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Il s’engagea sur la coursive en se cramponnant à la rambarde. Tandis qu’il progressait, il contempla la foule en contrebas.

Soudain, Köves s’arrêta net. Son sang se glaça.

L’homme à la casquette était là, dans la cour ! Leurs regards se croisèrent brièvement puis, avec la vivacité d’un félin, l’inconnu se fraya un chemin dans la cohue des clients pour foncer vers l’escalier.

*

L’assassin gravit les marches quatre à quatre, en scrutant tous les visages qu’il croisait. Il connaissait bien le Szimpla Kert et il rejoignit rapidement la passerelle où se tenait sa cible un instant plus tôt.

Le rabbin avait disparu.

Il ne l’avait pas croisé. Ce qui signifiait que le vieil homme s’était enfoncé plus profond dans le bâtiment.

En apercevant le couloir devant lui, il eut un sourire. Il savait exactement où le rabbin était allé.

Le couloir était bondé et empestait l’urine. Au fond, il y avait une porte en bois de guingois.

Le tueur fendit la foule et cogna à la porte.

Silence.

Il frappa encore.

Une voix grommela que l’endroit était occupé.

— Bocsásson meg ! s’excusa le tueur.

Il fit mine de s’en aller puis revint discrètement et colla son oreille au battant. De l’autre côté, il entendit le rabbin marmonner en hongrois :

— Quelqu’un veut me tuer ! Il était devant chez moi. Et maintenant je suis coincé au Szimpla Kert ! Je vous en prie, venez m’aider !

Apparemment, il appelait les secours. La police hongroise était d’une lenteur légendaire mais mieux valait être prudent.

S’assurant que personne ne le regardait, l’homme à la casquette régla son mouvement sur le rythme de la musique et enfonça la porte.

Le petit verrou céda dès la première tentative. La porte s’ouvrit à la volée. Le tueur entra, referma aussitôt le battant pour faire face à sa proie.

Terrifié, le vieil homme s’était réfugié dans un coin.

L’inconnu à la casquette prit le téléphone, coupa la communication et jeta l’appareil dans la cuvette des toilettes.

— Qui vous envoie ? bégaya le rabbin.

— Ce qu’il y a de bien dans mon secteur d’activité, c’est qu’on n’en sait jamais rien.

Le vieillard avait du mal à respirer, il suait à grosses gouttes. Soudain, il hoqueta, écarquilla les yeux en se tenant la poitrine.

Une crise cardiaque ? Vraiment ?

Le rabbin s’effondra sur le carrelage en se tordant de douleur. Il implora le tueur du regard, le visage cramoisi, ses mains crispées sur son torse. Finalement, il s’écroula face contre le sol, le corps traversé de spasmes. Sa vessie lâcha et une flaque d’urine s’étala entre ses jambes.

Köves ne bougeait plus.

L’homme s’accroupit et tendit l’oreille. Plus de respiration.

Il se releva, un sourire sardonique aux lèvres.

— Tu me facilites la tâche, dit-il. Merci.

Et il se dirigea vers la porte.

*

Ses poumons demandaient grâce !

Le rabbin venait d’interpréter le plus grand rôle de sa vie.

Au bord de l’évanouissement, il écouta sans bouger les pas du tueur s’éloigner. La porte des toilettes s’ouvrit et se referma.

Enfin le silence.

Köves attendit encore deux secondes pour être sûr que son assaillant ne pouvait plus l’entendre. N’en pouvant plus, il reprit une bouffée d’air. Ce fut comme si la vie entrait à nouveau en lui. Même putride, l’air des toilettes lui parut une bénédiction.

Lentement, le rabbin rouvrit les yeux. Il voyait trouble à cause de l’hypoxie. Il se releva. La tête lui tournait. Peu à peu, sa vision s’éclaircit. À sa grande surprise, il distingua une silhouette sombre adossée à la porte.

L’homme à la casquette lui souriait.

Il n’avait jamais quitté la pièce !

En deux pas, le tueur fut sur lui. Sa main se referma sur sa nuque et lui plaqua le visage au sol.

— Tu peux empêcher tes poumons de respirer, mais pas ton cœur de battre. (L’homme ricana.) T’inquiète, je vais arranger ça.

L’instant suivant, une aiguille s’enfonçait dans le cou du rabbin. Une onde de feu monta dans sa gorge et déferla dans son crâne. Cette fois, il s’agissait d’une vraie crise cardiaque.

Après avoir consacré sa vie à étudier les mystères des Shamayim — la demeure de Dieu et des justes —, toutes les réponses allaient enfin lui être révélées. Elles étaient toutes proches, à un battement de cœur.

44.

Seule dans les toilettes cossues du Gulfstream, Ambra Vidal passait de l’eau sur ses mains et regardait son visage dans la glace. Elle se reconnaissait à peine.

Qu’est-ce que j’ai fait ?

Elle but une nouvelle gorgée de vin. Elle regrettait sa vie d’avant, juste quelques mois plus tôt. Quand elle n’était personne, qu’elle était célibataire et se consacrait exclusivement à son travail. Mais tout cela était du passé. Tout avait disparu quand elle avait rencontré Julián.

Non. Quand elle lui avait dit « oui ».

La mort d’Edmond la torturait. Et maintenant, elle en mesurait les conséquences.

J’ai fait entrer l’assassin.

Quelqu’un au Palais royal l’avait dupée.

Et maintenant, elle en savait trop.

Rien ne prouvait que le prince fût derrière le meurtre, ni même qu’il ait été au courant du complot. Mais elle savait comment cela se passait au Palais. Rien ne se faisait sans sa bénédiction, sinon son accord.

J’en ai trop dit à Julián !

Ces dernières semaines, Ambra s’était sentie obligée de justifier ses moindres absences auprès de son fiancé. Elle lui avait révélé les détails de la présentation d’Edmond. Et sa franchise avait mené à ce désastre.

Elle ferma le robinet, sécha ses mains, attrapa son verre et avala les dernières gouttes. Dans le miroir, elle voyait une inconnue — où était passée la directrice de musée si sûre d’elle ? Tout ce qu’elle distinguait à présent, c’était le regret, le remords.

J’ai commis tant d’erreurs…

Aurait-elle pu agir différemment ? Quatre mois plus tôt, par un soir pluvieux à Madrid, elle assistait à un gala de bienfaisance au Reina Sofía, le musée d’art moderne…

La plupart des invités avaient migré dans la salle 206.06 pour admirer la plus belle pièce du musée : Guernica. Sur une toile de près de huit mètres de longueur, Picasso évoquait le bombardement de cette petite ville basque pendant la Guerre civile. Cette peinture mettait mal à l’aise Ambra. Elle était un rappel trop douloureux de la répression du régime franquiste entre 1939 et 1975.

Elle avait donc choisi de s’isoler et d’aller voir au calme l’une de ses peintres préférées, Maruja Mallo — une surréaliste de Galice dont le succès dans les années trente avait permis de briser le plafond de verre qui écrasait les artistes espagnoles.

Ambra était toute seule devant La Verbena, une satire politique d’un symbolisme complexe, quand une voix grave avait déclaré derrière elle :

— Es casi tan guapa como tú. C’est presque aussi beau que vous.