— Je ne comprends pas, insista Ambra. Pourquoi un athée irait prêter un livre à une église ?
— Ce n’est pas n’importe quelle église. C’est le chef-d’œuvre de Gaudí, sa construction la plus énigmatique, et bientôt la plus haute d’Europe.
Ambra regarda la ville. Au loin, entourées de grues, d’échafaudages et de lumières de chantiers, les flèches de la Sagrada Família s’élevaient dans le ciel tels de gigantesques coraux vers la lumière.
Depuis plus de cent ans, la basilique en construction, dont les travaux étaient financés exclusivement par l’aumône, avait fait couler beaucoup d’encre. Honni par les fondamentalistes pour ses formes modernes, son bio-design, l’édifice était adulé par les progressistes qui vantaient sa fluidité architecturale et ses voûtes hyperboloïdes en hommage au monde vivant.
— Je reconnais qu’elle est unique en son genre, mais cela reste une église catholique. Et, connaissant Edmond…
Oui, je connais Edmond, songea Langdon. Assez pour savoir qu’il était persuadé que la Sagrada Família renfermait des secrets et des symboles qui dépassent de loin le cadre de la chrétienté.
Depuis que la première pierre avait été posée, le bâtiment révolutionnaire marquait les esprits avec ses portes émaillées de codes, ses colonnes hélicoïdales, ses symboles et ses carrés magiques, et sa structure « en squelette » qui donnait l’impression de voir un entrelacs d’os supportant des membranes de tissus vivants. Et les rumeurs allaient bon train.
Langdon n’y apportait guère de crédit. Toutefois, quelques années plus tôt, il avait appris qu’Edmond était l’un de ces aficionados qui pensaient que la Sagrada Família n’était pas seulement une église chrétienne, mais un temple dédié aux sciences et au savoir.
C’était peu vraisemblable. Il avait d’ailleurs rappelé à Kirsch que Gaudí, lui-même un catholique convaincu, avait été surnommé « l’architecte de Dieu » — le Vatican songeait même à sa béatification. La conception unique de la Sagrada Família, lui avait affirmé Langdon, n’était rien d’autre qu’une vision gaudíenne du symbolisme chrétien.
Kirsch avait eu un petit sourire, qui laissait entendre qu’il connaissait des secrets qu’il ne voulait pas partager.
Les cachotteries d’Edmond… Tout comme son combat contre le cancer.
— Même s’il a prêté son livre à la basilique, poursuivit Ambra, et que nous le trouvions, jamais on ne pourra repérer le bon vers au milieu de toutes ces pages. Et je doute qu’il ait mis un coup de stabilo sur une édition ancienne.
— Ambra…, répondit Langdon en souriant. Regardez au dos de la carte.
Elle obéit. Et ses yeux s’écarquillèrent de surprise.
— Au risque de me répéter, conclut gaiement Langdon, je pense que nous devrions vraiment aller là-bas.
Une ombre passa dans les yeux d’Ambra.
— Il reste un problème. Même si nous trouvons le mot de passe, nous…
— Je sais. Nous avons perdu Winston.
— Voilà.
— Ambra, il y a encore un moyen d’entrer en contact avec lui.
— Et lequel ?
— Il nous suffit de savoir où se cache Winston. Physiquement. De trouver l’ordinateur qu’Edmond a créé. Si nous ne pouvons pas joindre Winston par téléphone, allons sonner à sa porte et communiquons-lui le code nous-mêmes.
La jeune femme regardait Langdon fixement, comme s’il venait de perdre la raison.
— Ambra, vous m’avez dit qu’Edmond a conçu Winston dans un centre secret.
— Certes, mais ce centre peut être n’importe où sur la planète !
— Non. Il est forcément ici, à Barcelone. Edmond vivait et travaillait dans cette ville. Élaborer cette intelligence de synthèse est l’un de ses derniers projets. Il a forcément assemblé Winston ici.
— D’accord. Mais Barcelone est une grande ville. Il est impossible de…
— Je peux trouver Winston, insista Langdon. J’en suis persuadé. (Il désigna les lumières sous eux.) Cela peut paraître fou, mais cette vue aérienne vient de me donner la solution…
— Vous pouvez être plus précis ?
— J’aurais dû m’en rendre compte plus tôt. C’est lié à Winston, quelque chose qui m’a tracassé toute la soirée. Et j’ai enfin l’explication !
Langdon lança un coup d’œil vers les agents de la Guardia et baissa la voix :
— Faites-moi confiance. Je sais où est Winston. Mais sans le mot de passe, cela ne nous servira à rien. Il nous faut donc d’abord découvrir ce vers. Et la Sagrada Família est notre meilleure carte au trésor.
Ambra le dévisagea un long moment. Puis elle hocha la tête.
— Agent Fonseca ! Demandez au pilote de faire demi-tour et de nous déposer à la Sagrada Família !
Le garde se retourna vers elle avec humeur.
— Mademoiselle Vidal. Comme je vous l’ai dit, j’ai des ordres et…
— Fonseca, l’interrompit-elle sèchement. Emmenez-nous là-bas. Tout de suite. Ou mon premier caprice de reine sera de vous faire virer !
62.
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FLASH INFOS
Grâce à de nouvelles informations de monte@iglesia.org, nous venons d’apprendre que l’assassin d’Edmond Kirsch est membre de l’Église palmarienne, une secte catholique fondamentaliste.
Depuis un an, Luis Ávila recrute en ligne pour les palmariens et son appartenance à cette organisation explique la présence du signe « Victor » tatoué dans sa main.
Ce symbole franquiste est courant au sein de l’Église palmarienne qui, selon le journal El País, a son propre pape et a canonisé plusieurs despotes, dont Adolf Hitler et Francisco Franco !
Sceptiques ? Vérifiez par vous-mêmes !
Tout commence par une apparition et une vision mystique.
En 1975, un agent d’assurance nommé Clemente Domínguez y Gómez prétend avoir eu une vision où il est sacré pape par Jésus-Christ en personne. Clemente prend alors le nom de Grégoire XVII, rompt avec le Vatican et nomme ses propres cardinaux. Même exclu par Rome, le nouvel antipape rassemble néanmoins des milliers de fidèles et amasse une fortune. Il se fait construire une église aux airs de forteresse, étend son culte aux quatre coins de la planète, et consacre des centaines d’évêques.
L’Église schismatique dirige toujours son empire depuis son QG d’El Palmar de Troya en Espagne. Les palmariens ne sont pas reconnus par le Vatican mais continuent d’attirer les catholiques ultra-conservateurs.
Bientôt en ligne de nouvelles informations sur cette secte, et un portrait de l’archevêque Antonio Valdespino qui serait impliqué dans cette conspiration.