— Si vous n’êtes pas déjà devant la télévision, annonça Winston, je vous conseille d’en trouver une.
— On a vu. C’est terrible.
— Il faut ramener l’avion à Barcelone, annonça Winston, avec un calme surprenant. Préparez le vol. Je vous rappelle sous peu. Mais ne décollez pas avant que je vous aie recontacté.
Siegel ne savait pas si le patron aurait été d’accord mais pour le moment, il était content que quelqu’un prenne les choses en main.
Les deux pilotes s’occupèrent du plan de vol pour Barcelone avec zéro passager. Ils rentraient à vide, comme on disait dans le métier. Il chassa ses sombres pensées, sortit l’avion du hangar et commença la check-list.
Il se passa une demi-heure avant que Winston ne le rappelle.
— Vous êtes prêts ?
— Affirmatif.
— Parfait. Vous décollez plein est, comme d’habitude ?
— Exact.
Winston était si bien informé que c’en devenait agaçant.
— Prévenez la tour de contrôle et demandez-leur l’autorisation de décollage. Ensuite dirigez-vous jusqu’à l’entrée de la piste, mais ne vous engagez pas dessus.
— Vous voulez que je m’arrête sur la voie d’accès ?
— Oui. Juste une minute. Prévenez-moi dès que vous y serez.
Siegel et son copilote échangèrent un coup d’œil étonné.
Je ne suis pas sûr que la tour va apprécier, se dit le commandant de bord.
Toutefois, il fit rouler le jet sur le tarmac jusqu’à l’extrémité ouest de l’aéroport. Il lui restait encore cent mètres à parcourir avant d’entrer en piste, par un virage à cent quatre-vingts degrés à droite.
— Winston ? lança Siegel en scrutant la clôture qui délimitait le périmètre. On arrive à la piste.
— Arrêtez-vous. Je reviens tout de suite.
Mais je ne peux pas rester là indéfiniment ! pesta intérieurement Siegel.
Heureusement, aucun avion n’attendait derrière le Gulfstream. Il ne bloquait pas le trafic. Les seules lumières visibles étaient celles de la tour de contrôle, une faible lueur à l’autre bout du terrain, à près de deux kilomètres de là.
Une minute s’écoula.
— Ici, le contrôle aérien, annonça une voix dans les écouteurs du pilote. EC346, vous êtes autorisé à décoller. Je répète : vous êtes autorisé à décoller.
Siegel ne demandait que ça. Hélas, il attendait le feu vert de l’assistant du boss.
— Merci, tour de contrôle. On reste là une petite minute. Un voyant d’alerte vient de s’allumer. On vérifie ce que c’est.
— Bien reçu ! Prévenez-moi quand vous serez prêt.
39.
— Ici ? s’étonna le pilote du bateau. Mais l’aéroport est plus loin. Je peux vous rapprocher davantage.
— Merci, c’est parfait comme ça, répondit Langdon suivant scrupuleusement les consignes de Winston.
L’homme haussa les épaules et s’approcha d’un petit pont. Un panneau indiquait Puerto Bidea. La berge était couverte de hautes herbes mais accessible. Ambra sautait déjà à terre et gravissait la pente.
— Combien je vous dois ? s’enquit Langdon.
— Rien. Votre majordome a déjà payé. Par carte. Le triple.
Évidemment ! songea Langdon qui n’était pas encore habitué à l’efficacité de l’assistant numérique d’Edmond. C’est comme Siri, en version bodybuildée.
L’intelligence artificielle avait fait de tels progrès que ces machines pouvaient désormais accomplir des tâches complexes, y compris écrire des romans. L’un de ces robots avait failli recevoir un prix littéraire au Japon !
Langdon remercia le pilote et sauta à son tour à terre. Avant de s’éloigner, il se retourna et posa son index sur ses lèvres.
— Discreción, por favor.
— Sí, sí, lui assura l’homme en se cachant les yeux. ¡ No he visto nada !
Langdon escalada à son tour la berge, traversa une voie ferrée et rejoignit Ambra à l’orée d’un village endormi.
— D’après la carte, annonça Winston, vous devriez apercevoir un rond-point.
— Vu, dit Ambra.
— Parfait. Juste en face vous trouverez une rue, la Beilke Bidea. Suivez-la.
Deux minutes plus tard, Langdon et Ambra avaient quitté le village et marchaient sur une route de campagne, flanquée de fermes et de pâtures. Sur leur droite, très loin, derrière une petite colline, le ciel était éclairé.
— Si ce sont les lumières de l’aéroport, s’inquiéta-t-il, nous en sommes très loin.
— Le terminal est à trois kilomètres de votre position, répondit Winston.
Ambra et Langdon échangèrent un regard inquiet. Winston leur avait indiqué que la marche ne durerait que huit minutes.
— D’après les images satellites, continua Winston, vous devriez avoir un champ sur votre droite. Il vous semble praticable ?
Le pré montait en pente douce vers les lumières.
— Oui. Mais trois kilomètres, je pense que…
— Contentez-vous de marcher, professeur.
Même si le ton de Winston était resté aussi poli qu’auparavant, Langdon venait bel et bien de se faire sermonner.
— Bravo ! railla Ambra en s’élançant sur la colline. Maintenant, vous nous l’avez énervé !
— EC346, ici la tour de contrôle, s’impatienta une voix dans les écouteurs de Siegel. Soit vous entrez en piste, soit vous retournez aux hangars pour réparer. Où en êtes-vous ?
— On est dessus, mentit Siegel en surveillant la caméra arrière. (Toujours aucun avion.) Encore une minute, et on est prêts.
— Roger ! Tenez-nous au courant.
Le copilote tapota l’épaule du commandant de bord et désigna quelque chose dehors. Siegel ne vit tout d’abord que la clôture bordant le terrain. Et soudain…
Qu’est-ce que c’était que ça ?
Deux silhouettes sortaient de l’ombre, descendaient la colline derrière le grillage et se dirigeaient droit vers l’avion. À mesure de leur avancée, Siegel reconnut l’écharpe noire en travers de la robe blanche. Il l’avait vue à la télé.
Ambra Vidal ?
La jeune femme avait de temps en temps pris l’avion avec Kirsch. Siegel se sentit troublé à la seule idée d’avoir cette beauté à bord. Qu’est-ce qu’elle fichait dans un pré en pleine nuit ?
Un grand type en queue-de-pie l’accompagnait. Lui aussi avait fait partie du spectacle.
Le professeur américain !
Winston revint en ligne :
— Commandant, vous devriez voir à présent deux personnes de l’autre côté de la clôture. Et vous les avez sans doute déjà reconnues.
Décidément, le flegme britannique de ce gars le surprendrait toujours.
— Je vous donnerai des explications plus tard, ajouta Winston. Pour l’heure, je vous demande de me faire confiance. Tout ce qu’il vous faut savoir, c’est que les gens qui ont assassiné M. Kirsch veulent à présent tuer Ambra Vidal et Robert Langdon. Pour assurer leur sécurité, j’ai besoin de votre entière coopération.
— Euh… bien sûr, bredouilla Siegel.
— Mlle Vidal et le professeur Langdon doivent monter à bord. Sur-le-champ.
— Ici ?
— Je sais que cela pose quelques problèmes techniques ; votre plan de vol ne…