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— Il fait trois mètres de haut, le problème technique !

— Je le sais, répondit Winston toujours aussi calme. Commandant, nous travaillons ensemble depuis plusieurs mois. N’ayez crainte, je vais vous indiquer la marche à suivre. Et croyez-moi, à ma place, M. Kirsch vous aurait demandé exactement la même chose.

Siegel écouta les instructions de Winston.

— C’est de la folie !

— Pas du tout. C’est parfaitement faisable. La poussée de chaque moteur est de sept tonnes et le nez du jet est conçu pour résister à des pressions…

— Ce n’est pas la physique qui m’inquiète, mais la légalité. Je n’ai aucune envie de perdre ma licence !

— Je comprends bien, commandant, répliqua Winston d’un ton égal. Mais la future reine est en grand danger. Vous lui sauvez la vie. Quand on saura la vérité, vous n’aurez aucune sanction, rassurez-vous. Vous serez décoré de la main du roi !

*

Langdon et Ambra, bloqués dans le pré, contemplaient l’immense clôture, illuminée par les phares du jet.

À la demande de Winston, ils s’écartèrent au moment où les moteurs de l’avion montaient en régime. Le jet commença à avancer. Mais, au lieu de négocier le virage de la rampe d’accès, il alla tout droit, franchit les marquages jaunes au sol et poursuivit sa route sur le bitume. Il ralentit pour s’approcher doucement du grillage.

Le nez de l’avion pointait sur l’un des poteaux qui maintenaient la clôture. Quand il y eut contact, les moteurs accélérèrent légèrement.

Langdon s’attendait à voir la structure résister davantage, mais, apparemment, rien n’arrêtait deux moteurs Rolls-Royce déplaçant un jet de quarante tonnes. Dans un grincement de métal, le poteau céda, arrachant dans sa chute un moellon d’asphalte, à la manière d’un arbre déraciné emportant avec lui sa motte de terre.

Langdon s’empressa de plaquer les mailles du grillage au sol pour qu’Ambra puisse passer dans l’ouverture. Le temps qu’ils atteignent le tarmac, la passerelle du jet avait été déployée et un pilote en uniforme leur faisait signe de monter à bord.

Ambra adressa un large sourire à Langdon.

— Vous doutez encore des compétences de Winston ?

Langdon garda le silence.

À peine étaient-ils installés dans la cabine confortable, que Langdon entendit le commandant de bord en conversation avec la tour de contrôle.

— Oui. Je vous entends. Votre radar doit être déréglé. Nous n’avons pas quitté la rampe d’accès. Je répète : nous sommes toujours sur la rampe. Et nous n’avons plus aucun voyant d’alerte. Tout est au vert. Nous sommes parés au décollage.

Le copilote ferma la porte alors que les moteurs montaient en régime, faisant reculer l’avion. Puis le jet amorça son demi-tour pour se présenter sur la piste.

Assis en face d’Ambra, Langdon ferma les yeux, et poussa un long soupir de soulagement. Les moteurs rugirent et il sentit la poussée le coller au siège.

Quelques secondes plus tard, le Gulfstream s’élevait dans la nuit, et virait aussitôt au sud-est, direction Barcelone.

40.

Le rabbin Yehouda Köves quitta son bureau au fond du jardin, et sortit dans la rue.

Je ne suis plus en sécurité chez moi ! se dit le vieux rabbin, son cœur battant la chamade. Je dois aller à la synagogue.

La synagogue de la rue Dohány n’était pas seulement son précieux sanctuaire, c’était également une forteresse. Ses grilles, ses barbelés et ses gardes présents vingt-quatre heures sur vingt-quatre attestaient du lourd passé antisémite de Budapest. Ce soir, Köves était bien content d’avoir les clés d’une telle citadelle.

La synagogue était juste à quinze minutes à pied de sa maison — une promenade tranquille qu’il accomplissait tous les jours. Mais ce soir, alors qu’il s’engageait dans la rue Kossuth Lajos, il était terrorisé. Tête baissée, il surveillait toutes les ombres.

Presque aussitôt, quelque chose l’inquiéta.

Une silhouette sur un banc. Un homme costaud, portant un jean et une casquette, était penché sur son téléphone qui illuminait son visage barbu.

Il n’est pas du quartier, se dit Köves en pressant le pas.

L’inconnu releva la tête, regarda un moment le rabbin puis retourna à son écran. Passé un pâté de maisons, Köves jeta un coup d’œil derrière lui. L’homme n’était plus sur son banc. Il avait traversé la rue et marchait sur le trottoir d’en face.

Il me suit !

Le vieux rabbin accéléra le pas, le souffle court. Avait-il bien fait de quitter sa maison ?

Valdespino lui avait demandé de rester chez lui ! À qui pouvait-il faire confiance ?

Köves comptait attendre l’arrivée des hommes de l’archevêque pour qu’ils l’emmènent à Madrid, mais cet appel avait tout changé. Les graines du doute avaient été semées.

La femme au téléphone l’avait mis en garde : les hommes qu’envoie l’archevêque ne viennent pas vous chercher, mais vous éliminer — comme ils ont éliminé Syed al-Fadl ! Puis elle lui avait présenté des preuves irréfutables, si bien que Köves avait paniqué.

Et maintenant, il se hâtait sur le trottoir. Arriverait-il sans encombre jusqu’à la synagogue ? L’homme à la casquette le suivait toujours, à une quinzaine de mètres.

Un grincement strident retentit dans la nuit. Le rabbin sursauta, mais ce n’était que le bus qui s’arrêtait un peu plus loin dans un couinement de freins. Un signe de Dieu ! Il se précipita. Le bus était bondé d’étudiants bruyants. Deux d’entre eux se levèrent pour lui offrir leur siège à l’avant.

— Köszönöm, répondit le rabbin. Merci.

Hélas, le type à la casquette parvint à monter à bord avant que l’autobus ne quitte l’arrêt.

Köves se raidit, mais l’homme passa sans lui accorder un regard et alla s’installer à l’arrière. Dans le reflet du pare-brise, il vit l’inconnu s’intéresser de nouveau à son téléphone. Il paraissait jouer à un jeu.

Ne sois pas paranoïaque !

Quand le bus approcha de l’arrêt dans la rue Dohány, Köves contempla les tours de la synagogue quelques centaines de mètres plus loin. Il hésitait.

S’il descendait et que l’homme le suivait ?

Köves resta sur son siège, jugeant qu’il était plus en sécurité au milieu de cette foule. Je vais rester là un moment, le temps de reprendre mon souffle, songea-t-il. Pourquoi n’était-il pas allé aux toilettes avant de quitter sa maison ?

Mais au moment où le bus quittait la rue Dohány, le rabbin comprit que son plan avait une énorme faille.

On était samedi soir !

Tous les jeunes allaient descendre au prochain arrêt, en plein cœur du quartier juif.

Après la Seconde Guerre mondiale, ces rues avaient été laissées à l’abandon, mais les bâtiments délabrés étaient devenus le haut lieu des bars branchés, les fameux romkocsmas. Tous les week-ends, des flots de jeunes et de touristes venaient faire la fête dans des entrepôts et des immeubles en ruine, où fleurissaient sonos dernier cri, éclairages multicolores et décorations vintage.

Comme prévu, tous les étudiants descendirent à l’arrêt suivant. L’homme resta assis au fond, captivé par son jeu. Köves se leva d’un bond, et rejoignit les jeunes dehors.

Le bus avait déjà redémarré quand il s’immobilisa brusquement. Les portes s’ouvrirent dans un chuintement pour libérer un dernier passager : l’homme à la casquette ! Köves sentit son pouls s’emballer une fois de plus. Mais l’homme tourna le dos à la foule et s’éloigna dans le sens opposé, en passant un coup de téléphone.