Выбрать главу

« Bonjour Alan. Je peux entrer ? »

Mabel se tenait sur le seuil, un sourire aux lèvres. Il la considéra avec stupéfaction.

« Mais tu as les cheveux verts ?

— Et alors ? » dit Mabel en s'introduisant dans la place.

D'un œil rapide et aigu, elle en fit le tour.

« Je vois que tu n'as rien changé… »

Elle souleva deux ou trois livres, les rejeta.

« En dehors de mes photos qui ne sont plus sur le mur… D'ailleurs, pourquoi y seraient-elles ?… »

Elle s'assit dans le fauteuil. Dans son mouvement, sa jupe indienne se releva dévoilant largement ses cuisses.

« J'allais partir, dit Alan. On m'attend au bureau.

— Tu y vas toujours ? demanda-t-elle avec nonchalance.

— Avec quoi crois-tu que je paie ta pension ? »

Mabel eut le petit rire perlé et protecteur qu'il connaissait si bien.

« Alan, Alan !… Nous sommes le 22 juillet et j'aurais dû recevoir mon chèque le 30 du mois dernier ! Ce n'est pas sérieux… »

Elle croisa si haut ses jambes qu'il aperçut le liséré de son slip couleur chair.

« Tu l'auras !

— Quand ?

— J'ai eu des ennuis. Je n'ai même pas payé mon loyer. Je suis à découvert à ma banque ! »

Elle lui adressa un regard aguicheur.

« Tu es toujours à découvert. Elle s'appelle comment ?

— Qui ?

— Celle pour qui tu te découvres. Tu as toujours été la proie des femmes…

— Venant de toi, c'est gonflé ! »

Elle poussa un profond soupir, le dévisagea avec indulgence, décroisa ses jambes sans pour autant rabattre sa jupe.

« C'est bête… Nous avons peut-être agi trop vite. Parfois, je me pose des questions. Ce n'était pas si mal…

— Quoi ? »

Elle baissa les yeux comme une écolière prise en faute.

« Nous. »

Instantanément, Alan fut en alerte.

« Qu'est-ce que tu veux dire ?

— Nous faisons vie à part, nous ne partageons plus rien…

— Si ! Mon argent !

— N'imagine pas que ce soit facile pour moi de te le prendre. Parfois, j'en suis gênée. Mais je suis seule, je n'ai pas le choix, c'est moche… »

En un geste qui se voulait naturel, elle écarta un pan de son chemisier et se frotta distraitement la poitrine du dos de la main. Furtivement, il aperçut la pointe d'un sein.

« Il fait chaud chez toi… »

Elle se renversa dans le fauteuil, cuisses offertes.

« On pourrait peut-être recommencer ? »

Alan eut peur de comprendre.

« Recommencer ?

— Toi et moi. Nous ne serions pas les premiers divorcés qui se remarient… »

Malgré la fournaise, il frissonna. Leur mariage n'avait duré que l'espace d'une saison. Avait-il vraiment désiré l'épouser ? Il s'était retrouvé devant le maire. Tout ce qui l'avait séduit chez elle avant leur union lui était devenu insupportable sitôt les noces consommées. Pour être la créature hors série décrite par les magazines, elle se gorgeait de musique indienne jusqu'à cinq heures du matin, se nourrissait d'huîtres grillées, se collait des emplâtres de boue sur la figure, portait une gaine de sudation, s'inondait plusieurs fois par jour d'une saleté de parfum prétendu aphrodisiaque dont les relents tenaces laissaient un sillage pestilentiel sur son passage. Mettre le grappin sur Alan l'avait détournée de son destin de manucure, rognures d'ongles, bouclettes, potins débiles et philosophie Zen telle que la concevaient les journaux de mode.

S'imaginant un glacis de culture, elle lui donnait des cours de maintien, de yoga, de savoir-vivre. Quand, par extraordinaire, elle daignait ouvrir une boîte de potage macrobiotique, elle la réchauffait au bain-marie dans la théière pour la lui servir avec condescendance dans l'un des deux bols du petit déjeuner. Pendant qu'il l'avalait, elle le dévisageait avec mépris et l'accusait de faire un bruit vulgaire avec sa bouche : « Tu ne manges pas, mon pauvre Alan, tu lapes. »

Les nuits n'étaient pas plus joyeuses. Le rituel concerto indien achevé, il égarait parfois sa main sur la cuisse de Mabel : elle faisait un bond d'électrocutée et le rabrouait. Il se lovait en fœtus à l'extrême bord du lit pour tenter de trouver le sommeil. Au petit jour, il se rendait en titubant dans la cuisine. Son premier café avait le goût amer du potage de légumes de la veille. Après onze semaines d'abstinence et de frustrations de toutes sortes, il la suppliait de lui accorder le divorce. A sa grande surprise, elle acceptait sans trop de chichis. A deux conditions : il prenait les torts à sa charge et s'engageait irrévocablement — à vie si elle ne se remariait pas — à lui verser la moitié de tous ses gains futurs, quels qu'ils fussent. De sa propre initiative, il lui proposait de payer lui-même son avocat pour que les formalités aillent plus vite…

« Qu'est-ce que tu en dis ?… »

Son regard détailla la tignasse verte, le sourire faux, le corsage dépoitraillé.

« Je suis en retard, Mabel. Il faut que je parte.

— Oui ou non ? insista-t-elle d'une voix changée.

— Non. C'était une erreur, un ratage. »

D'un geste sec, elle rabattit sa jupe et fut debout, le visage convulsé de colère.

« Je sors de chez Hartman ! Il engage une procédure ! Ça va te coûter cher ! »

Les mots étant devenus trop faibles pour lui exprimer toute sa haine, elle lui cracha dessus.

A l'exception de ses légers gants de chevreau noir et de son chapeau de paille fleuri enfoncé jusqu'aux sourcils, Marina, comme à l'ordinaire, était totalement nue.

En appui sur les mains elle faisait une série de tractions.

« Cinquante », dit-elle, le souffle court.

Elle roula sur le tapis de l'atelier, jambes écartées, bras en croix.

« Même pas trente… dit Harry. Pourquoi mens-tu ?

— Je ne peux pas m'en empêcher, répondit-elle sans s'émouvoir. Tu me donnes un verre de lait ? »

Harry laissa couler d'une boîte de conserve percée un filet de rouge carmin qui délia sa trace sur le fond ocre jaune de la toile posée à même le sol.

« Va le chercher toi-même.

— Harry… S'il te plaît… »

Harry s'assit par terre. De son pied droit déchaussé, il étala la couleur qu'il venait de répandre.

« Tu me prends pour l'autre ? »

Sans changer de position, Marina planta ses dents dans une pomme et regarda rêveusement le plafond.

« Il est gentil, l'autre, murmura-t-elle.

— Tu le regrettes déjà ? ironisa Harry.

— Il fait bien l'amour. »

Harry pouffa de rire.

« Un comptable ! Un misérable, minable, ridicule, petit comptable ! Comme si les minus étaient capables de baiser correctement !… Approche… »

Docile, elle se leva et vint s'étendre de tout son long sur la peinture fraîche.

« Roule… Roule encore !…

— Je vais salir mes gants », protesta-t-elle.

Sans cesser de grignoter sa pomme, elle se frotta les fesses sur la laque carminée.

« Attends que j'aie vendu ce chef-d'œuvre. Je te paierai le magasin !

— Personne ne t'a jamais acheté une seule toile.

— Ils sont trop cons pour comprendre. A plus forte raison pour acheter. Frotte mieux ton cul, ça s'appelle « Empreintes » ! Hé !… Où vas-tu ?… »

Le corps enduit de couleur, le chapeau en bataille, Marina se rendit nonchalamment au réfrigérateur et y prit une bouteille de lait qu'elle but au goulot.