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L’audace de Gaudí avait toujours émerveillé Langdon, en particulier la Sagrada Família, un projet à la démesure de son créateur qui était encore en construction cent quarante ans après le début du chantier.

L’image satellite du Park Güell lui rappelait bien des souvenirs : sa première visite dans ces jardins, alors qu’il était alors encore étudiant. Le premier choc. Une plongée dans un pays des merveilles… des allées sinuant sur des colonnes en forme de troncs d’arbre, des grottes, des myriades de bancs sinueux, des îlots-fontaines ressemblant à des dragons et des poissons, un mur blanc ondulant aux formes si fluides qu’on aurait dit le flagelle d’une créature unicellulaire.

— Edmond admirait Gaudí, poursuivit Winston. En particulier sa conception de la nature comme art organique.

À nouveau Langdon pensa à la découverte de son ami. La nature. La biologie. La création. Il songea à ses célèbres panots — ces carreaux hexagonaux que Gaudí avait conçus pour couvrir les trottoirs de la ville. Chaque carreau avait le même motif, des arabesques aléatoires ; et, une fois assemblé dans le bon sens, le carrelage formait une image saisissante : un paysage sous-marin, un méli-mélo de plancton, de bactéries et de plantes — La Sopa primordial, comme l’appelaient les locaux.

La soupe primordiale de Gaudí… Barcelone et Edmond avaient finalement la même passion pour l’origine de la vie. Selon la théorie scientifique en vigueur, la vie sur terre était apparue dans cette « soupe » — les embryons d’océans où les volcans déversaient leurs minéraux, battus par les tempêtes et les éclairs… Et brusquement, comme des golems microscopiques, la première cellule vivante avait été créée.

— Ambra… vous êtes directrice de musée. Vous devez avoir souvent discuté art avec Edmond. Vous a-t-il parlé en détail de l’influence qu’a eue Gaudí sur lui ?

— Juste ce que Winston a mentionné. Que ses constructions semblaient avoir été créées par la nature elle-même. Ses grottes semblaient sculptées par le vent et la pluie, ses piliers avoir poussé du sol, et ses céramiques être le bouillonnement de la vie des premiers âges. En tout cas, il a très bien pu venir ici juste pour Gaudí.

Langdon la regarda surpris. Kirsch avait des maisons aux quatre coins de la planète, mais s’était installé récemment sur la péninsule Ibérique.

— Edmond serait venu en Espagne à cause de Gaudí ?

— Je crois, oui. Je lui ai posé une fois la question. Pourquoi Barcelone ? Et il m’a expliqué qu’il avait eu une opportunité exceptionnelle, celle de louer un appartement comme il n’en existe nul autre ailleurs.

— Ah oui ? Et où se trouve cette perle rare ?

— À la Casa Milà.

Langdon écarquilla les yeux.

— Edmond habite la Casa Milà ?

— La seule et l’unique ! L’année dernière, il a loué tout le dernier étage pour s’y installer.

La Casa Milà était l’une des constructions les plus célèbres de Gaudí. Un immeuble au design unique ; avec ses alvéoles et ses balcons sinueux, il ressemblait au flanc d’une montagne creusée par les intempéries. D’ailleurs on lui avait donné un surnom, « La Pedrera », la carrière.

— Je croyais qu’il y avait un musée au dernier étage ?

— Certes, répondit Winston. Mais Edmond a fait une coquette donation à l’Unesco. Et ils ont accepté de le lui céder pour deux ans. Après tout, à Barcelone, des œuvres de Gaudí, il y en a à tous les coins de rue.

Edmond habitait dans un musée ? Pour deux ans ? Langdon n’en revenait pas.

— Edmond a financé une vidéo de présentation sur la Casa Milà, intervint Winston de sa voix mélodieuse. Ça vaut le coup d’œil.

— C’est vrai, confirma Ambra. C’est impressionnant. (Ambra se pencha sur l’écran et entra : lapedrera.com.) Regardez ça.

— Je ne sais pas si vous avez remarqué mais je suis en train de conduire.

Ambra tendit le bras vers la colonne de direction et tira deux fois sur une petite manette. Langdon sentit le volant se raidir. La voiture avait pris les commandes, et restait parfaitement sur sa voie.

— Elle a l’option Autopilot.

L’effet était troublant. Langdon ne pouvait s’empêcher de garder ses mains à quelques centimètres du volant et son pied au-dessus de la pédale de frein.

— Détendez-vous ! (Ambra lui tapota l’épaule.) C’est bien plus fiable qu’un conducteur humain.

Guère rassuré, Langdon posa lentement ses mains sur ses cuisses.

— Vous voyez, tout va bien… Maintenant, regardez donc.

La vidéo s’ouvrait sur le plan d’un océan filmé au ralenti, comme pris d’un hélicoptère volant au ras des vagues. Au loin, se profilait une île — des falaises abruptes s’élevaient à des centaines de mètres de hauteur.

Un texte apparut :

La Pedrera n’a pas été créée par Gaudí.

Durant les trente secondes suivantes, les rouleaux se mirent à sculpter la montagne, lui donnant peu à peu les formes de la Casa Milà. Puis les eaux furieuses entrèrent dans la roche, pour creuser des cavités, de grandes salles, puis des cataractes façonnèrent des escaliers, des lianes poussèrent pour former des balustrades contournées, puis la mousse vint recouvrir le sol, les parois.

Finalement, la caméra s’éloigna sur l’océan pour révéler la Casa Milà dans son entier, « la carrière » creusée dans la montagne.

La Pedrera
Un chef-d’œuvre de la nature

Edmond avait, indubitablement, le sens du spectacle. Ce clip en images de synthèse donna à Langdon l’envie de revoir ce bâtiment en vrai.

Il reporta son attention sur la route et désactiva l’Autopilot.

— Espérons qu’on trouvera là-bas ce qu’on cherche.

50.

Le commandant Diego Garza, accompagné de quatre gardes, traversa la Plaza de la Armería, tête haute, regard fixe, ignorant la meute de journalistes qui se pressaient aux grilles. Toutes les caméras étaient braquées sur lui.

Au moins, ils vont voir que ça bouge au Palais ! se dit-il.

Quand il arriva avec son équipe devant la cathédrale, il trouva porte close, ce qui n’avait rien d’extraordinaire à cette heure. Il tambourina avec la crosse de son pistolet au battant.

Pas de réponse.

Garza continua à cogner.

Enfin, quelqu’un tira les verrous et la porte s’ouvrit sur une femme de ménage. Elle pâlit en découvrant les gardes armés.

— Où est l’archevêque Valdespino ?

— Je ne sais pas.

— Il est ici. Avec le prince Julián. Vous les avez vus ?

L’employée secoua la tête.

— Je viens d’arriver. Je nettoie tous les samedis soir après la…

Garza la repoussa et entra avec ses hommes.

— Fermez la porte ! ordonna Garza à la femme. Et ne venez pas vous mettre dans nos pattes.

Il leva son pistolet et se dirigea vers le bureau de Valdespino.

*

Au PC, dans le sous-sol du Palais royal, Mónica Martín se tenait devant la fontaine à eau et tirait une longue bouffée sur sa cigarette. Pour suivre la vague de l’écologiquement correct qui déferlait en Europe, il était désormais interdit de fumer dans les bureaux du Palais, mais avec les événements du soir, s’en griller une était une infraction mineure.