Au PC du sous-sol, Suresh Bhalla suivait la déclaration en direct de Mónica Martín.
Elle n’avait pas l’air contente.
Cinq minutes plus tôt, Mónica Martín avait reçu un appel qu’elle avait pris dans son bureau. Elle avait répondu en chuchotant et consigné des notes. Soixante secondes plus tard, elle avait quitté son bureau, visiblement sous le choc. Sans donner la moindre explication, elle était partie s’adresser à la presse.
Que les faits qu’elle relatait soient exacts ou non, une évidence s’imposait : Robert Langdon était désormais en grand danger.
Qui avait-elle eu au téléphone ? Qui lui avait ordonné de faire ce communiqué ?
L’ordinateur de Suresh bipa. Un message. Suresh reporta son attention sur son écran.
monte@iglesia.org
L’informateur de cette nuit… Le mystérieux contributeur de ConspiracyNet.com. Et voilà qu’il le contactait directement…
Avec méfiance, Suresh s’installa à son clavier et ouvrit le message.
J’ai piraté les messages de Valdespino.
Il détient de dangereux secrets.
Le Palais doit avoir accès à ses SMS.
De toute urgence.
Le cœur battant, Suresh relut le message. Puis l’effaça.
Pendant un long moment, il resta immobile, à réfléchir aux options qu’il avait.
Puis il prit sa décision. Il programma une carte magnétique pour avoir accès aux appartements royaux et sortit discrètement du PC.
55.
Langdon parcourut des yeux les alignements de livres dans la bibliothèque d’Edmond.
Il devait bien y avoir quelque part une section dédiée à la poésie…
L’arrivée de la Guardia à Barcelone compliquait les choses, mais Langdon pensait avoir le temps de finir ce qu’il avait entrepris. Dès qu’il aurait trouvé le vers qu’il cherchait, il leur suffirait de quelques secondes pour entrer le code dans le téléphone d’Edmond et diffuser la présentation dans le monde entier.
Il regarda Ambra qui fouillait les rayonnages sur le mur en face.
— Vous voyez quelque chose ?
— Rien. Que de la science et de la philosophie. Pas de poésie.
— Continuez, on va bien finir par trouver.
Langdon explorait la section histoire, qui abritait d’épais volumes :
PRIVILEGE, PERSECUTION AND PROPHECY : THE CATHOLIC CHURCH IN SPAIN 1875–1975.
BY THE SWORD AND THE CROSS : THE HISTORICAL EVOLUTION OF THE CATHOLIC WORLD MONARCHY.
Ces titres rappelèrent à Langdon le drame qui avait marqué l’enfance de son ami. Quand il lui avait fait remarquer que, pour un athée américain, il semblait obnubilé par l’Espagne et le catholicisme, Edmond lui avait répondu : « Ma mère était espagnole et catholique. Et, bien sûr, rongée par la culpabilité. »
Kirsch lui avait raconté son histoire. Sa mère, Paloma Calvo, était la fille d’ouvriers agricoles de Cadix. À dix-neuf ans, elle était tombée amoureuse d’un professeur d’université de Chicago, Michael Kirsch, qui passait une année sabbatique en Espagne. Elle s’était retrouvée enceinte. Connaissant le destin tragique des filles-mères dans sa communauté catholique, Paloma avait accepté — du bout des lèvres — d’épouser Michael et était rentrée avec lui à Chicago. Peu après la naissance de son fils, Edmond, le mari de Paloma avait été tué, renversé par une voiture alors qu’il rentrait chez lui à bicyclette après les cours.
Castigo divino, avait conclu le père de Paloma. La punition divine.
Les parents avaient refusé que Paloma rentrât à Cadix parce qu’elle aurait apporté la honte dans leur foyer. Au lieu de cela, ils avaient assuré à leur fille que son infortune était le signe de la colère de Dieu, et qu’elle n’accéderait jamais au Paradis si elle ne se dévouait pas corps et âme au Christ pour le restant de ses jours.
Paloma avait alors travaillé comme femme de ménage dans un motel et fait de son mieux pour élever son enfant. La nuit, dans son petit appartement, elle lisait les Évangiles et priait pour son salut, mais son sentiment d’abandon n’avait fait que grandir et, avec lui, la certitude que Dieu ne se satisfaisait pas de sa repentance.
Au bout de cinq années, Paloma, honteuse et terrifiée, avait décidé que la plus belle preuve d’amour qu’elle pouvait donner à son fils était de lui offrir une nouvelle vie, à l’abri de la colère divine. Elle avait donc placé son garçon de cinq ans dans un orphelinat et était retournée en Espagne pour entrer au couvent. Edmond ne la revit plus jamais.
Quand il avait eu dix ans, il avait appris que sa mère était morte, après un jeûne qu’elle s’était imposé. La douleur avait été si atroce qu’elle s’était pendue dans sa cellule.
« J’ai découvert ces détails quand j’étais au lycée, expliqua Edmond à Langdon. Vous comprenez donc pourquoi j’abhorre à ce point la religion. J’appelle ça : “La troisième loi de Newton appliquée à l’éducation des enfants : là où il y a folie, il s’en applique une autre, exactement égale et inverse.” »
Cela expliquait pourquoi Edmond avait été un étudiant aussi amer et en colère. Pourtant, il ne s’était jamais plaint de son enfance douloureuse. Au contraire, il disait que ces années difficiles avaient été une chance pour lui, qu’elles lui avaient donné la force de réaliser deux rêves : d’abord, sortir de l’indigence, et, ensuite, montrer l’hypocrisie d’une religion qui avait détruit sa mère.
Un double succès ! se dit Langdon en continuant ses recherches dans les rayonnages.
Comme par hasard, Langdon arrivait à une section qui reflétait les inquiétudes d’Edmond à l’égard des religions :
THE GOD DELUSION*
GOD IS NOT GREAT*
THE PORTABLE ATHEIST
LETTER TO A CHRISTIAN NATION*
THE END OF THE FAITH*
THE GOD VIRUS : HOW RELIGION INFECTS OUR LIVES AND CULTURE
Cette dernière décennie, les livres prônant le rationnel sur la foi aveugle pullulaient. Langdon reconnaissait que le changement culturel était visible aux États-Unis. Tout le monde s’éloignait de la religion. Il suffisait de voir l’athéisme grandissant chez les étudiants de première année.
Le reste du monde occidental connaissait le même phénomène. Les organisations antireligieuses donnaient de la voix et dénonçaient les dangers des dogmes : Les Athées Américains, la fondation Freedom from Religion, Americanhumanist.org, ou l’Alliance internationale athée.
Langdon ne s’était guère intéressé à ces groupuscules jusqu’à ce qu’Edmond lui parle du Mouvement des brights — une organisation mondiale qui, malgré ce que laissait entendre son nom, regroupait des personnes qui portaient sur le monde un regard « naturaliste », exempt de toute composante mystique ou surnaturelle. L’organisation comptait dans ses rangs des personnalités prestigieuses telles que Richard Dawkins, Margaret Downey et Daniel Dennett. À l’évidence, l’armée grandissante des athées avait désormais des troupes d’élite.
Dans la section consacrée à la théorie de l’évolution, Langdon avait repéré des ouvrages de Dennett et Dawkins.
Le classique de Dawkins, L’Horloger aveugle, remettait en cause la théorie téléologique selon laquelle les êtres humains — comme n’importe quelle horloge — ne peuvent exister sans la volonté d’un « concepteur ». De même, Dennett, dans Darwin est-il dangereux ?, affirmait que la sélection naturelle à elle seule suffisait à expliquer l’évolution de la vie et que les systèmes biologiques complexes n’avaient pas besoin de l’intercession d’un architecte divin.