexible qui lui enseignerait les deux préceptes fondateurs de sa nouvelle vie :

Les voies du salut sont innombrables.

Le pardon n’est pas le seul chemin.

37.

Située au rez-de-chaussée du Palais, la bibliothèque royale est une suite fastueuse de pièces renfermant des ouvrages inestimables, dont le livre d’heures enluminé de la reine Isabelle, les bibles personnelles de plusieurs rois, un ancien codex datant du XIVe siècle.

Garza arriva à grands pas, redoutant de laisser trop longtemps le prince seul avec Valdespino. L’archevêque avait rencontré Kirsch et ne l’avait pas dit. Et ce, malgré la présentation de ce soir et le meurtre.

Le commandant retrouva Mónica Martín qui l’attendait dans un coin sombre de la bibliothèque, sa tablette allumée à la main.

— Je sais que vous êtes très occupé, commandant Garza, mais la situation est critique. Je voulais vous parler d’un e-mail qu’on a reçu. Provenant de ConspiracyNet.com.

— C’est quoi, au juste ?

— Un site spécialisé dans les théories du complot. Le travail d’enquête est inexistant et c’est écrit avec les pieds, mais ils ont des millions d’abonnés. Pour moi, ce sont juste des relayeurs de fausses informations, mais ce site est très respecté dans son domaine.

Pour Garza, « respect » et « théorie du complot » étaient deux notions antinomiques.

— Ils suivent de près l’affaire Kirsch. Je ne sais pas d’où ils tirent leurs informations, mais le site est devenu une référence pour les blogueurs. Même les médias classiques y vont à la pêche aux infos.

— Venez-en au fait.

— ConspiracyNet.com a une info liée au Palais, expliqua Mónica en remontant ses lunettes sur son nez. Il vont la diffuser dans dix minutes et veulent nous laisser une chance de faire un communiqué avant.

Garza lui lança un regard glacial.

— Le Palais ne collabore pas avec la presse à scandale !

— Regardez quand même, insista-t-elle en lui tendant la tablette.

Sur l’écran, il y avait la photo de l’amiral Luis Ávila. Le cadrage était décentré, comme si la photo avait été prise par un visiteur du musée et qu’Ávila se fût trouvé accidentellement dans le champ.

— Je sais à quoi ressemble le tueur, répliqua Garza pressé de retrouver le prince. Quel intérêt de me montrer ça ?

— Passez à la photo suivante.

L’autre cliché était un agrandissement qui cadrait la main droite de l’amiral. Garza remarqua aussitôt le tatouage dans la paume.