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— Fournissez-moi une indication. Je suis très embarrassé… Combien donnent les autres ? »

Nouvelle moue ennuyée de Cesare.

« Variable… »

Suivait alors un chiffre s'étageant entre 20 000 et 50 000 dollars, selon le chiffre d'affaires de l'entreprise choisie.

Chose curieuse, jusqu'à présent, personne n'avait refusé de payer. Après tout, chacun en avait pour son argent. La firme couronnée pouvait exhiber fièrement un magnifique diplôme. La qualité des participants lui valait de larges commentaires dans la presse. Tout le monde était content.

Seule exception à cette règle : Lou Goldman. Il avait accepté sans manières de se voir décerner le prix, mais était resté muet quand Cesare, après plusieurs appels du pied, avait fait des allusions massives aux « frais de cérémonie de cette belle œuvre ». Son instinct de requin lui avait dit que c'était sans espoir : Goldman était encore plus cannibale que lui. En attendant, qui allait payer le cocktail ? Certainement pas lui ! Goldman, pas davantage. Alors, qui ?

Cesare chassa son inquiétude. Le temps était splendide, son spencer de soie blanche lui allait comme un gant et il avait au moins deux victimes en vue parmi les invités de sa réception : Arnold Hackett et l'avionneur Honor Larsen. Au moment de descendre dans le hall, Cesare retourna dans la salle de bain, se contempla en pied dans le miroir et envoya un baiser léger à son image.

« On repart ? » dit Alan.

Norbert était déjà debout, la casquette à la main. Il laissa passer Alan, le suivit à un pas.

« Si vous voulez bien me laisser une minute pour nettoyer la voiture…

— Maintenant ? s'étonna Alan.

— Quand elle est décapotée à l'arrêt, je la retrouve régulièrement pleine d'ordures. »

Ils firent les trente mètres qui les séparaient de la Rolls. Sur le siège avant droit, on avait écrasé trois cornets de glace au chocolat.

« Je n'en aurai que pour une minute », dit Norbert.

Il s'empara d'un chiffon et répara les dégâts.

« Communistes ? ironisa Alan sans méchanceté.

— Non, bourgeois, répondit Norbert sur le même ton. Il n'y a que les bourgeois pour cracher sur ce qu'ils ne peuvent posséder. Si vous voulez bien monter… »

Alan s'installa à l'avant. Norbert leva un sourcil.

« Je préfère », dit Alan.

Norbert prit le volant, actionna le démarreur.

« Il y a un joli mot d'un écrivain français, Henri Michaux. Il a dit : « Si les voitures pensaient, les Rolls Royce seraient beaucoup plus angoissées que les 2 CV. »

Il éclata de rire, se faufila dans la circulation d'un coup d'accélérateur puissant et tapota affectueusement le volant :

« Bonne bagnole… Très, très bonne bagnole ! »

Un peu plus loin, il désigna un restaurant sur sa gauche.

« Tetou… Bonne, très, très bonne bouillabaisse ! »

Elle s'étala en croix sur le lit, jouant à en toucher les bords extrêmes du bout de ses mains et de ses orteils. Même allongée de la sorte, il lui suffisait de raidir légèrement le cou pour voir la mer par la fenêtre au pied de laquelle s'arrondissait un balcon fleuri.

Le soleil avait imprimé en blanc la minuscule surface de peau cachée aux regards par le slip de bain qu'elle portait à la piscine. Son corps avait maintenant trois teintes, le blanc de l'aine, le châtain clair du pubis assorti à la couleur de ses cheveux et le rose brique tendre des parties exposées à l'éclatante lumière de la Méditerranée.

Elle se redressa d'un coup de reins, alla humer les deux bouquets de roses qui ornaient sa chambre. Pourquoi les lui avait-on envoyés ? A la piscine, elle n'avait parlé à personne, sinon au garçon pour lui commander des Cocas bourrés de citron vert et de glace pilée. Elle compara les deux cartes de visite jointes aux gerbes, mais pas davantage que Louis Goldman, elle ne connaissait Cesare di Sogno. Elle les froissa, les jeta dans la cuvette des cabinets et tira la chasse. Elle s'empara d'une banane dans un compotier, y mordit sans la peler, recracha la peau, planta ses dents dans une pomme d'un rouge-violet. Dans le réfrigérateur, elle prit une bouteille de lait dont elle but une longue gorgée. Elle s'essuya la bouche du revers de la main. Tout l'enchantait. Juchée sur la pointe des pieds, elle s'étira avec volupté devant la fenêtre ouverte. A droite, elle apercevait des gens qui plongeaient dans la piscine. Le bruit de leur corps frappant la surface de l'eau lui arrivait avec une fraction de retard sur ce que ses yeux enregistraient.

Toujours sur la pointe des pieds, elle alla ouvrir le tiroir d'une commode d'où elle sortit un bizarre chapeau de paille à fleurs et une longue paire de gants en chevreau noir.

Elle enfila les gants, mit le chapeau sur sa tête, cala ses deux chevilles sur le bord du lit, plongea en avant. En équilibre sur les bras, elle commença de faire une série de pompes dont elle énuméra le décompte en chantonnant une comptine qu'on lui avait apprise à la maternelle vingt ans plus tôt.

Six kilomètres après Golfe Juan, la voiture arriva aux portes de Cannes.

« Je vous fais passer par la Croisette ou par la rue d'Antibes ?

— Où est la différence ?

— La rue d'Antibes traverse le centre, la Croisette longe la mer. Le Majestic est au bout. C'est un peu plus long.

— La Croisette », dit Alan.

La Rolls arrivait en vue d'une fourche. Norbert prit à gauche, passa le feu, s'engagea sous un pont de chemin de fer et vira sèchement à droite.

En sens inverse, des centaines de voitures, pare-chocs contre pare-chocs.

« Ils quittent la plage. Pire qu'à Paris ! »

Depuis que Norbert avait ôté sa casquette et que lui-même s'était installé à l'avant, Alan se sentait beaucoup plus à l'aise. Seule la Rolls était point de mire, pas ses passagers. Alan était ahuri par le nombre de filles en liberté. Certaines se juchaient par grappes sur de minuscules bagnoles, les seins à peine protégés par dix centimètres carrés de tissu transparent, les fesses à l'air, hurlant de joie dans un tintamarre d'avertisseurs déchaînés.

« C'est tous les jours comme ça ? interrogea Alan.

— Le jour et la nuit, dit Norbert.

— Où est-ce qu'ils logent ?

— On n'en sait rien. Où ils peuvent. Certains dorment sur les plages, d'autres campent ou se font héberger chez l'habitant. La débrouille… Une chambre de six mètres carrés pour quinze. En juillet, la population de Cannes se multiplie par vingt. Vous connaissez Saint-Tropez ?

— Non.

— Là-bas, c'est par cent. La plupart arrivent sans argent.

— Comment font-ils ?

— La débrouille. En fin de saison, les filles utilisent ce dont la nature les a dotées pour s'assurer leur sandwich quotidien. Beaucoup de garçons aussi, d'ailleurs.

— Vous voulez dire qu'ils se prostituent ?

— Disons qu'ils se défendent. Mettez-vous à leur place… On les invite sur des yachts de trente mètres, caviar, whisky et H à gogo. Ça les déboussole. L'argent pourrit tout, monsieur ! »

CHAPITRE 11

« Alors, comment était le thé ? s'exclama-t-il avec jovialité.

— Correct, répondit Emily en lui jetant un regard interrogateur. Tu t'en vas ?

— Je vais au bar cinq minutes. Gohelan veut me demander un conseil.

— Avec l'argent qu'on laisse ici, j'espère que tu le lui factureras. »

Il eut un petit rire aigrelet.

« A tout de suite. Je vous attends dans le hall pour le cocktail ou je remonte vous chercher ?